Rares sont les moments où j’ai la plume hésitante, où j’ai du mal avec les mots. Du mal à les trouver. Du mal à les écrire. Aujourd’hui est hélas l’un de ces jours.
J’ai donc préféré lire. Lire les mots des autres. Voir ce qu’ils avaient à dire. Et c’est à travers cet exercice que j’ai réussi à mettre des mots sur ce que j’ai ressenti. Et il ne s’agissait ni de colère, ni de ressentiment, mais de déception. Oui, je suis déçu.
Déçu que Me Aissata Tall, l‘opposante brillante et républicaine a décidé de rejoindre la nouvelle majorité présidentielle et son candidat Macky Sall. C’est son droit comme j’ai pu le lire. Mais nous savons tous que le droit n’est pas la morale. Or ce revirement pose avant tout une question morale. Quand pendant des années on attaque le Président de la République Macky Sall sur ses projets, sur l’effondrement du système judiciaire sous son magistère, sur le parrainage populaire que sa majorité a imposé sans débat et qu’on jure, publiquement devant micros et caméras, qu’on ne le rejoindrait jamais pour finalement le faire à 26 jours de l’élection présidentielle, nous sommes bel et bien face à une faute morale.
La politique n’est certes pas la religion. Elle demande du pragmatisme, de la stratégie, voire même du vice. Ce n’est pas le lieu de l’angélisme. Mais la politique est également et paradoxalement l’espace de l’espérance, celui où l’on projette sa personne, ses amis et des compatriotes anonymes dans un futur porteur d’utopie. C’est donc le lieu du rêve.
J’ai vu ce lundi 28 janvier beaucoup de rêves s’effondrer. D’abord celui de beaucoup de jeunes femmes, peu ou très politisées, qui voyaient en Me Aissata Tall Sall l’incarnation la plus élégante, la plus éloquente et la plus républicaine de ce que devait être la femme sénégalaise en politique.
J’ai aussi vu la déception de beaucoup de romantiques de la politique. Ceux qui ne font et ne feront jamais de compromis sur leurs idées, leurs positions. En l’espace de quelques mots prononcés par Me Sall, ils sont devenus orphelins. Orphelins de celle qui disait qu’elle ne rejoindrait jamais Macky Sall en raison de questions de principe, orphelins de celle qui parlait si souvent avec le coeur, contre les injustices, contre le droit bafoué.
Je me suis également rappelé les propos qu’un inconnu assis à côté de moi avait tenu sur elle lors d’une émouvante céremonie d’hommage à un grand monsieur du socialisme sénégalais, mort tragiquement. Cette personne, en écoutant Me Aissata Tall Sall parler, avait dit « Cette femme, je l’admire » avec un naturel déconcertant. Beaucoup de Sénégalais ont sans doute déjà prononcé cette phrase au moins une fois, l’ont chuchottée à leur voisin dans une assistance ou l’ont dit à leur propre conscience.
Voilà ce qu’elle représentait dans ce pays. Un symbole. Une boussole. Et bien plus encore. Au sein du camp qu’elle rejoint, choix qu’elle assume d’un point de vue individuel, Me Aissata Tall Sall représentera surtout un chiffre : 25000. Comme le nombre de voix qu’elle avait obtenu en 2017. Elle personnifiait une certaine idée de la politique. Elle en est désormais une donnée arithmétique. Une de plus. Aride et banale.
La violence des réactions, surtout chez les jeunes, et leur ampleur fera sans doute réfléchir Me Aissata Tall Sall. Dans l’insularité de sa conscience, elle ne peut ignorer qu’elle était appréciée de beaucoup, au delà de ses propres militants et qu’elle a commis une faute morale.
Ces revirements ne sont pas nouveaux dans notre histoire politique, ils sont même la règle. Nous les pensions cependant impossibles chez certains. Hélas, la récente vague de ralliements de dernière minute vers le parti pouvoir a fini de me convaincre sur un fait : les acteurs du vieux monde politique, celui des ères socialiste et libérale, quels que soient leur niveau intellectuel, leur gentillesse et leur éloquence, ne sont et ne resteront que le tenants de cette vieille politique, celle de l’immobilisme. Nous devons désormais assumer cette ligne de fracture avec nos amis, nos oncles, nos tantes, nos héros.
Me Aissata Tall Sall incarnait un espoir, une audace vers l’avenir. Par son acte, elle nous a ramenés dans le vieux monde. Notre déception est grande. Mais notre détermination à changer d’ère politique l’est encore plus.