C’est au pied du mur qu’on voit le maçon. C’est également au pied du mur qu’on voit bien le mur. Deux proverbes qui me permettent d’essayer de disséquer l’option idéologique «antisystème » qu’offre le candidat du Pastef pour recueillir les choix de l’électorat de l’opposition.
Ousmane Sonko est la révélation de la campagne électorale pour la présidentielle de février 2019. Révélation par son irruption très médiatisée sur la scène politique en fulgurance mais aussi en imprudence. Par son langage et sa jeunesse, il réussit à gagner l’estime et peut-être les faveurs des jeunes. Mais surtout, c’est son positionnement politique qui séduit. Il veut incarner l’antisystème qui est en vogue et de mode. Toutefois, avant de lui confier le chantier, voyons quelle maison-Sénégal il veut nous construire.
Sonko ne brille pas par une grande expérience dans la gestion de l’Etat. L’expérience n’est pas toujours sous nos cieux, ni ailleurs, le critère par lequel on choisit un président. Mais pour défaire le système et conduire une politique de rupture radicale, il est d’une nécessité fondamentale de connaître le système étatique. Car le système dont on parle sans toujours le nommer, c’est l’Etat dans ses contours très larges, son fonctionnement très complexe et sa gouvernance toujours à parfaire. Ce manque d’expérience le place déjà dans d’inextricables contradictions. Comment retomber sur ses jambes quand on scie la branche sur laquelle on est assis ? L’antisystème est toujours séduisant en dehors et cauchemardesque une fois à l’intérieur. Les marxistes, maoïstes et autres anticapitalistes avaient fini par adopter la social-démocratie réformatrice pour transformer le système, avec plus ou moins de succès.
Aujourd’hui le balancier de l’antisystème est revenu aux alliances contre nature des extrémismes de gauche et de droite. En France Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon qui campent cette idéologie, ont été rejetés. En Italie et aux USA, les anti- establishment éprouvent les pires difficultés à casser le système. Les votes protestataires qui se drapent toujours de nationalisme, de populisme et d’antiparlementarisme, sont un capharnaüm de revendications difficiles à « solutionner ». La jeunesse de Sonko est sa force mais également sa faiblesse. Dans nos contes légendaires, il nous est enseigné à bas âge que le sage vieillard assis sous le pied de l’arbre peut voir plus loin que le jeune présomptueux monté sur les branches. Le jeune Macron qui sert d’étiquette à Sonko, subit avec ses « gilets jaunes » les revers de l’explosion du bipolarisme « ni droite, ni gauche » qu’il a combattu sans une alternative crédible. Comme la tour de Pise, sa réponse politique penche un peu trop à droite. Le projet de Sonko semble emprunter les sentiers de l’extrémisme avec les mêmes illusions et souffre de ses discours belliqueux, de ses déclarations controversées et de ses propositions radicales. Ce projet serait-il le « trumpisme » à la sauce sénégalaise ?
Sans lecture exhaustive de son programme, quelques interrogations s’imposent néanmoins à la réflexion critique :
Sa position sur le CFA.
Je partage avec lui son scénario de sortie prudente de la zone CFA et son option pour le lancement d’une monnaie sous régionale dans le cadre de la CEDEAO. Mais il n’exclut pas la possibilité de créer une monnaie locale si les réticences s’avèrent résistantes, car «le Sénégal possède tous les prérequis pour se doter d’une monnaie souveraine avec tous les attributs d’un instrument au service de son développement économique et social ». Le flou et l’imprécision dans ce domaine aussi stratégique sont préoccupants. La sortie du CFA dans l’isolement pourrait être dangereuse pour notre économie historiquement imbriquée dans le système financier mondial. Même le Naira du puissant Nigéria à bout de souffle devrait être remplacé comme presque toutes les monnaies ouest-africaines par l’Eco la future monnaie de la zone ouest-africaine en bonne voie. Vouloir ignorer cette belle perspective est signe d’irresponsabilité. Cheikh T. Dieye son nouvel allié ne s’y est pas trompé en lui rappelant cette réalité.
Son option de financement officiel du culte :
Sonko propose une institutionnalisation des rapports entre l’Etat et la religion par « le financement du culte en inscrivant et en faisant voter formellement par l’Assemblée nationale des crédits budgétaires annuels destinés au financement officiel du culte ». L’idée semble séduisante mais, comme le mur de Trump, c’est un panier à crabes. Une proposition qui est d’une grande sensibilité et d’une grande délicatesse. Elle nécessite tout au moins en amont, une réflexion et des concertations avec les autorités religieuses et civiles pour arriver à un large consensus. Car maintes questions légitimes préalables se posent et s’y opposent. Faudrait-il dans la loi instaurer un égalitarisme de traitement dans les dotations financières à attribuer aux confréries et aux cultes ? Quels critères mettre en avant pour sélectionner des composantes religieuses si diverses ? Nos confréries religieuses musulmanes sont organisées autour de familles très élargies et selon un schéma pyramidal : le khalifat qui est régi selon des règles qui ne relèvent pas du droit positif. Comment dès lors les assujettir à la loi républicaine ? Ailleurs sous d’autres démocraties avancées, les régimes concordataires ne se sont pas instaurés sans de lourds sacrifices qui ont conduits à de longs compromis. Cette proposition démagogique de Sonko révèle son populisme sur cette matière d’une haute sensibilité religieuse et sociale. Je doute fort que les autorités religieuses soient très ouvertes à cette offre qui risque de susciter bien des controverses sur leurs éventuels privilèges de citoyens.
Autres sources d’inquiétudes de Sonko :
Le corollaire de l’idéologie de l’antisystème est le « dégagisme » et le « tous pourris » qui excluent plus qu’ils ne rassemblent. Faut-il nécessairement faire table rase pour reconstruire un Etat ? Ses contradictions ne tardent d’ailleurs pas à se dresser devant lui. Les compromis refusés laissent poindre des compromissions embarrassantes à l’horizon. Sonko gagnerait à apporter de la cohérence dans ses alliances, au risque de perdre davantage en crédibilité. Comment concilier la plateforme de « Avenir Sénégal bi nu begg » et l’affairisme financier d’un Atépa, le conseiller businessman de tous les anciens présidents. Comment promouvoir le programme des Assises Nationales en tendant la main à Abdoulaye Wade l’homme qui avait lutté contre. Le système ne se déconstruit pas avec les hommes du système. Mais l’incohérence est le petit commun dénominateur des « démolisseurs » de la trempe du ricain Trump, du brésilien Bolsonaro, des « brexiters » anglais, des «5 étoiles » italiens etc. qui prônent l’antisystème et finissent par s’accommoder du système. La notion d’antisystème fait naître des paradoxes de par le fait même qu’elle engendre un nouveau système, donc devient un autre système. Alors quel système nous propose Sonko ? L’anticapitalisme, l’altermondialisme, le socialisme ou alors sa « solution à inventer » ?
Sa campagne de judiciarisation de la vie politique par des dénonciations ciblées, qu’il mène avec impétuosité et ostentation, est arrivée à un point tel qu’il ne lui reste plus, tôt ou tard, qu’à croiser le fer avec ses adversaires. Donc des perspectives de règlement de comptes qui n’augurent pas une conjoncture pacifique des lendemains d’élections. Après avoir défait le président sortant, il y aura des chantiers politiques de réformes institutionnelles et économiques dont les populations seront plus soucieuses que les conflits politiciens. Sonko le Zorro justicier sera-t-il préférable à des personnages comme De Gaule qui transforma la scène politique française pour redonner à son pays sa grandeur d’antan ou comme Mandela qui sortit son pays des ténèbres de l’Apartheid ? Le Sénégal a assurément besoin d’un homme qui, même sans atteindre la dimension de ces personnages mythiques, puisse s’inspirer de leurs hauts-faits. Ces grands hommes d’Etat ne faisaient pas dans l’antisystème pour changer les systèmes établis qu’ils ont trouvés et pourtant transformés en profondeur. Parce qu’ils avaient compris que l’antisystème est de l’aventurisme : C’est l’impasse !