Lettre ouverte aux candidats à l’élection présidentielle du 24 février 2019: de l’impérieuse nécessité de prendre en compte la situation des droits des femmes et des enfants dans leurs programmes pour l’élection présidentielle.
Rappel de quelques textes et programmes fondamentaux de promotion et de protection des droits des femmes et des enfants
Vous n’êtes pas sans savoir que le Sénégal s’est engagé à promouvoir et à protéger les droits des femmes et des enfants, à travers la signature et la ratification de différents traités et conventions notamment la Convention sur l’Elimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18 septembre 1981, ratifiée le 5 février 1985 (CEDEF), la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et son Protocole communément appelé Protocole de Maputo, ratifiée en 2004, la Convention relative aux droits de l’enfant, ratifiée le 31juillet 1990 (CDE), la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant ratifiée le 22 septembre 1998 (CADBE), La Déclaration et la Plateforme de Beijing de 1995, les Objectifs Développement Durable(ODD) notamment 5 (égalité ) et 4 (éducation).
Au niveau national , ces textes sont repris (CEDAF) et complétés par la Constitution du 22 janvier 2001 notamment en ses articles 7 alinéa 4 et 5 ((Egalité homme femme), 15 (égal accès des hommes et des femmes à la terre) ; 17 protection de la famille), 18 (mariage) et 25 alinéas 2 ( non-discrimination de l’homme et de la femme devant l’emploi); la loi n°2005-06 du 10 mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes et l’élaboration de programmes et stratégies notamment la Stratégie Nationale de l’Equipe et l’Egalité de Genre (SNEEG) et la Stratégie Nationale de Protection de l’Enfance (SNPE).
Chers candidats,
A quelques encablures de l’échéance présidentielle, l’Association des Juristes Sénégalaises (AJS) vous interpelle sur l’importance de prendre en compte les droits des femmes et des enfants dans vos programmes respectifs. En effet, vous n’ignorez pas la place centrale de la femme dans notre société.
Malgré les avancées notées, l’AJS demeure particulièrement préoccupée par la non effectivité de certains droits et les défis majeurs qui restent à relever dans la promotion et la réalisation des droits des femmes et des enfants au Sénégal. Cet état de fait va à l’encontre des engagements pris par notre pays au niveau international, régional et national à travers les traités, conventions et textes cités plus haut.
La ratification de ces instruments juridiques constitue une source d’obligations pour le Sénégal, qui s’est engagé, par la même occasion, à transcrire et à réaliser les droits proclamés dans ces dits instruments.
L’AJS, à travers cette lettre ouverte, vous interpelle sur la situation des droits des femmes et des enfants et leur prise en compte dans vos projets politiques.
Sur les droits politiques notamment le droit d’accès aux responsabilités publiques.
La loi n°2010-11 du 28 mai 2010 sur la parité constitue une avancée majeure en matière de promotion et de réalisation des droits politiques des femmes. Elle nous a valu lors de sa première mise en œuvre en 2012 un taux de représentation des femmes au Parlement de 42,7%, 41,8% en 2017et de 47, 2 % en 2014 au niveau des instances locales.
Cependant, cette loi qui ne s’applique qu’aux instances électives et semi électives et non aux postes de nomination, a un champ d’application limité et son décret a fait souvent l’objet de violation.
Nul besoin de rappeler les épisodes des élections municipales de 2014, ainsi que la non-exécution de la décision de la Cour Suprême du 8 janvier 2015.
L’AJS vous interpelle sur comment consolider la loi sur la parité et aller au-delà afin de permettre aux femmes d’accéder à tous les niveaux et à toutes les instances de décision conformément à l’article 9 du Protocole de Maputo ; en outre comment comptez-vous renforcer la formation et le leadership politiques des femmes ?
Sur les droits sociaux, économiques
L’AJS constate avec regret la persistance de certaines dispositions législatives et réglementaires discriminatoires à l’égard des femmes et des filles (notamment dans le code de famille), les violences subies par les femmes et les enfants
Ceci entrave considérablement l’autonomisation des femmes et l’épanouissement des enfants.
L’âge légal du mariage de la fille
L’article 111 du Code de la Famille fixe l’âge du mariage de la fille à 16 ans et même en dessous sur autorisation du juge.
Quelles dispositions comptez-vous prendre en tant que candidats pour mettre en harmonie avec les conventions ratifiées par le Sénégal et l’article 7 de notre Constitution qui fixent l’âge du mariage à 18 ans ?
La responsabilité conjointe ou l’autorité parentale
Quelles dispositions comptez-vous prendre pour que le ménage et l’administration légale des enfants fassent l’objet d’une responsabilité partagée entre les conjoints en modifiant l’article 138 du Code de la Famille ?
Sur les violences faites aux femmes et aux enfants
Le constat est unanime, les femmes et les enfants font l’objet de violences récurrentes dans la société, ces violences sont faites dans toutes les sphères : famille, travail, école, champ politique entre autres.
L’AJS vous interpelle sur les dispositions à prendre pour une meilleure protection des femmes contre les violences notamment en matière de prévention (renforcement des sanctions et criminalisation du viol) et de prise en charge des survivants des violences.
Sur la situation de rue des enfants
L’AJS vous interpelle sur les dispositions que vous comptez mettre en œuvre pour l’application effective de la loi contre la traite et l’article 245 du Code Pénal et l’adoption du projet de loi sur le statut des daaras et du code de l’enfant ; afin de protéger les enfants contre la mendicité forcée et de leur permettre d’accéder gratuitement à une éducation de qualité.
Accès des femmes aux ressources, à la terre, aux intrants, au crédit
Que proposent les candidats que vous êtes pour renforcer l’accès des femmes à la terre (70% agriculture et 13% propriétaires de terre selon le rapport de la SNEEG 2015) aux intrants et matériels et aux ressources financières afin de mieux promouvoir leur autonomisation économique ?
Sur la santé de la reproduction
Les femmes et les filles subissent une autre forme de violence liée à la non effectivité de certains droits sexuels et reproductifs. S’il est vrai qu’on peut noter une avancée avec l’adoption de la loi sur la santé de la reproduction, vous êtes interpelés sur l’harmonisation de cette loi avec l’article 14 du Protocole de Maputo.
Sur l’application de la loi antitabac
La loi N¨°2014-14 du 28 mars 2014 relative à la fabrication, conditionnement, à l’étiquetage, à la vente et l’usage du tabac votée à l’unanimité sans l’influence de l’industrie du tabac a permis la mise en œuvre des avertissements sanitaires. Mais, on constate le non respect de certaines restrictions comme la vente aux mineurs, la publicité, la vente dans la proximité des écoles (article 18 de la loi).
Nous notons, par ailleurs une certaine augmentation du tabagisme chez les femmes.
L’AJS demande quelle place vous accordez à la loi antitabac dans vos programmes ?
Comment renforcer la vulgarisation et l’application effective de la loi ?
Ces droits, qui ont fait l’objet de cette lettre ouverte, ne sont qu’une partie des droits des femmes qui ont été consacrés et nécessitent des actions concrètes afin de parvenir à leur réalisation effective. Les candidats, que vous êtes, doivent avoir la pleine mesure de la situation des droits des femmes au Sénégal afin de pouvoir agir pour le bien du peuple sénégalais. L’évolution du droit des femmes est intrinsèquement liée à une volonté politique des dirigeants d’où l’importance pour l’Association des Juristes Sénégalaises de faire ce bref rappel sur les droits des femmes.
L’AJS reste convaincue que chacun de vous répondra à l’appel de faire des femmes un levier important pour un Sénégal meilleur.
L’AJS reste disponible pour tout candidat désirant la rencontrer.
L’AJS réitère ses vœux pour des élections apaisées sans violences, transparentes et démocratiques.
Le Bureau de l’AJS