Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé étaient poursuivis pour crimes contre l’humanité après les violences postélectorales de 2010 et 2011. Mais ce mardi 15 janvier 2019, la Cour pénale internationale a décidé de leur acquittement et ordonné leur libération immédiate. Cependant les deux accusés devront passer une nuit de plus dans la prison de Scheveningen, le temps de savoir si le procureur décidera de faire appel ou pas lors d’une nouvelle audience.
Paradoxalement cette victoire personnelle de l’ancien président de Côte d’Ivoire peut aussi être interprétée comme un succès de la CPI qui est une cour pénale internationale très controversée, surtout en Afrique où elle est accusée, à tort ou à raison, d’être un tribunal partisan. En délivrant ce verdict dicté par la raison et les faits, principalement l’absence de preuves déterminantes et suffisantes pour condamner, la CPI redore un tant soit peu son blason terni par les soupçons et fait montre de son indépendance, de sa sérénité et de son professionnalisme.
Entre novembre 2011, où Laurent Gbagbo est incarcéré au centre de détention de la Cour pénale internationale (CPI) et ce 14 janvier 2019 où le juge-président Cuno Tarfusser décide son acquittement et ordonne sa mise en liberté immédiate, que s’est-il passé durant ces sept dernières années pour justifier un tel retournement de situation ? Plusieurs raisons l’expliquent. Les dirigeants et acteurs politiques français ont changé de doctrine en ce qui concerne les affaires africaines de la France. Et puis la CPI est fondée sur le droit et le statut de Rome : aucun ressortissant d’un pays non-signataire du statut de Rome ne peut être déféré devant la CPI. Or en novembre 2011, quand Gbagbo est transféré, la Côte d’Ivoire n’avait pas signé le statut de Rome. Cela a été fait deux ans plus tard en 2013, après l’arrestation de Laurent Gbagbo. Mais en 2013 le statut de Rome n’était pas conforme à la Constitution ivoirienne, la modification n’a été faite qu’en 2015. Autrement dit, en 2013, la signature du statut de Rome n’était pas valable. Sur la forme, le transfert de Laurent Gbagbo à La Haye était déjà anormal. Sept ans plus tard, force est de constater que sur le fond également, le dossier s’est manifestement dégonflé… L’histoire a donné raison à Laurent Gbagbo.
Si l’objectif, en déferant Laurent Gbagbo devant la CPI, était de l’exclure totalement et de tourner la page après la crise électorale de 2011, c’est tout l’inverse qui se produira finalement. En effet, Laurent Gbagbo est devenu un symbole, pas seulement en Côte d’Ivoire, mais ailleurs aussi en Afrique. Sa libération sera donc perçue comme une victoire sur l’ingérence et on peut s’attendre à voir la foule l’accueillir en Mandela, Laurent Gbagbo étant perçu en symbole de la lutte pour la souveraineté de l’Afrique. Sa libération va permettre d’écrire un nouveau chapitre. Laurent Gbagbo n’est pas dans un esprit revanchard. Quand il avait été libéré, Nelson Mandela avait dit qu’il ne pensait pas à la vengeance, il n’avait pas le temps pour ça. Gbagbo est dans le même état d’esprit. Il veut que la Côte d’Ivoire se reprenne et se développe. Il défend la réconciliation, tant en Côte d’Ivoire que dans ses relations avec la France. C’est une occasion à saisir pour le gouvernement français qui pourrait avoir un impact pas seulement en Côte d’Ivoire, mais dans toute la région. Les Français devraient plutôt changer leur grille de lecture sur la Côte d’Ivoire et sur l’Afrique en général. Simone Gbagbo, qui avait été dépeinte en sorcière intégriste de secte évangéliste a surpris par son attitude qui prône la réconciliation. Mais la façon dont la France gère les choses aujourd’hui n’est pas correcte. Nous sommes en 2019, les pays doivent être souverains et les relations se transformer équitablement. C’est dans l’ordre des choses et dans l’intérêt général. Un vent nouveau souffle sur l’Afrique, et selon le célèbre slogan de Gbagbo : “Asseyons-nous et discutons.”