Il est de ces hommes aux multiples talents et aux destins multiformes qui ont marqué l’histoire de manière si contrastée que le biographe reste d’abord confus : comment rendre compte d’une vie si riche ?
Ainsi de Seydou Badian : faut-il mettre en avant le médecin dont la thèse en 1956 portait déjà sur « les traitements africains de la fièvre jaune », le poète, auteur de l’hymne national du Mali (il prétend modestement qu’il s’agit en fait d’une œuvre collégiale), l’écrivain de l’œuvre culte « Sous l’Orage », de « Noces Sacrées », de « le Sang des masques », des « dirigeants africains face à leurs peuples » notamment, ou l’homme politique ?
En fait c’est dans l’engagement révolutionnaire au service de son pays et de l’Afrique qu’il convient de mettre l’accent : c’est là que ses talents et dons vont fusionner et s’exprimer en symbiose.
D’abord médecin de brousse, il s’engage bientôt auprès de Modibo Keita, dans l’organisation de la jeunesse de l’Union Soudanaise, section locale du Rassemblement Démocratique Africain (US/RDA).
Au sein de cette organisation créée en 1946 à Bamako, le seul à ce jour qui rassemblera d’emblée des partis de différents pays africains, avec l’objectif déclaré de lutter contre la colonisation française et de créer un Etat panafricain, il luttera sous le leadership de Modibo Keita avec les Sékou Touré et Djibo Bakary du Niger notamment pour maintenir l’orientation anticolonialiste et panafricaniste du RDA après le retournement du président Houphouët Boigny.
Ministre du Développement Rural et du Plan puis ministre du Développement du Mali à partir de 1962, il lance le plan de développement basé sur la diversification de l’agriculture et l’industrialisation de substitution. Le Mali sort alors du FCFA.
Envoyé en mission exploratoire en Chine en 1957 déjà, puis à la tête d’une délégation officielle en 1962, il est fasciné déjà par le « modèle chinois » et préconise que le Mali s’inspire plutôt du modèle de développement mis en œuvre par la République Populaire de Chine plutôt que de celui de l’Union Soviétique.
Il établira des relations privilégiées avec les leaders chinois de la première heure, en particulier avec Chou En Lai et Mao Tsé Toung, et aura porte ouverte à Pékin toute sa vie.
Déporté dans les geôles de Kidal à la suite du coup d’état militaire de 1968, il ne sera libéré qu’au bout d’une dizaine d’années, à la suite d’une campagne d’Amnesty International.
Il s’installe alors à Dakar avec son épouse Dr Henriette Kouyaté Carvalho d’Alvarengo, elle-même d’origine sénégalaise.
Il poursuit le rêve panafricaniste du RDA : il garde le contact avec Sékou Touré, conseille Sassou Nguéssou et tente de dialoguer avec Mathieu Kérékou. C’est sur le chemin de Ouagadougou pour rencontrer Thomas Sankara qu’il apprend l’assassinat du président du Faso.
Il ne rentre au Mali qu’après la chute du régime militaire en 1991. Il réintègre l’US RDA. Mais il en est exclu quand il refuse de cautionner la décision de la direction de son parti de ne pas reconnaitre la réélection d’Alpha Oumar Konaré et les institutions de la République à l’issue des élections de 1998.
Dernier survivant de la lignée des panafricanistes historiques, les Kwame Nkrumah, Sékou Touré, Ruben Um Nyobé, Cheikh Anta Diop, Bathélémy Boganda et Bakary Djibo notamment qu’il a côtoyé, il restera convaincu jusqu’à sa mort que la révolution panafricaine finira par s’imposer et que le socialisme est la clef du développement de l’Afrique.
Il gardera intact sa confiance et son espoir en la jeunesse africaine.
Il déclarait ainsi en septembre 2018 au micro du journaliste de RFI Serge Daniel : « Je dis à la jeunesse, rien n’est perdu. Il y a la corruption, des coups d’état prédateurs. Mais personne n’imaginait qu’un Sankara pouvait surgir. L’Afrique n’a pas un destin de continent médiocre. Demain, j’ai la conviction que tout ira bien. Quelqu’un a dit qu’il suffit d’une étincelle pour embraser la plaine. C’est Mao Tsé Toung ».
Propos de révolutionnaire dont on trouve l’écho et la justification dans ces mots de cet autre écrivain, Lu Xun, la figure de proue de la littérature moderne chinoise : « L’espérance n’est ni réalité ni chimère. Elle est comme les chemins de la terre sur la terre. Il n’y avait pas de chemins ; ils sont faits par le grands nombre de passants… »
* En 2009 Seydou Badian adopte officiellement le nom de NUOMBIANO à la place de Kouyaté.