A l’entame, je tiens à préciser que je ne serai pas dans ces histoires d’éthique, de morale, de règlements, de lois…et que sais-je encore. Je voudrais rester dans des constats, des actes posés et vécus par tous pour ensuite donner une opinion là-dessus.
Cela étant dit, je rappelle que la politique est un jeu pratiqué par ceux qui nous gouvernent, par ceux qui ont cette prétention ou qui l’ont eue, par ceux aussi qui n’ont pas (ou n’ont plus) leurs chances, mais continuent de s’accrocher. Faire de la politique, c’est entrer en compétition pour participer à la conduite des affaires publiques. C’est chercher coûte que coûte à exercer le pouvoir pour décider, trancher, organiser, prévoir pour être le chef. C’est nécessairement vouloir être sous la lumière, être connu et reconnu, estimé, du moins respecté et, à défaut, être craint. Or le jeu politique comporte un nombre remarquable de participants, mais relativement peu de places disponibles. Imaginez jouer aux chaises musicales avec dix fois plus de joueurs que de sièges…
Dans ces conditions, il est nécessaire de jouer des coudes, de marquer les esprits, de réussir des coups d’éclat. La politique est un panier de crabes, un vase clos au sein duquel tout est bon pour arriver à ses fins. Faire un coup politique est donc une tentation permanente, mise à toutes les sauces, en tous points du globe, à toutes les époques.
Le coup politique est une action forte, positive ou négative qui vise à produire un effet notable, voire spectaculaire dans le domaine politique. Idéalement, c’est un acte soudain, brillant et réussi, dont l’objectif n’est autre que d’«avoir» l’adversaire. C’est le «gotcha» anglais, littéralement «je t’ai eu», qui désigne familièrement un piège tendu, celui qui permettra de damer le pion aux rivaux. L’impact que le coup va produire sur l’opinion publique, l’empreinte qu’il va laisser, compensera en outre un précédent échec ou dégagera l’avenir. Dans la conscience collective en effet, le coup politique reste la marque du chef qui met en évidence son envergure, mesure sa stature et suscite l’admiration secrète des foules comme des adversaires.
Le coup politique est l’action ou la manœuvre, généralement inventive et risquée, qui vise à obtenir dans la compétition politique un avantage significatif, voire décisif sur ses adversaires (gagner une élection, obtenir un poste, retourner l’opinion, reprendre le pouvoir).
Le Président Macky Sall, comme tous les hommes politiques d’ailleurs, en est adepte. Et c’est de bonne guerre !
Senghor a quitté le pouvoir le 30 décembre 1980 et non plus tard, grâce à un coup politique réussi par son entourage. Sa démission a été précipitée. Le Président-poète n’a jamais prévu cette date, mais il n’a rien vu venir.
Le premier coup de génie du Président Sall a été de refuser de démissionner de son poste à l’Assemblée nationale et d’engager le combat contre Wade. Enervé, ce dernier a accumulé les erreurs dans sa stratégie de destitution du président de l’Assemblée d’alors. Qui l’eut cru ? Tenir tête au tout-puissant Abdoulaye Wade, Macky l’a fait. Il aurait présenté sa démission, le «sopiste» en chef l’aurait bouffé cru.
C’est ce même coup tactique qui a fait de Sonko l’homme politique qu’il est aujourd’hui : Se battre à l’interne, refuser de partir de son propre gré et attendre d’être démis pour avoir le statut de «victime d’une injustice» même si pour celui-là, le coup n’a pas été exploité à fond.
Après le vote de la loi Sada Ndiaye réduisant le mandat du président de l’Assemblée nationale à un (1) an, Macky claque la porte et se départit de tous ses postes électifs. Ce coup étant réussi et bien réussi, Macky Sall mit en place son parti politique, l’Alliance pour la République (Apr), avant d’aller sillonner le pays au contact des populations outrées par ce que Wade lui a fait subir. Réfléchi, il laisse les autres partis perdre un précieux temps à la Place de l’Obélisque.
Durant la campagne, il suit Wade au pas. Chaque fois que ce dernier sort d’une ville, il y entre pour «démolir» tout son discours. L’on se rappelle leur télescopage à Gossas où les Forces de l’ordre ont été obligés de bloquer le cortège de Macky, attendant que Wade termine son meeting. Il avait compris que la meilleure stratégie contre Wade était de déconstruire son discours avant qu’un autre jour ne se lève.
Pour éviter un hold-up électoral avec la sortie de Serigne Mbacké Ndiaye annonçant Wade vainqueur à 55%, le candidat de l’Apr d’alors fait une sortie musclée pour couper l’herbe sous les pieds des Libéraux. Il refait le même coup au second tour, fermant toutes les portes de tripatouillage des résultats poussant Wade à l’appeler et le féliciter.
Dès les premiers mois de la seconde alternance, le camp présidentiel confine Wade dans un énervement sans borne avec des soupçons de tapis volés, de souvenirs dérobés… Wade n’a plus le temps de décocher ses dernières flèches contre son élève devenu Président. Il s’occupe de faire des sorties pour se blanchir pendant que son successeur travaille à payer les salaires et continuer l’œuvre du maître. Rappelons que le Pape du Sopi avait déclaré que s’il quittait le pouvoir, les salaires ne seraient pas payés et que ses chantiers allaient s’arrêter. Macky Sall s’est employé à lui prouver le contraire.
Karim en prison dans le cadre de la traque des biens mal acquis devient tout de suite une patate chaude. Wade s’énerve, fait des sorties maladroites allant même jusqu’à traiter le Président de tous les noms d’oiseau. Celui-ci se tait et ne dit rien. L’opinion est prompte à prendre la défense de celui qui garde le silence alors qu’il est attaqué.
Le Président Macky fait bénéficier Karim d’une grâce partielle : coup de maître ! Il n’est pas amnistié et s’en va avec autour du cou la corde bien serrée de la condamnation financière : 138 milliards ; Une grosse somme ! Physiquement le fils de Wade est libre, mais des charges financières pèsent toujours sur lui. Ce qui continue de le maintenir loin du pays.
Le cas Khalifa Sall, on en parle. Loin des considérations judiciaires, nous resterons dans la lecture politique. Soit il sera candidat, soit il ne le sera pas. A supposé qu’il le soit, l’ancien maire de Dakar ne battra pas campagne si sa condamnation est en même temps confirmée par la Cour suprême. Cheikh Bamba Dièye et Barthélemy iront pour lui au contact des électeurs. L’un et l’autre ne pourront absolument pas permettre à Khalifa d’engranger un grand score. On ne fait pas une campagne par procuration, en tout cas ici au Sénégal dans le cadre d’une élection présidentielle. Khalifa absent du terrain, les autres ne pourront rien faire d’autant plus que Cheikh Bamba Dièye n’a plus un parti bien structuré à l’intérieur du pays.
Aujourd’hui, sans tambour ni trompette, le candidat de Benno bokk yaakaar multiplie les coups politiques et les réussit pour la plupart avec brio. Il a su maintenir sa coalition électorale sachant que son parti seul a des limites objectives. Il a eu l’intelligence de ne pas le structurer, en tout cas dans sa verticalité, même si dans son horizontalité certaines structures existent. Il sait qu’il a besoin de l’organisation du Parti socialiste et de l’Afp pour maintenir la colonne vertébrale de sa grande structure politique qui va au-delà de l’Apr.
Concernant l’organisation de l’élection de février 2019, il m’arrive de rire sous cape quand j’entends certains leaders politiques demander à Macky Sall de nommer une personnalité neutre à la place de Aly Ngouille Ndiaye. Quel est le stratège politique qui lui aurait conseillé d’accéder à cette demande ?
Abdou Diouf a nommé une personnalité neutre pour les élections de 2000 en la personne du général Lamine Cissé et le voilà qui perd les élections. Wade l’a fait en 2012 avec Cheikh Guèye et on sait ce qui s’en est suivi.
Pourquoi penser que Macky va le faire ? Ne dit-on pas qu’il n’y a «jamais deux sans trois» ? Qui l’aurait fait à sa place dans ce contexte actuel ?
Le candidat à sa propre succession, Macky Sall, on peut l’aimer ou ne pas l’aimer, mais personne ne peut lui dénier son intelligence politique.
Aujourd’hui, force est de constater que l’élève est en train de dépasser le maître. Wade a toujours été un fin tacticien politique, ce qui lui a valu le sobriquet de «Ndjomboor» (l’animal le plus intelligent), mais là il est en train d’être dérouté par son ancien élève. Ce dernier est même trop loin devant ses propres responsables politiques. Il fait à lui seul la vie de la coalition Benno bokk yaakaar. S’il ne bouge pas, personne ne le fait.
Le Président Macky Sall a très tôt compris que les «coups» politiques sont autant utiles à la conquête qu’à l’exercice du pouvoir et qu’il faut avoir le fameux «coup d’œil», dont Max Weber faisait la «qualité psychologique déterminante de l’homme politique».
Souleymane Ly
Spécialiste en communication
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