Que devient Souleymane Jules Diop ? Je veux penser qu’il va bien. Sans remords aucuns. Dévoué à la tâche d’assainir la politique au Sénégal. Entièrement acquis à conseiller Macky Sall pour accroître le bien-être des populations. Je veux croire ça, mais ce n’est pas très simple. Qu’il semble désormais bien loin ce temps – il y a 4 ans – où, perché sur ses hauteurs canadiennes, il nourrissait auditeurs et lecteurs de Seneweb. Leur commandait de lutter. Disqualifiait les politiciens. S’érigeait en justicier-martyr, molesté, pour l’anecdote, par les gorilles de Wade à cause de son goût de la défiance. Ce temps fabuleux où il parcourait le monde pour prodiguer des conférences. Alors, pour ce faire, son lyrisme se mêlait aux citations des grands esprits, ses livres aux références spirituelles du monde, ses anecdotes sur la politique sénégalaise à ses colères foudroyantes, et ses grands monologues étaient, disait-on, l’incarnation de la probité intellectuelle, autrement dit, une résistance à Wade. De Lat Dior à Salif Sadio, les Sénégalais ont une drôle de conception de la résistance. De la probité aussi.
J’avais été lecteur de Souleymane Jules Diop. J’avais en revanche mis assez de distance entre ce qu’il incarnait, ce qu’il disait, et comment il se percevait. On a là 3 types qui ne se confondent pas nécessairement. Avant de tomber dans l’outrance contre Wade, SJD a été son ami. Il devint celui d’Idrissa Seck ; il en divorça. Séparé de ses deux amours, il tombe dans la solitude de l’exil. Traversée du désert finie. Désormais, le voilà à la romance avec la dernière roue du carrosse des enfants de Wade, le président Sall, sur qui sa parole a été la plus dure. Convenez que ce parcours, sans même en interroger le fond, est pour le moins singulier. Mais passons.
Il incarnait une figure assez connue dans l’histoire de la politique : le résistant en exil. Bénéficiant d’une tribune libre, sans censure, sans contradiction, il pouvait tout dire. Très souvent n’importe quoi, trop souvent des banalités, toujours les mêmes rengaines avec le ton de l’objecteur de conscience et du prêcheur intellectuel. Mais l’immigré, vitrifié sur Seneweb, buvait goulument son propos pour étancher sa soif du pays. Le commentaire et l’analyse politique ne doivent pas être exemptés de constance et de ligne directrice. Les « lignes ennemies », nom de sa chronique phare, confondaient toutefois régularité et acharnement. Elles s’emprisonnaient dans le seul champ politique et manquaient ainsi, souvent, d’autres explications décisives. Il était ainsi le préposé aux aboiements contre Wade. Mais à force d’aboyer il est monté dans la caravane qui passait, celle de Sall. Les immigrés tout particulièrement ont fait la célébrité de ce prêcheur aux allures de gourou. Visiblement à leurs dépens à la lumière du temps.
Il disait ce que l’on sait tous, avec la primauté chez lui de quelques informations de couloirs qu’il pouvait collecter grâce à ses anciennes fréquentations. Il faisait la taupe. Le censeur. Le distributeur de bons points. Le maître de la météo, de la sienne seule. Il s’indignait. Pour ce pays où les tabous sont rois, il apparaissait comme un courageux. Drôle de courage.
Ce temps est fini. Bien fini. Tremplin et marchepied il a été. Le voici prêt pour l’ascension. Il lui faut de nouveaux défis. Le voilà dans le cœur du pouvoir : ce pouvoir sur lequel il avait déversé sa bile. Le voilà dedans, silencieux, aphone, presque honteux. Ecartelé entre son once d’honneur et l’obligation de faire la bise à Moustapha Cissé Lô entre autres. Il fait de rares apparitions pour essayer de justifier l’injustifiable. Il en est même attendrissant. Malgré la discrétion qu’il s’échine à porter dans sa mission, on se demande, s’il adhère réellement aux projets, actes, politiques de ce gouvernement. On n’aura jamais la réponse hélas, quoiqu’on la devine. L’énergie intellectuelle de jadis s’est transformée en un silence de complaisance. La fougue rebelle d’autrefois est devenue la notabilité du consensus. C’est souvent vers 40 – 50 ans que les hommes politiques et intellectuels transhument. C’est l’âge où la société vous pousse à la maturité et à la prédation. C’est l’âge où la responsabilité et la progéniture vous mordent le portefeuille. C’est l’âge où la famille vous accule. C’est l’âge où le renoncement se pare de vertu donc. Que valent les idées devant la convergence des besoins et la possibilité de stabiliser une vie ? Ensuite, et il faut le savoir, la rébellion ne paye pas bien son homme. C’est l’âge où les ors intérieurs sont plus brillants, plus doux que le soleil brûlant du dehors.
Le parcours de SJD est assez familier, c’est un syndrome assez répandu. A un certain stade de leur combat, certains intellectuels se jugent inutiles dans la posture de la critique. Donc, il leur faut s’engager : grand mot ennobli par le sens du sacrifice qu’il semble contenir. Après avoir vilipendé le système, ils se proposent de l’intégrer pour le changer. Une fois le pas dedans, s’abattent le silence, la démission, la confrontation face à des réalités improbables devant lesquelles la lâcheté sert de paravent. Ils se rendent obligatoirement comptables des actes de leur entourage, faits auxquels ils n’adhèrent mais contre lesquels ils ne peuvent se rebeller. Tiraillés entre leur honneur – je crois qu’ils en ont, un peu certes mais quand même – et leur devoir d’être solidaires, ils piétinent leurs idéaux. Sans s’en rendre compte. Sans même en avoir l’intention. Et d’un coup, c’est fini. Ils s’éclipsent. Aux suivants… ! Si SJD avait eu, dans son domaine, médiatique ou intellectuel, un impact, s’il avait entrepris un changement à la hauteur de ses colères grondantes de Seneweb, peut-être serions-nous cléments. Mais depuis il s’est prélassé dans ce qu’il fustigeait. Voilà l’impardonnable faute.
Le renoncement à la vertu, en politique, c’est toujours une question de temps. Il y a un rien de distance entre le compromis et la compromission. Souleymane Jules Diop, Latif Coulibaly et quelques autres, auront oublié que l‘impopularité était le seul refuge de la probité mais par-dessus tout, de la constance de la pensée. Ce sont des hommes qui n’ont pas su tempérer leur gourmandise sans doute obnubilé par leur prétention qu’ils jugeaient supérieurs aux structures. Il faut développer le goût d’être impopulaire ni par obsession, ni par principe, mais par fidélité à un propos. La constance est la seule chose qui vous rend le souvenir agréable, le rétroviseur regardable. Tout le reste vous oblige à l’affrontement avec ce que vous fûtes.
« S’adapter à nos réalités », « changer le système de l’intérieur » et bien d’autres leitmotivs optimistes, sonnent comme les doux suicides du volontarisme qui ne tient jamais lieu de succès. Jamais.