#Enjeux2019 – Si une campagne électorale sénégalaise se focalisait sur les dossiers plutôt que sur les personnes, nul doute que l’éducation et singulièrement l’enseignement supérieur serait au cœur des débats. L’on ne peut parler de développement sans une population bien formée et le Sénégal ne remplit pas encore les normes de l’UNESCO en terme de pourcentage d’étudiants. Le pays s’est par ailleurs toujours flatté, bien avant Senghor, d’être une méritocratie lettrée où le savoir joue un rôle important dans la distribution des postes et des honneurs. Le consensus actuel, partagé par la quasi-totalité des acteurs, est que le système scolaire, à tous les niveaux, ne marche pas. L’on peut se poser deux questions : 1) Pourquoi ne marche-t-il pas ? 2) Que faudrait-il faire pour lui redonner son lustre d’antan ? À ces deux questions évidentes s’ajoute une troisième : le diagnostic ainsi posé, aussi largement partagé soit-il, est-il exact ?
Dans , nous nous focaliserons exclusivement sur l’enseignement supérieur et nous ne prendrons pas pour argent comptant ce consensus selon lequel notre système universitaire serait dans un état désastreux. Un diagnostic plus fin est nécessaire si l’on veut parvenir à des solutions intéressantes et à même d’être implémentées.
– Du faux distinguo public-privé –
Quand on parle de l’enseignement supérieur sénégalais, on pense généralement aux universités publiques. D’une certaine manière, c’est compréhensible puisque ce sont ces établissements qui font régulièrement la une de l’actualité du fait de grèves récurrentes d’enseignants ou d’étudiants. Les universités publiques concentrent par ailleurs la majorité des étudiants sénégalais avec le mastodonte UCAD qui en accueille presque 80 000. Cette vision n’est donc pas fausse. Elle est cependant biaisée : le pays comptait en 2017 plus de 162 000 étudiants ; 114 000 d’entre eux sont dans le public, le reste dans le privé local et –pour moins de 15 mille d’entre eux– à l’étranger. Par ailleurs, même dans le public, il y a des disparités énormes entre Dakar qui est en sous-effectif d’enseignants et en sureffectif d’étudiants et certaines universités nouvelles comme Thiès qui ont des taux d’encadrement raisonnables. Sur le plan pédagogique, il y a également des disparités –y compris entre facultés d’une même université– concernant les taux d’encadrement, de promotion et d’abandon. Il n’en demeure pas moins que tous les établissements publics souffrent dans une certaine mesure des mêmes maux : le taux d’encadrement est généralement bas et les budgets alloués par l’État sont rarement suffisants pour payer à la fois les salaires des personnels et les dépenses incompressibles comme l’eau et l’électricité. De ce fait, les intrants pédagogiques eux-mêmes ne sont pas assurés, compromettant ainsi la qualité de l’enseignement. Il est compréhensible qu’un chimiste éduqué dans une université dépourvue de produits chimiques ne devienne pas un bon chimiste ! De même, la pédagogie par l’échec semble être la norme dans la plupart des universités publiques ; ce qui fait que des étudiants peuvent échouer à l’Ucad par exemple et aller mener une carrière plus qu’honorable dans des universités indéniablement meilleures. Les établissements privés pourraient offrir une solution aux problèmes du public. Malheureusement, sauf rares exceptions, la plupart n’ont pas de personnel propre et se contentent de cannibaliser le public en sous-payant ses enseignants. Elles sont également victimes du paradoxe de l’étudiant-client : dès lors qu’il paie très cher pour ses études, l’apprenant a tendance à considérer que le diplôme est dû et qu’il n’a pas à s’impliquer davantage dans sa formation. Cela mine l’autorité pédagogique des enseignants et contribue à dévaluer une formation pourtant payée à prix d’or. Les résultats des concours nationaux montrent ainsi que rares sont les produits du privé à s’imposer face à ceux du public. Cela semble militer pour une qualité plus grande de ce dernier, malgré tous les problèmes dans lesquels il se débat. De plus, alors que le privé arrivait jusqu’à très récemment à remplir sa promesse d’offrir une année scolaire stable, l’État y a envoyé 40 000 étudiants et l’a complètement déstabilisé. L’État payant de manière erratique, certaines écoles privées se sont mises à exclure les élèves qui, en retour, se sont mis à fomenter des troubles.
– L’État, principal problème du système universitaire –
L’exemple des troubles récents dans le privé est emblématique : le principal problème du système universitaire sénégalais semble être l’État du Sénégal. Nul ne doute de la qualité des enseignants du supérieur. Quoiqu’on dise des étudiants, nul ne doute qu’ils fassent preuve d’une motivation sans faille. Les troubles dans le public comme dans le privé surviennent en protestation de la faiblesse des moyens dont disposent les acteurs. Le budget de l’enseignement supérieur tourne autour de 189 milliards pour 162 mille étudiants. Cela veut dire que l’État provisionne moins de 100 mille francs par mois et par étudiant ; toutes dépenses comprises. Ce calcul est cependant trompeur : si l’on prend l’UCAD avec ses 49 milliards de budget pour 80 000 étudiants, le coût total annuel d’un étudiant n’y est que de 51 042 francs CFA, et l’Ucad produit elle-même pas moins d’un tiers de son budget, le reste venant de la dotation de l’État.
L’on mesure souvent l’efficacité d’un système éducatif par le temps moyen de diplomation des étudiants et leur insertion dans le marché du travail. Le supérieur public est généralement contre-performant dans ces deux domaines avec même ce résultat paradoxal que les diplômés s’insèrent moins bien que les non diplômés. Comment y remédier ?
Une première piste de solution passe, bien évidemment, par une meilleure adéquation Formation/Emploi. La Concertation Nationale sur l’Avenir de l’Enseignement Supérieur (CNAES) de 2013 avait préconisé la création de filières professionnalisantes et la promotion des STEM. Non seulement cette recommandation essentielle n’a pas été mise en œuvre mais en plus la seule école qui forme les enseignants des filières techniques est en sous-effectif parce que sous équipée. De ce fait, même si l’on mettait en place les filières techniques, il faudrait du temps pour former les formateurs dans ces disciplines-là.
Une seconde piste de solution est une augmentation des budgets des universités permettant le développement de nouveaux curricula et une meilleure efficacité tant interne qu’externe. Se pose alors la question du financement de cette montée en puissance. Vu le dénuement de la population estudiantine, il est impossible de lui faire payer le coût réel des études. À quel niveau l’État est-il prêt à monter pour financer l’enseignement supérieur ? Il est clair qu’il faudrait au moins un doublement voire un triplement des budgets pour espérer éduquer correctement la jeunesse sénégalaise. Est-ce économiquement soutenable ? Si tel n’est pas le cas, décide-t-on de retourner au modèle d’avant 2000 où l’État ne prenait en charge que les frais d’études d’une minorité laissant les autres à leur sort ?
Ces débats ne sont absolument pas posés par les candidats à la présidentielle. L’enseignement supérieur sénégalais est à la croisée des chemins. Le public et le privé sont désormais profondément minés par un État incapable de prendre ses responsabilités et de dire clairement s’il se positionne pour le modèle scandinave assurant un droit effectif à l’éducation ou le modèle libéral dans lequel seule une minorité d’étudiants est prise en charge, le reste se débrouillant tout seul. Une campagne électorale devrait être l’occasion d’en décider. Rien ne permet d’espérer que nous aurons une campagne électorale de cette qualité.
Hady Ba est docteur en sciences cognitives de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Syndicaliste au Sudes, il est enseignant en philosophie à la faculté des Sciences et techniques de l’éducation et de la formation (Fastef).