Les élections sont un moment politique. Organisées à terme échu, elles sont réglementées par la loi. La loi est votée par l’Assemblée Nationale, elle-même élue au suffrage universel. Les juges sont nommés par le pouvoir exécutif. Celui-ci, également, tient sa légitimité du suffrage universel. En réalité, dans notre système politique hérité de la colonisation française, tous les pouvoirs viennent du peuple. Et seul le peuple est souverain. C’est pour cela que la parole doit lui être rendue à l’occasion de consultations régulières. Celles-ci doivent être transparentes, équitables et justes. Pour être incontestables, et à toutes les étapes du déroulement du processus électoral, tous les acteurs doivent être traités avec une égale dignité. La concertation et la bonne information de tous sont le levier de la confiance indispensable pour sécuriser, en amont, la quiétude des opérations devant aboutir à l’expression du suffrage des sénégalais en toute sérénité.
Sous ce rapport, il semble que la mise en route du processus électoral menant vers le scrutin du 24 février 2019 aura été la plus chaotique de notre histoire politique. Depuis notre accession à l’indépendance en 1960 : persécutions judiciaires et emprisonnement de candidats potentiels, vote en force d’une loi sur le parrainage sans consensus sur les modalités de sa mise en œuvre, rupture de confiance profonde entre l’opposition et le pouvoir consécutivement à des tripatouillages multiples de la Constitution et de la loi électorale, bref changement unilatéral des règles du jeu, au cours du jeu, sans l’accord des joueurs ! Tout arbitre sur un autre terrain de jeu se serait vu, tout simplement, lyncher !
Dans cette atmosphère lourde de suspicions et de défiance, les élections à venir sont périlleuses. Car, si les conditions de prise de parole du peuple sont altérées, son verbe peut devenir haut ou se transformer en un cri dévastateur. Dieu nous en garde.
Les pouvoirs, législatif et judiciaire, semblent avoir pris fait et cause pour le chef de l’exécutif, Macky Sall, candidat à sa propre succession pour la dernière fois. L’Assemblée nationale a voté, dans une discipline militaire et sans débats, la loi sur le parrainage. Et le Conseil constitutionnel vient de qualifier « d’allégations » tous les griefs formulés contre ladite loi par l’opposition après, pourtant, des semaines d’expérimentation sur le terrain. Retenons au demeurant, que l’idée d’une régulation des conditions de participation à l’élection présidentielle dans notre pays est largement partagée par la plupart des acteurs politiques, hommes d’État largement éprouvés. Ce simple fait aurait dû permettre de fonder un consensus fort sur les voies et moyens d’y parvenir. Hélas, le désir ardent d’obtenir un second mandat aura primé sur la quête de l’efficience et le souci de l’élégance républicaine.
Cela étant, on peut déplorer que des personnalités de premier plan de la vie politique et administrative de notre pays se retrouvent exclues de la course à la présidentielle, sans avoir eu l’occasion d’exposer leur vision et leur projet pour le Sénégal. Elles auront dépensé des dizaines de millions de francs CFA en termes d’organisation et de logistique, mais aussi d’équipements et d’émoluments, pour mener à bien la collecte des signatures sur toute l’étendue du territoire national. A peu de choses près, tous les candidats à la candidature auront joué le jeu jusqu’au bout. Sans aucun soutien de l’Etat. Notre bien commun. C’est en cela que la décision du Conseil constitutionnel est déconcertante car, le grief principal portant sur la fiabilité du fichier électoral n’a pas fait l’objet d’un arbitrage. Or, tous les candidats se sont plaints, avec une foultitude d’arguments parfaitement intelligibles, des facéties des algorithmes du fichier ayant servi à rejeter, pour les disqualifier, des milliers de parrains. Notons au passage que les algorithmes ne font que ce qu’on leur a demandé de faire ! Cette situation méritait d’être corrigée en amont ou rectifiée en aval. En Amont, par la mise à la disposition de tous les candidats d’un seul et même fichier après audit contradictoire. En aval, par la prise en compte des griefs s’il est prouvé qu’ils relèvent d’un vice de forme ou de fond sur le fichier utilisé par le Conseil constitutionnel. Sinon, une amertume légitime continuera à hanter les équipes de parrainage des différents candidats exclus sans avoir été convaincus d’avoir commis une faute.
Tout cela étant dit, il ne reste plus que le recours au peuple. Le recours à l’arbitrage du peuple au nom duquel les institutions fonctionnent. Le peuple souverain. L’opposition doit, sans tarder, lancer une campagne d’explication à propos de tous les griefs que les juges n’ont pas voulu entendre. A travers tout le pays, des groupes rassemblant les militants et sympathisants de tous les candidats doivent se retrouver et investir les médias, organiser des campagnes de sensibilisation et de clarification des problèmes qui ont entaché le processus électoral depuis les dernières élections législatives. Interpeller, dans le même temps, les partenaires du Sénégal et les Institutions internationales sur les disfonctionnements qui ont jalonné le processus électoral en cours.
Au sortir de l’élection présidentielle, quel que soit le vainqueur, une évaluation objective devra être faite et les correctifs apportés sur notre système électoral pour les échéances à venir.
En tout état de cause, et je ne l’exclue pas, la résistance à l’outrance est une dimension de la restauration de l’ordre républicain car, lorsque les contre-pouvoirs s’affaissent, c’est le début de la tyrannie.