Ils ont entre 18 et 30 ans, ces milliers de jeunes qui, sur des kilomètres, ont jalonné la route et accompagné le candidat Idrissa Seck jusqu’à la « Promenade des Thiessois ». Que de symboles ! Ils n’étaient pas, pour la plupart, nés lorsque la marche bleue de 2000 semait les germes du grand mouvement démocratique qui donnera naissance à la première alternance politique au Sénégal. Abdoulaye Wade opposant aguerri, victime de toutes sortes d’injustices et de brimades, avec Idrissa Seck, directeur de campagne. La sagesse de l’âge et la virilité de la jeunesse avaient accouché d’un bel élan de renaissance démocratique. Hélas, comme une symphonie inachevée, les péripéties douloureuses de la gestion du pouvoir politique eurent raison de cette belle intelligence entre deux hommes politiques aux qualités avérées.
Nous ne maîtrisons pas les tribulations qui ont eu raison de cette belle symphonie, mais nous partons du postulat simple que voici : Idrissa Seck voulait le pouvoir après le père alors que ce dernier voulait le conserver encore ? Peu importe, la nature du ressort qui s’est brisé ; l’essentiel est qu’aujourd’hui, c’est Idrissa Seck qui veut le pouvoir et que Wade est potentiellement en mesure de lui faciliter cette tâche ! Cruelle ruse de l’histoire me diront certains, tandis que d’autres me diront que c’est la tragédie du pouvoir qui se mue en romantisme politique. Je préfère, quant à moi, y voir les plans du destin : en sérère on dit « mbind ba djaggaa dokh » (ce n’est que lorsqu’une maison est complètement ravagée par le feu que la nécessité de sa reconstruction permet sa rénovation).
Ils ont tous les deux intérêt à arracher le pouvoir des mains du monstre aveugle qui en abuse, mais le constat est que, c’est Idy qui peut présentement en être le dépositaire. La cohérence politique la moins incohérente serait que Wade aide Idy à conquérir ce pouvoir et ce, au moins pour deux raisons. La première est que personne ne connait Wade mieux que Idy et personne n’est, mieux que ce dernier, en mesure de lui restituer la place qu’il mérite dans l’histoire politique du Sénégal. En rendant hommage à Wade, Idy en serait grandi, ce qui n’est pas le cas pour Macky, persuadé qu’il est, de ne pouvoir être grand que par la néantisation de Wade. La deuxième est que, ne pas aider Idy, c’est aider Macky à conserver le pouvoir : or qu’est-ce que Wade pourrait bien y gagner ? L’adage qui nous dit que quand un ami te trompe une fois, il ne faut plus lui faire confiance car il pourra te tromper indéfiniment suffit à ne pas compter avec les engagements de ce monsieur. Macky ne tiendra aucune promesse faite à Wade parce qu’il ne peut se sentir grand qu’en écrasant Wade.
L’incohérence absolue serait que Wade aide directement ou indirectement Macky : ce serait à notre avis une façon d’allumer le feu de sa propre combustion. Mais le plus déterminant dans le choix de Wade devrait, à notre avis, être la survie de cette démocratie qu’il a contribuer à construire avec autant d’abnégation et de sacrifices. Avec toutes les mutilations qu’il a fait subir à notre système démocratique, Macky est devenu un danger et pour cette démocratie, et pour la nation. Accorder un deuxième à un président qui n’a aucune espèce de grandeur, c’est ouvrir le cycle d’une gestion sauvage de la rivalité politique.
La politique ne peut pas être une guerre, n’en déplaise en à Jean Svagelski : elle doit être noble jusque dans l’antagonisme le plus prononcé. Mais quand la politique se résume à de la tricherie et à de la roublardise, elle ne requiert plus de génie et se vide de sa substance morale. Car il suffirait d’avoir les moyens (l’argent, la justice inféodée, et la complicité du spirituel) pour gouverner de la façon la plus abjecte sans que cela ne soit perçue comme telle.
Non Macky Sall ne peut plus gouverner ce pays et Wade est mieux placé que quiconque pour le savoir.