#Enjeux2019 – Le Sénégal qui comptait 23% de citadins en 1960 en recense maintenant 47%. Le processus, déjà problématique, va continuer de bouleverser nos modes de production et de vie. Les villes constituent des espaces de concentration des hommes, des activités, génèrent une richesse considérable, mais elles produisent également de multiples maux.
Au Sénégal, la question urbaine a longtemps été reléguée au second plan. Notre modèle de développement construit sur la rente agricole, une économie extravertie, les zones rurales devaient être le moteur de la croissance et du développement socioéconomique. Depuis le début des années 2000, on assiste à un renversement de perspective, les espaces urbanisés, les grandes agglomérations notamment, sont les centres de gravité des politiques économiques et infrastructurelles. Cette nouvelle donne signe-t-elle la victoire définitive des villes sur les campagnes ? Est-ce le début de la fin, à moyen ou long terme des campagnes Sénégalaises ?
– Diamniadio ou rien ! –
« Ville nouvelle », « nouvelle capitale », « pôle urbain ». Autant de termes évocateurs de la manière d’appréhender et de structurer le territoire, en mettant l’accent sur la ville et la nécessité de réorganiser l’espace, national ou régional.
Il y a une distinction à faire entre l’espace national sénégalais et l’espace régional dakarois. Le président Abdoulaye Wade avait proposé la construction d’une nouvelle ville, probable future capitale, à l’image de la Côte d’Ivoire avec Yamoussoukro. Raisons invoquées pour la construction d’un nouveau pôle de développement centralisateur : Dakar se caractérise par une très forte concentration humaine et des activités ; c’est une ville enfermée dans son cadre naturel ; par sa position excentrée, les connexions avec les villes de l’intérieur sont inefficaces. Cette situation favorise la concentration de l’essentiel de la population sénégalaise dans la partie Ouest (Thiès, Diourbel, Kaolack…), en opposition avec l’Est faiblement occupé. L’idée de délocalisation de la capitale était énoncée dans le souci d’équilibrer le territoire sénégalais. Toutefois, le choix de l’implantation de la nouvelle ville de Wade ne garantissait nullement une préoccupation d’aménagement rationnel du territoire. Les sites proposés au départ par l’APIX maître d’ouvrage du projet étaient Mékhé-Pékesse, Thiénaba-Khombole, Ndiaganiao-Fissel, Diakhao-Ouadiour auxquels Lompoul est venue s’ajouter, suscitant des suspicions car Lompoul se trouve à proximité de Kébémer, ville natale du président Wade. Kébémer était le choix du cœur qui pouvait sensiblement diviser les Sénégalais. Cet important projet a échoué en raison des imprécisions des décideurs politiques. Probablement en raison du manque de moyens également.
L’administration du président Macky Sall a repris l’initiative en faisant la synthèse de plusieurs projets structurants mais dispersés de l’ère Wade : la Plateforme (industrielle) de Diamniadio devenue zone économique spéciale et la nouvelle ville/capitale, en choisissant un lieu unique : Diamniadio. Si l’objectif de délocalisation de la capitale était de rééquilibrer le territoire national, Diamniadio, pôles urbain et industriel confondus, a prioritairement pour objectif le rééquilibrage du territoire régional dakarois, de réorienter le centre de gravité de la capitale du Plateau vers l’Est. Depuis, on assiste à une prolifération d’infrastructures dans cette partie, reliée par des voies rapides (autoroute, chemin de fer) : Université, Stade, domaine industrielle, cité administrative, parc de logements, etc.
– Voir plus loin que le bout de sa capitale –
Ce qui est intéressant dans la stratégie déployée à Diamniadio, c’est que nous avons la construction d’un espace multifonctionnel. Fini le temps de l’urbanisme de zonage strict : habitat, activités économiques, loisirs, complétement séparés. Toutefois, là où le bât blesse, c’est le modèle d’urbanisme et d’architecture prôné (la verticalité avec une impression parfois futuriste, y compris pour les bâtiments à usage d’habitation), qui ne correspond pas forcément aux aspirations des Sénégalais, qui plus est, avec des prix inaccessibles pour le commun des citoyens. Sans oublier les inextricables questions foncières. En termes d’aménagement du territoire, c’est l’amplification de l’hypertrophie de la capitale. Les densités déjà très élevées dans la région urbaine de Dakar vont s’accentuer. Plus il y aura d’infrastructures, plus il y aura de services, plus il y aura d’emplois, plus il y aura une qualité de vie, plus il y aura d’habitants et plus les besoins en logements seront croissants.
Le Sénégal ne se limite à pas à Dakar et à Diamniadio. Sur le plan urbain, les régions de l’intérieur sont très peu concernées par les programmes structurants. Il est important de penser à implanter des domaines industriels de moindres dimensions en relation avec les potentialités économiques locales, minières, touristiques, halieutiques, forestières, agricoles et pastorales notamment. En dehors de Thiès, nos régions de l’intérieur sont peu touchées par l’industrialisation. Avec le développement de pôles industriels, administratifs, touristiques, universitaires, etc. accompagnés bien sûr de ressources humaines de qualité, nos villes pourront offrir des emplois et de meilleurs services à leurs habitants.
– Lorsque les slogans prennent le dessus –
On est assez habitué dans ce pays à entendre des slogans qui ne sont malheureusement jamais adossés sur une vision claire quant à la manière et aux moyens de résoudre les problèmes. « Un Sénégalais, un toit » et même là où les Nations Unies évoquaient une échéance à 2020, les autorités sénégalaises parlaient de « l’éradication des bidonvilles d’ici 2015 ». On se rappelle, dans un autre domaine, les promesses d’autosuffisance en riz pour 2017… Quelle volonté pour parvenir à des objectifs, si tant soit peu, il s’agit d’objectifs et non de simples incantations ? Car c’est tout le problème de notre urbanisme, qui se nourrit souvent d’idéaux et minore les réalités bien plus frustres.
Parmi les incohérences en matière de politique urbaine, nous relevons de nombreuses expressions à l’emporte-pièce : « renouveau urbain », « requalification des banlieues » Certains vont même jusqu’à nous vendre des concepts à la mode dans les pays développés, à savoir aérotropolis (ville aéroportuaire) à propos de Diass ou smart city (ville intelligente), à propos de Diamniadio. A tâtonnement conceptuel, vacuité des actions…
Se focaliser sur la « ville de demain », c’est certainement oublier que nous sommes certes un pays en progrès, mais encore très pauvre. Ce n’est ne pas prendre en compte la réalité de nos villes qui n’arrivent pas à satisfaire les besoins primaires de leurs habitants. C’est oublier qu’une bonne partie des quartiers de la région de Dakar et de nos villes secondaires vit dans une trame irrégulière, avec des inondations récurrentes, des problèmes d’accès à l’eau potable et au système d’assainissement. Que l’évacuation des ordures reste une équation toujours pas résolue et que nos villes restent sales et pour certaines très polluées. Que l’éclairage public constitue un luxe, y compris dans la plus belle de nos villes, l’insécurité omniprésente, avec des agressions en plein jour. Et pendant qu’on nous parle de ville intelligente, la plupart de nos villes secondaires ont un système de transport inexistant ou désorganisé, alors qu’il est déjà très difficile de se garer dans Dakar… Nous devons certes penser l’avenir, mais toujours garder les pieds sur terre. Ne surtout jamais oublier qu’une ville se construit avec ses habitants qui ne sont pas des objets.
Le défi qui n’est certes pas nouveau, c’est arrêter l’urbanisme de rattrapage, qui fait qu’on laisse les problèmes s’amplifier, pour venir un jour essayer de les corriger. Il nous faut un nouvel urbanisme d’anticipation, qui ne laisse pas la place au hasard ou à l’improvisation. En dépit des connaissances sur les désidératas de notre urbanisme, les tares demeurent. Beaucoup de quartiers récents (Hann Mariste, Ouest Foire, Scat-Urbam, Cité Santé Keur Massar, etc.) sont aujourd’hui l’objet d’inondations parce qu’il n’y a pas eu d’étude des sols ou d’installation de réseau d’assainissement et d’évacuation des eaux de pluie.
Il faut une politique d’habitat et de logement clairement définie pour que chaque citoyen puisse accéder au toit dans des conditions décentes. L’Etat doit arrêter cette spéculation incompréhensible qui fait qu’un Sénégalais aux revenus modestes peut difficilement acquérir un terrain. Notre urbanisme doit aussi être responsable et arrêter les faux semblants. Les services d’urbanisme et de contrôle, par leur laxisme, quelques fois leur complicité négative, ont largement contribué à la prolifération des quartiers anarchiques et à l’aggravation des inondations. Que font-ils concernant les nouveaux quartiers en voie d’« anarchisation » à Keur Massar, Tivaouane Peul, Rufisque, Diamniadio… ? Le laisser-aller et le laisser-faire doivent être à jamais bannis. Toute nouvelle implantation doit être bien étudiée au préalable et doit être accompagnée d’équipements et infrastructures. Même le stationnement doit être étudié dans un contexte de croissance rapide du parc automobile. Enfin, il faut réfléchir à cette curiosité bien sénégalaise, où on oublie la vie après la mort. L’état de nos cimetières est chaotique. Souvent, les cimetières ne sont même pas inclus dans les plans d’aménagement.
L’urbanisme dont la densification au sol et en hauteur est la règle principale, est porteur de dangers : inondations, surpopulation, promiscuité, problèmes de salubrité et d’hygiène, maladies infectieuses, prostitution, criminalité, etc. Aussi, le nouveau défi urbain est de desserrer nos quartiers, donc avec plus d’espaces verts, plus de promenades, plus de parkings, plus d’espaces publics, plus de terrains de sport (basket, handball, football…).
- La ville sénégalaise doit conserver son identité –
Le processus urbain va s’intensifier de manière irréversible. Les villes vont continuer de croître, spatialement et démographiquement. Des villages vont s’urbaniser. Selon les projections de la Banque mondiale, en 2050, 65% des Sénégalais seront urbains, soit 16 millions de personnes. C’est important, comme c’est le cas dans les pays développés, d’avoir un réseau urbain bien structuré sur l’ensemble du territoire national et de construire une complémentarité entre espaces urbains et zones rurales. Il est aussi important de repenser les modèles d’urbanisme. Le développement doit-il nécessairement signifier l’importation de formes d’urbanisme, de pays qui ont des environnements, des climats, des économies, des sociétés, des cultures, différents des nôtres ? Nos villes doivent, en étant modernes, conserver une certaine identité culturelle, synonyme de rencontres, de spontanéité, de solidarité. Les cultures urbaines héritées des traditions (Kankourang, simb…) peuvent s’épanouir dans un cadre de respect des lois, donc encadrées par la force publique.
Docteur Youssouph Sané est Enseignant-chercheur vacataire au Département de Géographie de l’Université Cheikh Anta Diop à Dakar. Spécialiste en aménagement du territoire, urbanisme et décentralisation.