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De L’ère Des Furies A La Démocratie D’opinion

Wade et Macky Sall sont des présidents qu’ils se sont choisis librement par les urnes et par conséquent, qu’ils peuvent virer par les urnes. C’est avec cette conviction qu’ils peuvent faire et défaire par les urnes le président qu’ils se sont librement choisis, que les manifestions politiques violentes sont devenues anachroniques pour les Sénégalais qui préfèrent s’inscrire massivement et attendre sagement le jour du vote. C’est pourquoi les manifestations de l’opposition ne mobilisent plus, contrairement à celles qu’on avait avant la première alternance.

Le pouvoir commettrait aussi une grave erreur en déduisant de cette situation que «l’opposition en est réduite à sa plus simple expression». En réalité, pendant que les hommes politiques continuent de s’invectiver, de jouer aux gladiateurs, de jouer à se faire peurs comme si on allait tout droit à la guerre civile, le Sénégal est passé de la démocratie des furies (de l’indépendance à la première alternance) à la démocratie d’opinion (de la première alternance à nos jours). Dans l’ère de la démocratie des furies, la violence politique s’exerce dans la rue (émeutes et état d’urgence en 1988), parce que le rapport de force se fait dans la rue, car l’opinion est convaincue que l’élection est un «piège à cons».

Dans la démocratie d’opinion, la violence est dans les urnes (Wade et son projet de dévolution monarchique dans les poubelles de l’histoire en 24h). Depuis l’alternance de 2000, nous sommes dans l’ère de la démocratie d’opinion et les hommes politiques ne semblent pas l’avoir compris ; d’où ce grand écart entre les citoyens qui vont massivement s’inscrire sur les listes et les politiciens qui entretiennent une tension politique artificielle. C’est parce que les Sénégalais sont dans la démocratie d’opinion que nous avons presque 7 millions d’électeurs, dépassant ainsi largement les prévisions de l’Administration. L’opposition n’a pas compris que le véritable enjeu est là, parce que c’est la seule véritable menace pour le pouvoir.

Sur les 6 millions 882 mille 075 électeurs, les pro Macky fanatiques et les anti Macky primaires, c’est-à-dire les 2 extrêmes, ne font pas le tiers de l’électorat. Les 2/3 de l’électorat, qui font et défont un président et qui sont adeptes de la «lecture négociée», ne demandent qu’à être convaincus de voter pour ou contre. Convaincre ces 2/3 est la seule bataille qui vaille et les candidats ont un mois, car dans une démocratie d’opinion, l’élection n’est jamais gagnée ou perdue d’avance. Ousmane Sonko est le seul qui semble avoir compris les mécanismes de fonctionnement de la démocratie d’opinion.

L’opinion est devenue une rente pour lui. La contre-offensive du pouvoir sur sa moralité risque d’être contre-productive parce que l’opinion va développer des mécanismes du soupçon (on ne déballe pas par souci de transparence, mais pour affaiblir un adversaire politique). Cette stratégie peut être dévastatrice au sein de l’appareil de Pastef, mais n’a pas beaucoup d’impact sur l’opinion. Ce grand écart entre la classe politique traditionnelle et les citoyens est un problème d’ère politique et surtout de culture politique. On parle de culture politique quand il y a un évènement qui marque toute une génération, qui crée un comportement politique.

La première alternance a créé une culture politique avec la démocratie d’opinion, alors que les 3/4 du personnel politique sont des soixante-huitards et des quatre-vingt-huitards en termes de culture politique. Les soixante-huitards et quatre-vingt-huitards qui sont de la démocratie de l’ère des furies sont convaincus que la rue est la seule méthode efficace, alors que Sonko est tout le temps sur le terrain médiatique. Cette stratégie de tension médiatique permanente explique son ascension fulgurante devant l’opposition classique. Ce grand écart entre les citoyens et les politiques explique aussi que l’Union européenne et la Cedeao nous envoient des observateurs pour le scrutin, comme ils le font avec la RDC, la Guinée ou Madagascar, alors que nous sommes une vieille démocratie. Cette mise sous tutelle démocratique est une honte nationale, surtout après deux alternances présidentielles.

C’est la faute de notre classe politique qui entretient une tension artificielle qui fait croire à la communauté internationale qu’il y a un risque politique au Sénégal alors que les citoyens sont convaincus du contraire. A chaque élection, la communauté internationale tombe dans le piège électoral sénégalais. Les politiciens jouent aux gladiateurs et font croire à tout le monde que le pays marche vers la guerre civile, avant de se rendre compte de la maturité des citoyens et de la solidité de notre système démocratique. Que Macky Sall gagne ou perde, notre système démocratique est assez solide pour gérer les deux cas de figure. L’alternance étant devenue la respiration naturelle de notre démocratie, une élection présidentielle au Sénégal devrait être un non-évènement pour la communauté internationale. Avec cette présence massive d’observateurs, le Sénégal ne tient pas son rang.







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