Au Sénégal, on n’a pas de sondages politiques mais on a les cauris. Ces petits coquillages, dont la légende prétend qu’ils proviennent des îles Maldives et auraient été importés sur les côtes orientales du continent, avant de se frayer un chemin jusqu’à la presqu’île du Cap Vert, y servent de support à la divination – comme, ailleurs, les tarots ou le marc de café. Pratiqué majoritairement par les femmes, l’art des cauris permet à la voyante, sur la base d’un jet de coquillages semblable à un jet de dés, de prédire l’avenir à son interlocuteur.
Or, s’il est un secret que chacun, à Dakar, aimerait percer – outre les estimations du premier tour de la présidentielle, en l’absence d’enquêtes d’opinion, interdites par la loi – , c’est bien celui-ci : à quelle date Karim Wade remettra-t-il le pied au Sénégal ? Escamoté en pleine nuit de la prison dakaroise de Rebeuss pour gagner le Qatar, en juin 2016, le fils de l’ancien président sénégalais reste mutique depuis deux ans et demi sur cette échéance cruciale, alors même qu’il entend défier dans les urnes, en février, le président Macky Sall.
Prédictions hasardeuses
Adepte du secret et du « off the record », Karim Wade n’a en effet jamais livré, depuis son départ en exil, la moindre indication précise sur la date de son retour. La nature ayant horreur du vide, les quotidiens et sites Internet sénégalais se livrent donc, depuis plus de deux ans, à des prédictions hasardeuses.
Dernier en date à se jeter à l’eau, le 24 décembre, un quotidien local se montrait catégorique : « Le président de la coalition “Karim Président 2019” est attendu à Dakar mercredi [26 décembre]. Nos sources, qui sont formelles, nous signalent qu’il a quitté la capitale française pour un point de chute tenu pour le moment secret. »
Le 18 décembre déjà, le même journal livrait à ses lecteurs une « exclu » valant son pesant d’arachides : « Karim Wade a quitté Doha pour Versailles, où il réside au moins depuis vendredi [14 décembre] ». Plus étonnant, poursuivait-il : à Paris, « [Karim Wade] aurait, de source sûre, rencontré le président Macky Sall ce lundi [17 décembre] dans l’après-midi. Même si rien n’a filtré de leur rencontre, il est clair qu’il s’agit de négociations liées à son retour à Dakar… »
Le quotidien cité ici est loin de représenter une exception : à la grande loterie où l’on mise sur la date du retour de Karim Wade, chacun ou presque a eu l’occasion de parier un jour, à ses risques et périls, comme le montre ce florilège.
Dès juillet 2016, un site Internet se référait déjà à « certaines sources dignes de foi qui jurent, la main sur le cœur, que le pape du Sopi [Abdoulaye Wade] pourrait bien devancer Karim Wade à Dakar ». À l’époque, la date est encore floue… Mais en décembre 2016, un site saint-louisien entrevoit l’avenir de manière plus nette, après l’avoir lu lui-même dans les cauris d’une autre publication : « Le candidat du PDS, Karim Wade, est attendu, dimanche 15 janvier [2017], à Dakar. […] La décision du retour de Wade fils a été prise ce dimanche 25 décembre, lors d’un conclave de 48 heures avec l’ancien président Abdoulaye Wade, qui est à Dubaï depuis plus de cinq jours. »
Dernière ligne droite
Pourtant, le 15 janvier suivant, toujours pas de Karim en vue au pays de la Teranga… Qu’à cela ne tienne ! En mars 2017, un autre site web rend compte de la prophétie livrée, dans une célèbre émission radio, par un cador du PDS : « [Karim] m’a dit au téléphone qu’il sera là quand nous arriverons dans la dernière ligne droite des élections législatives [prévues le 30 juillet suivant], et qu’il participera à la campagne. La dernière ligne droite des élections législatives, c’est, pour lui, les trois mois qui précèdent la tenue des élections. »
Alhamdoulilah ! Karim Wade ne saurait tarder, se disent alors ses partisans – et les journalistes. Tous en seront pour leurs frais. En septembre de la même année, un confrère online convoque jusqu’aux mânes d’un ancien ministre d’Abdoulaye Wade, qui lui livre une énième « révélation » : « Karim Wade sera à Dakar en juin 2018 ». L’échéance approcherait-elle ?
Ses bagages atterrissent… mais pas lui !
La présidentielle, elle, se rapproche à grands pas. Le 8 septembre 2018, le même site se montre à nouveau sûr de son fait : « Le candidat déclaré du PDS, Karim Wade, est attendu en novembre à Dakar. Cette information vient des militants libéraux de la diaspora, qui se disent, cette fois-ci, »catégoriques » sur son retour. » L’information est détaillée par un autre portail : « Karim Meïssa Wade et son père Gorgui Wade seront à Dakar dans la nuit du dimanche 18 novembre. Ce sera la veille [paradoxalement, pour ces talibés mourides revendiqués] du Gamou de Tivaouane. »
Puisque Karim tarde à rentrer, les oracles improvisés ont alors une idée de génie : à défaut de faire revenir au pays, par incantations interposées, le candidat du PDS, commençons par ses bagages ! Mi-novembre, un quotidien annonce donc en exclusivité qu’un vol de la compagnie Emirates a déchargé à l’Aéroport international Blaise-Diagne (AIBD), à proximité de Dakar, les valises et autres malles d’un Karim Wade qui ne saurait tarder à les y rejoindre. Un convoi qui ne constituerait, selon ces sources, que « le premier lot des bagages lourds du fils de l’ancien Président », lesquels auraient été déposés dans la maison familiale du Point E.
Encore raté ! Novembre tire sa révérence sans que Karim Meïssa Wade montre le bout de son nez. Un nouvel oracle sort alors de son silence pour livrer la date que tout le monde, au Sénégal, attend : « Karim Wade annoncé à Dakar le 11 décembre prochain », titre-t-il.
Moralité : lui seul connaît la date…
La leçon à tirer de cette logorrhée prédictive n’est guère difficile à énoncer. Depuis deux ans et demi, malgré de multiples assurances formulées par le « syndicat des proches – anonymes ou non – de Karim Wade », il semble clair que nul ne connaît la date de son retour au Sénégal, à part lui-même.
D’où cette double prédiction qui évitera à JA, on l’espère, un camouflet brutal début 2019 : Karim Wade reviendra un jour prochain au Sénégal. Et ce jour-là, les médias l’apprendront vraisemblablement après son atterrissage, et non avant.