Les termes « Bien » et « mal » ont investi le lexique politique au Sénégal. Sous ce rapport, s’appuyant sur le titre qu’avait donné Henri Albert à l’ouvrage de Nietzche (en 1886) pour sa version française, j’ai voulu jeter de la lumière sur un certain état d’esprit qui semble gouverner le jeu politique au Sénégal. Des censeurs de valeurs, tels des directeurs de conscience, ont instauré une ligne de démarcation nette entre la Coalition de la majorité présidentielle élargie et l’opposition, imposant, du coup, une certaine manière de voir à une frange de l’opinion. Ces censeurs de valeurs – la plupart – nichés dans l’opposition, ont tracé une certaine ligne imaginaire que je dénommerai « l’axe du bien et du mal ». Si vous êtes dans l’opposition, vous êtes bons. Mais, si vous êtes avec le pouvoir, vous êtes mauvais, voire pires !
Tout se passe comme s’il y’a, dans ce pays, des gens nantis d’une probité morale sans commune mesure et qui ont acquis la licence on ne sait où ( ?!!) pour être en droit d’ériger une ligne de démarcation nette entre le bien et le mal. Prenant pivot sur ce droit (?!!), ces gens qui se croient irréprochables à tout point de vue installent un certain manichéisme dans le landerneau politique sénégalais. Ce réflexe politique hérité de Bush fils, postule un cloisonnement réducteur édictant de manière formelle : « qui n’est pas avec moi est contre moi !». Poussant ce manichéisme partisan jusqu’au bout, il inventa « l’Axe du bien et du mal » qu’il transpose dans la géopolitique mondiale et les relations internationales. Le bien représentant son camp et tous ceux qui sont avec lui. Le mal, a contrario, renvoyant à tous ceux qui ne sont pas avec lui (ou l’Amérique, ce sera selon !), leurs alliés et tous ceux qui commettront l’outrecuidance de rejoindre ses adversaires.
Cette perspective bushienne en règle – malheureusement – dans une certaine classe politique de l’opposition trace, de manière systémique, une sorte de Rubicon à ne jamais franchir sous peine d’être fiché « signataire de pacte avec le diable ! ». Si l’on n’est pas simplement peint comme le diable lui-même en chair et en os. Jugez-en vous-mêmes !
Aissata Tall Sall, l’exemple le plus achevé, est celle qui a opéré un choix majeur dans sa trajectoire politique : celui d’avoir décidé avec les siens, de cheminer avec le Président Macky Sall, en toute souveraineté ! Et, dès qu’elle a fait la déclaration – alea jacta est ! -, celle qui était, jusque-là, aux yeux de l’opposition une dame charmante, la femme modèle, intelligente, brillantissime, patriote, lionne du Fouta…, (tout ce que vous voulez comme attributs valorisants ) est tombée de son piédestal dans la conscience collective des opposants, sous l’autel de jugements partisans, et livrée à la vindicte des réseaux sociaux par la magie de la calomnie et du verbiage politiques. Dès l’instant qu’elle a annoncé, ex-cathedra, son soutien pour le Président de la République, comme par enchantement, elle devient telle dans les récits de fée, l’anti-héroïne qui est « vilaine », « anti-modèle », « idiote », « médiocre », « despote », « hyène du Fouta »…, – on parlera même de son prétendu « khessal » ( dépigmentation) et de je ne sais quel autre qualificatif dégradant versé sur ses frêles épaules par une pléthore de sites d’information. Sur Facebook ou les sites interactifs, elle passe de « dame de fer » à « dame de ferraille », de « tigresse » à « tigresse en carton »…, pour ne citer que les moins blessants, tant les nouvelles déterminations font légion !
Pour s’en convaincre, faites un détour ne serait-ce qu’en diagonal sur les réseaux sociaux où vous réaliserez – sidéré – qu’elle a été rouée dans la boue comme une pestiférée et je n’oserai – par respect aux lecteurs revenir sur la quantité de bile jetée sur elle et les attributs dévalorisants sur sa personne lus çà et là. Celle qui était appelée affectueusement par les sénégalais, la « Grande Royale », a vu son image craquelée, éclaboussée, comme si elle était passée par une porte magique qui fait virer du bon au mauvais en un temps record ! Tout se passe comme si la règle du bien et du mal n’est qu’une simple ligne imaginaire. Ce qui me fait penser au jeu enfantin de « dans la marre, sur la rive ». Que du bien et du mal, il n’y a qu’un saut (périlleux ?!). Comme s’il suffisait juste de sauter de la marre vers la rive pour être dans le bien ou sauter de la rive et atterrir dans la marre pour être dans le mal !
Dès lors, il semble nécessaire d’affronter un certain nombre de questions. Sur quels arguments se baser pour dépeindre Aïssata Tall Sall et donner en exemple un Barthélémy Dias ou un Lamine Massaly ? Le mal est-il dans nos actes de tous les jours ou dans les prises de position politique ?
En quoi Moustapha Niasse est-il plus pourri que Gackou nourri des seins de ce même système ? Sur quel critère se fonde-t-on pour porter en modèle achevé un khalifa sall ou Bamba Fall et vouer aux gémonies Tanor Dieng ? Ces hommes politiques n’ont-ils pas cheminé – au plus haut sommet – dans le même parti partageant les hauts faits et les bas de leur formation politique ? Franchement que pourrait-on reprocher à Tanor Dieng et en dispenser Khalifa ou Barthélémy Dias ?
En heurtant de front ces questions, on réalisera que l’objectivité dans les grilles d’analyse est entrain de céder le pas au discours partisan !
A partir de ce moment surgit une question centrale : suffit-il d’être à l’opposition pour être bien ou déclarer son appartenance à la mouvance présidentielle pour être mauvais ?
Pourtant, dans un passé récent qui n’offre aucun prétexte à l’oubli d’une mémoire même sélective, nombre d’hommes politiques de l’opposition étaient dépeints comme de grands bandits devant l’éternel, des pilleurs invétérés de la République. Aujourd’hui qu’ils ont fait le saut de la marre à rive, ils ont été lavés à grande eau et sont devenus, soudain, proprets, immaculés, patriotes, aux des censeurs de valeurs attitrés. A titre d’illustration, on pourrait citer pour s’en rappeler Idrissa Seck qui semble faire sa mue par la magie du « dans la marre sur la rive » !
Si Moustapha Cissé Lô (l’exemple de ce mal aimé n’est fortuit) quittait la barque marron, il serait porté en triomphe et célébré, illico presto et sans management aucun ! Mais si le sens contraire est opéré et quelle que soit ailleurs la probité de la personne, elle est chahutée, roulée dans la boue, insultée dans sa dignité au grand plaisir de ceux qui parlent de morale et de probité à longueur de journée. A titre d’illustration, si Cheikh Bamba Dièye (l’illustration n’est pas gratuite) venait à déclarer son soutien pour le candidat Macky Sall, à la même minute, il passerait de personne vertueuse à pourrie, de gentleman à grand bandit de la République. Tout se passe comme si le bien et le mal étaient une question de lieu, qu’il suffit de traverser le pont pour être bien ou mal vu. C’est ce que semble certifier Shakespeare quand il écrit ( Hamlet) : « il n’y a de bien et de mal que selon l’opinion qu’on a ».
Ce qui est remarquable dès lors, c’est qu’il parait nécessaire de poser à la suite de Nietzsche quelle est « la valeur de leurs valeurs » ? En d’autres termes, quel est leur instrument de mesure, et qui a agréé cet instrument pour qu’ils s’arrogent le droit d’estampiller tel bien, tel mal ! Sont-ils plus patriotes, plus probes, plus génies que les autres d’en face. Allez savoir !
Le bien et le mal sont-ils une histoire de frontière ou une question de valeur ? Tout compte fait, il faudrait une certaine « généalogie de la morale dans ce pays ». Car, il ne suffit pas de se dresser contre Macky Sall pour se voir décerner une licence du bon après avoir été lavé à grande eau par une sorte cure anti-pouvoir. Il y a cette propension réductrice faisant de ceux qui sont avec le pouvoir des gens du mal et ceux qui s’opposent à lui des bons. Si vous êtes avec le pouvoir vous êtes un anti-modèle, tandis que si vous vous déclarez opposant vous êtes portés en héros ! Toutes raisons qui poussent Sainte-Foy à parler dans Mes loisirs : « La fausse idée que l’on se fait du bien et du mal ».
Toutes raisons qui font que pour Nietzsche, il est d’une impérieuse nécessité de faire une investigation sur les « jugements de valeur ». Le Bien est estampillé tel en tout temps en tout lieu et en dehors de celui qui l’a certifié tel ! Ce qu’on désigne comme bon pourrait être perçu comme mauvais par un quidam qui n’a pas les mêmes intérêts que l’autre. Autrement dit, ce qui est bon pour jean peut être pire pour Paul et vice versa. Nietzsche pense que ce cheminement de la pensée est le résultat d’un « sentiment premier et global d’un habitus supérieur et impérieux face à un habitus inférieur, à un contre-bas ».
Au demeurant, à y regarder de plus près, on réalise que ceux qui délimitent cette frontière entre le bien et le mal à l’aune des positions politiques courent derrière un intérêt certain : celui de se faire bonne conscience ! Alors qu’il faudrait aller « par-delà le bien et le mal ».
Ibrahima Diakhaté Makama
makamadiakhate@gmail.com.
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