#Enjeux2019 – L’actualité politique de notre pays – avec son lot de dérives financières et d’exactions antidémocratiques – semble occulter l’historique mobilisation citoyenne qui a permis l’élection présidentielle de 2012. Le combat citoyen avait réussi à hisser la réputation du Sénégal sur le toit du monde à l’image des démocraties les plus avancées. Cette période historique marquée d’une pierre blanche avait confirmé la montée en puissance de la société civile.
Longtemps décriée, ses contours restent difficiles à dessiner tant elle a été et continue à être le repère d’une multitude d’individus peu recommandables. L’existence d’un passage souterrain entre la société civile et les « citadelles » de la politique donne corps à cette hypothèse. C’est fort de cette lecture que le pouvoir actuel s’est très tôt organisé pour œuvrer à sa neutralisation. Des syndicats, des journalistes, des marabouts, des intellectuels ont été démarchés parfois avec succès pour se taire et laisser les mains libres aux politiques. L’exploit a consisté à obtenir un lourd silence sur les actes irrationnels d’un pouvoir dont la vocation première n’est pas de faire le bien. Vous voulez des hôpitaux fonctionnels ? Vous aurez des routes. Vous voulez des écoles pour vos enfants ? Vous aurez des infrastructures sportives de dernière génération, etc. C’est cela notre principal problème, car la priorité est une notion absente de la conscience de ceux qui veulent faire notre bonheur sans nous.
Les « élites politiques » vont à contrecourant des intérêts des populations consacrant ainsi une sorte de Sénégal sans les Sénégalais. Une stratégie qui trouve sa logique dans la structure même de notre économie de rentes ouverte sur un monde dérégulé et impitoyable. Dans sa quête désespérée du « consensus politicien » qui ouvre la voie à la prévarication, à la corruption et à l’enrichissement illicite, le pouvoir utilise tous les moyens pour arriver à ses fins. Lorsque l’argent parle, la société civile vacille, c’est bien connu. Récemment, nous l’avons vu, il était question de l’affaiblir financièrement en supprimant des solidarités pourtant encadrées par la loi (menaces sur les ONG). Combattre des membres actifs de la société civile c’est prendre le risque de fragiliser la démocratie et de préparer l’errance insidieuse de l’État.
L’économiste François-Xavier Verschave l’explique très bien dans son livre intitulé Noir silence : « Une société va bien, gonflée comme un ballon de rugby, quand à ce niveau central une majorité de gens croient en leurs valeurs, croient qu’il y a plus à gagner qu’à perdre à les pratiquer. Ce que tendent à ne plus faire les tenants de l’étage supérieur (pouvoir). Une société va mal quand tout le monde croit qu’on ne peut s’en sortir sans tricher. Cessant d’être dilaté par la confiance, l’étage central se contracte, le ballon se déforme en sablier, les médiations disparaissent, les forts écrasent les faibles. La leçon universelle devient : volons au besoin tuons. À l’extrême, cela conduit au génocide, l’autre est toujours de trop ».
Elle est là, la fonction essentielle de la société civile, lorsqu’elle invente par « ses médiations des jeux à sommes positives » qui permettent d’imposer dans le débat public les aspirations légitimes des populations. Sa présence de plus en plus importante dans l’espace public consacre le fait que nous devons inventer une véritable démocratie citoyenne et participative au Sénégal. Dans les pays où cette dynamique citoyenne est bridée, devant la raréfaction des richesses, les sociétés se sont disloquées et parfois enlisées dans la guerre. L’exemple récent de la Côte d’Ivoire et la scandaleuse stagnation de la République Démocratique du Congo sont là pour illustrer cet état de fait.
Le Sénégal entre dans une phase douloureuse qui consacre la mutation ultime de son État depuis l’obtention de son indépendance en 1960. L’absence de dialogue et de consensus autour du processus électoral à la veille de l’élection du prochain président de la République met en exergue cette longue marche à reculons. Une telle situation est inquiétante, mais elle ne saurait masquer l’extraordinaire dynamisme social qui traverse toutes les franges de notre société. Il n’est nul besoin d’utiliser une machine à remonter le temps pour comprendre ce qui se joue sous nos yeux. Il s’agit bel et bien de faire appel à notre mémoire collective pour nous rendre compte que nous avons perdu un temps inestimable du fait de l’incurie de nos dirigeants politiques.
Notre société civile est un véritable et précieux rempart contre la porosité de notre économie, l’arbitraire, la veulerie et la haine des plus faibles. Malgré les apparences, le Sénégal est bel et bien entré dans l’ère d’une entière et pleine prise en compte de ses intérêts vitaux, par ses propres filles et fils. C’est une question de courage et de volonté politique.
Almamy Mamadou Wane est écrivain, essayiste et poète. Éditorialiste à SenePlus.com. Il a publié plusieurs essais politiques. Il est l’auteur du livre « Le Sénégal entre deux naufrages ? Le Joola et l’alternance« . Dans son dernier ouvrage « Le secret des nuages » paru à l’Harmattan il y a quelques semaines, il revendique une poésie sociale qui se veut au service de la collectivité.