Une vision doit pouvoir se résumer en une seule phrase. Idrissa Seck aura peut-être une autre chance de se rattraper, n’ayant pas lui-même présenté sa vision qu’on nous a annoncée patriotique, mais en 15 versions différentes et pas particulièrement patriotiques. Ses 3 axes stratégiques (gouvernance, économie, et sécurité) qui sont trop généraux devaient naturellement découler de cette vision claire et permettre une compréhension d’ensemble qui a fait défaut lors de la déclinaison de son programme avec le détail de 45 mesures de mise en œuvre. Il avait cependant lui-même annoncé ces 3 trois axes stratégiques sans vision clairement lors de son investiture, ce qui nous pousse à conclure qu’il n’a pas de vision nouvelle. Ces axes stratégiques peuvent néanmoins se résumer en un seul : « une meilleure gouvernance » dans la mise en œuvre de la vision du statu quo, « Yorinwi », selon ses propres termes. S’il ne propose qu’un axe stratégique d’un « Sénégal dans une gouvernance plus efficace, plus juste, et plus solidaire », cela explique la batterie de mesures d’ordre technique qui ont été présentées et qui sonnent comme des contributions à Macky Sall.
En effet, après avoir écouté l’exposé du programme du candidat Idrissa Seck, nous avons retenu des mesures sectorielles dans le style du candidat Bougane Gueye Dani sans fil conducteur, ce qui les place dans le même registre du management et de la gestion (la gouvernance) et moins du leadership. Une meilleure allocation des ressources et une meilleure gouvernance de nos institutions et secteurs seront toujours possibles, mais il est nécessaire de décliner la vision qui justifie la pertinence des choix. De ce point de vue, le candidat Idrissa Seck ne nous a pas présenté un lendemain véritablement nouveau vers lequel il veut nous amener pour justifier une alternance à son profit. Il est comme beaucoup de nos hommes politiques dans une logique de réforme de nos institutions qui fonctionnent relativement bien et du renouvellement de leurs animateurs. Il est également dans une logique d’une meilleure (juste, équitable, efficace, et solidaire) allocation sectorielle du budget de l’Etat et de nos capacités d’endettement et leur déploiement comme moyens nous dit-il, d’impulsion de l’activité économique. C’est cette dernière façon de faire que nous avons caractérisée comme celle d’un Etat socialisant et développementaliste digne de bons socialistes que le Sénégal doit alterner ou maintenir Macky Sall en poste. Malheureusement, bien que se disant libéral, Idrissa Seck n’a pas dérogé au socialisme congénital sénégalais qui voit l’Etat comme solution à nos problèmes économiques sectoriels, ce qui n’a pas changé nos conditions de vie en 60 ans d’indépendance.
De ce fait, Idrissa Seck est passé à côté de ce qui pour nous est l’enjeu véritable de l’élection présidentielle de 2019 et que nous avons exposé dans une récente contribution (Libéralisme Patriotique ou Socialisme) et par rapport auquel le président Macky Sall joue sur deux tableaux. Il s’agit de soit, libérer et responsabiliser les nationaux avec l’appui de l’Etat dans leur propre développement avec un environnement économique nouveau d’accompagnement ou dans notre environnement économique actuel diriger le développement et socialiser les décisions en mettant l’Etat au cœur du processus avec l’appui du capital étranger et sous leadership d’Etats (Chine, Turquie, etc..). Macky Sall dit être à la fois pour l’un et pour l’autre mais ses choix le placent résolument dans la deuxième option. Nous l’avons expliqué dans une contribution intitulée (Macky Sall a Choisi : Socialisme et Capital Etranger). Il dit que le secteur privé national doit prendre le relais de la croissance mais crée les conditions du leadership du secteur privé international dans le cadre de la CEDEAO ou de l’UEMOA avec une monnaie unique dont le taux de change sera nécessairement fixe sans une politique monétaire propre, ce qui favorisera le capital étranger. En effet, notre environnement économique actuel est principalement notre appartenance à ces ensembles sous-régionaux qui limitent notre souveraineté économique comme moyen devant nous permettre de mener des politiques économiques libérales au profit du secteur privé national.
Par ailleurs, Idrissa Seck promet une décentralisation plus approfondie avec des transferts de ressources aux collectivités locales. Macky Sall est également pour la responsabilisation des élus locaux (décentralisation) mais tous ses programmes sont mis en œuvre dans une logique de relais locaux de l’Etat (déconcentration). Dans un prochain mandat, il a promis aux quelques 500 maires qui le soutiennent qu’il va abandonner cette façon de faire dans le cadre de pôles régionaux qu’il avait annoncés il y a 7 ans et qui sont promis par presque tous les candidats à la présidence de la République. Les pôles régionaux ne peuvent cependant pas être responsabilisés sans un système monétaire et financier d’accompagnement étant donnés les moyens limités de l’Etat central et la faible inclusion financière des collectivités locales et des populations.
De ce fait, en proposant de garder le FCFA en l’état et d’œuvrer pour une monnaie unique CEDEAO à moyen et long terme, et de renégocier les APE dans ces contraintes, Idrissa Seck ne se différencie pas de Macky Sall et des autres candidats. Nous pouvons donc conclure que ses mesures de meilleure gouvernance économique, institutionnelle, et sectorielle ne produiront pas de résultats significativement différents de ceux des 60 dernières années et ne pourront pas être patriotiques car non localement finançables. L’emploi sous le leadership du secteur privé national ne pourra pas non plus être réalisable et ne sera donc pas patriotique pour garantir un pouvoir d’achat local. Les propositions de meilleure gouvernance quoi que potentiellement valables ne justifient donc pas une alternance dans un contexte où le choix le plus important est celui de notre modèle économique. En effet, des mesures telles qu’une justice plus indépendante, une décentralisation plus autonomisante, une meilleure santé et une meilleure éducation, et un audit juridique des contrats d’exploitation de nos ressources naturelles, etc. peuvent faire l’objet de consensus de toute la classe politique. Le candidat Idrissa Seck prépare-t-il un deuxième tour dans une position défavorable ? L’avenir nous le dira.
Nous affirmons à l’endroit de tous les candidats à la présidence de la République que tout programme qui n’a pas en son sein le décrochage de notre monnaie et sa flexibilisation pour accompagner une politique économique libérale au profit du secteur privé national ne peut être que le statu quo. Ce statu quo sera une croissance impulsée par l’Etat et le capital étranger pour, à travers le budget, améliorer les conditions sociales des populations plutôt que de les autonomiser vis-à-vis de l’Etat et du capital étranger. C’est l’option du président Macky Sall et il n’y a qu’une alternative à cet état de fait : le libéralisme patriotique qui est impossible sans un système monétaire et financier national et souverain d’accompagnement ou tout au moins au niveau de l’UEMOA pour éviter un abus de l’instrument monétaire et de change.