Il y a, Monsieur le président de la République, des jours (embrumés pour ces circonstances) qui en rappellent d’autres. Ces temps angoissants et redoutés, nous ne voudrions plus les revivre parce que nous aimons notre pays au moins autant que vous prétendez le servir même si vos actions régulières trahissent la parole doucereuse du postulant que vous avez été. Sous peu, vous enfilerez à nouveau ce manteau. Vous ne saurez alors masquer votre gêne si, bien sûr, vous vous drapez dans la dignité des « guerriers » auxquels vous vous identifiez. Vous aurez du mal à vous débarrasser de votre incommodité parce que vous avez piétiné ce qui, aujourd’hui, vous confère tant de privilèges et de prérogatives : la démocratie.
Oui, vous l’avez torpillée par peur d’affronter vos adversaires les plus représentatifs avec la complicité de ceux qui ont préféré la jouissance éphémère à la grandeur d’âme, à la noblesse et à la postérité. Monsieur le président, vous avez raté l’occasion d’embrasser l’éternité car vous n’avez pas été à la hauteur de la fonction et de la retenue qu’elle exige. Votre ennemi, votre tragédie, devrais-je dire, c’est vous-même, votre boulimie de puissance et votre absence de discernement. On ne joue pas avec la République et l’histoire glorieuse d’une Nation. Il y a une vie après le pouvoir. Vous serez bourrelé de remords quand arrivera le temps de regarder dans le rétroviseur. Vous vous en voudrez d’avoir été si injuste et écouté les godillots excités de votre cour qui, non contents d’entonner avec vous le chant du cygne et de votre grandeur fantasmagorique, vous auront fait croire que le second mandat passe par l’arbitraire. Et la fausse gloire de l’arbitraire, vous le savez bien, Monsieur le président, est la démonstration la plus saillante de l’illégitimité.
L’injustice dont ont été victimes Khalifa Ababacar Sall et Karim Meïssa Wade est une flétrissure imprimée à la mémoire de nos justes combats dignes des meilleurs éloges. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre eux ou même de vous aimer ou de vous abhorrer. Il est question du Sénégal, de sa réputation et de l’héritage politico-judiciaire que devraient espérer de nous les Sénégalais de demain. Faites de ces mots de l’ancien président du Conseil, Mamadou Dia, prononcés en octobre 1962, un viatique : « A ceux qui croient me faire plaisir en se réclamant de mon clan, je leur dirai qu’ils se trompent ; mon clan à moi, c’est le parti, et mon maître après Dieu, c’est la nation ».
Si ces paroles inspirantes ne vous tirent point de vos erreurs, écoutez la sagesse du professeur Abdoulaye Bathily, homme de grande vertu qui, dans un pays normal, serait célébré pour sa constance. En tant qu’historien, témoin et acteur de la vie politique depuis un demi-siècle, il vous apprend ceci (car, paraît-il, vous manquez de culture) : « Voilà 50 ans que je participe au combat politique au Sénégal, et, c’est la première fois que l’on fait écarter, par la justice, des candidats à la présidentielle ». Si vous voulez vous acheminer vers la sagesse, Monsieur le président, il est préférable d’assimiler cette leçon plutôt que de perdre votre temps à tirer fierté des vociférations vénales de votre premier ministre. Le professeur répondra à ce flagorneur en temps de foire par un silence méprisant.
Oui, Monsieur le président, vous n’avez pas à avoir peur d’affronter Khalifa Sall et Karim Wade. Vous perdrez moins que ce que vous avez déjà galvaudé : l’estime du peuple. Vous l’avez perdue parce que vous aviez promis de renforcer l’Etat de droit ; ce que vous n’avez pas fait. Votre parole est devenue douteuse pour rester courtois. Votre famille nous nargue par sa présence inopportune et révoltante. Notre déception est immense. Le TER n’y fera rien encore moins les risibles inaugurations anticipées. Nous espérions une nouvelle dynamique et ce doux sentiment que le président de la République travaille pour nous. Vous n’avez pas réussi à abattre les cloisons réelles et psychologiques entre votre cour et la « plèbe ». Vous n’avez même pas fait semblant de vous y employer malgré les ritournelles popularisées des polichinelles et autres louangeurs, créateurs infatigables de slogans. Désormais, la rengaine des temps d’euphorie « gouvernance sobre et vertueuse » les incommode. Ils en ont honte tellement qu’ils se sont illustrés dans la turpitude avec votre caution morale. Tout ceci nous afflige Monsieur le président de la République. Si vous ne le saviez déjà…Lettre interrompue par dépit.