Une des meilleures preuves de l’incongruité de cette loi sur le parrainage, c’est bien le fait que des milliers de nos concitoyens sont passibles de poursuites judiciaires pour avoir parrainé plus d’un candidat à la Présidentielle. Nos autorités envisageraient-elles de s’inspirer du modèle démocratique turc, caractérisé ces derniers temps par des arrestations de masse, après avoir importé de ce pays des blindés anti-émeutes, des gaz lacrymogènes et autres joujoux répressifs ?
Dans tous les cas, les Sénégalais observent, scandalisés, le «boucher» de Fatick tisser méthodiquement sa toile d’araignée pour écarter les derniers écueils à sa reconduction programmée.
Dans cette mélodramatique partie d’échecs, l’opposition apparaît de plus en plus sous les traits d’une victime sinon consentante, tout au moins inconsciente. Faisant montre d’un ego surdimensionné, la plupart de nos hommes politiques refusent de voir la réalité en face et font preuve de légèreté face au redoutable rouleau compresseur du Président Macky Sall. En effet, tout observateur sérieux de la scène politique nationale savait pertinemment que très peu de candidats franchiraient l’obstacle du parrainage citoyen pour plusieurs raisons.
Il y a d’abord le fait que la plupart d’entre eux, jouissant certes de bons coefficients personnels en termes de notoriété, dirigent des partis nouvellement créés, avec une faible implantation sur l’étendue du territoire national.
Ensuite, le nombre de signatures exigé est démesuré, rendant ce test du parrainage très peu sensible, car il doit être possible pour tout citoyen sénégalais de se présenter à l’élection présidentielle, s’il est porteur de vision et de propositions pour faire émerger notre pays. Or le «carnage» auquel l’évaluation tronquée des listes de parrainage semble devoir donner lieu est loin d’aider à rationaliser les candidatures pour en extirper celles fantaisistes ou suscitées par d’obscurs lobbies. Il semble plutôt traduire des desseins politiciens inavoués, comme la volonté de déblayer la voie du second mandat au Président sortant.
Ce test n’est pas non plus spécifique, car cette phase de pré-qualification aurait dû permettre d’éliminer les candidats les moins indiqués pour assumer la charge suprême. Or, que voyons-nous ?
Le Conseil constitutionnel, garant du droit, semble vouloir donner le quitus à certains candidats, dont celui sortant, accusés, à tort ou à raison, d’avoir usé de procédés peu licites (corruption, trafic d’influence…), pour obtenir des signatures en vue du parrainage. Il s’y ajoute le fait que plusieurs parmi eux ont déjà fait leurs preuves dans la gestion de notre pays, pas toujours de la manière la plus vertueuse.
Notre conviction demeure que dans une démocratie bourgeoise, des élections transparentes constituent l’outil le moins mauvais pour juger de la représentativité de différentes forces politiques en compétition.
Le parrainage citoyen ne devrait pas pouvoir jouer ce rôle. Il pourrait, tout au plus, être un instrument de présélection par les citoyens des meilleurs profils pour la fonction présidentielle. Dans cette optique, l’exigence de ne parrainer qu’un seul candidat n’est pas pertinente. Or la majorité des candidats éliminés ou en voie de l’être l’ont été ou vont l’être sur la base de la présence de doublons dans leur liste de parrains.
Enfin, l’évaluation, sous la supervision du Conseil constitutionnel, des listes de parrainage aura été plus technique que juridique, réalisée par des experts informatiques chevronnés, avec tous les risques de manipulation que cela pourrait induire, comme semblent le suggérer certains candidats recalés.
Après cet épisode avilissant du parrainage, il y aura très vraisemblablement celui tout aussi scandaleux de l’élimination judiciaire des candidats Karim Wade et Khalifa Sall.
Il résulte de tous ces développements que la seule solution qui s’offre aux partis d’opposition pour sortir du piège dans lequel le pouvoir est en train de les enfermer est de s’unir autour d’une candidature unique, centrée sur une plateforme programmatique, basée sur la refondation institutionnelle et la souveraineté économique.
A défaut, participer à la prochaine élection présidentielle équivaudrait simplement à servir de faire-valoir à des élections tronquées.
Nioxor TINE