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Un Scrutin De Faire-valoir DÉmocratique

Un Scrutin De Faire-valoir DÉmocratique

#Enjeux2019« Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice », Montesquieu. A quelques semaines de l’élection présidentielle du 24 février 2019, force est de constater que notre système démocratique est à refonder. En effet, une véritable crise de confiance s’est installée depuis plusieurs années entre les sénégalais et leurs dirigeants politiques. Celle-ci se manifeste par les taux d’abstention très élevés lors des différentes élections, par l’impossibilité des partis politiques à mobiliser des supposés militants sans faire recours à une distribution massive d’argent, mais surtout par le développement d’un esprit de contestation des décisions politiques par les citoyens. Cette fracture entre les sénégalais et la politique, est la conséquence de l’échec des politiques, des engagements jamais respectés et de la transhumance.

– Une pseudo démocratie –

Le fonctionnement de notre système démocratique est loin de correspondre au principe approuvé et adopté à l’article 1er, alinéa 6 de la constitution du Sénégal : Gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple.

En effet, la démocratie ne consiste pas à voter une fois tous les cinq ans pour des personnes que l’on n’a pas choisi de présenter et qui, une fois en fonction, auront le droit à peu près illimité d’agir à leur guise, échappant à tout contrôle. La démocratie ne se mesure pas au nombre de parties politiques, d’élections organisées, du droit de marche et de certains médias dominants qui n’arrêtent pas de nous la vendre malgré ses limites quotidiennes.

Toute l’astuce de cette pseudo-démocratie repose sur l’octroi aux citoyens d’un droit de vote qui est du reste illusoire, car en réalité les citoyens ne votent rien ; ils élisent. Et ils n’élisent pas qui ils veulent, mais qui est candidat. Or être candidat n’est pas à la portée du premier venu, mais seulement des citoyens ayant un appareil : un parti et de l’argent.

Les programmes présentés par les candidats, d’après lesquels les électeurs sont censés les départager, ne sont pas moins illusoires puisqu’il n’y a pas de mandat impératif au Sénégal. D’ailleurs le mandat impératif est illégal au Sénégal (Article 64 de la Constitution). L’absence de mandat impératif accorde aux élus, le droit de ne pas appliquer leur programme. Pire encore, ils sont même libres de le trahir, de faire tout le contraire de ce qui avait été promis.

Des décisions sont arrêtées et exécutées sans que les citoyens en soient informés encore moins consultés. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Ainsi, la volonté des citoyens est remplacée par celle des élus, tout le contraire de la démocratie.

En outre, la démocratie repose sur le principe de la souveraineté du peuple : les élus tirent leur légitimité du vote des citoyens. Mais, dans les conditions actuelles, les élections violent aussitôt ce même principe, puisque les élus sont indépendants des citoyens car le vote des élus est personnel (Article 64 de la constitution du Sénégal). Si l’élection confère une légitimité aux élus pour qu’ils occupent la fonction de législateur, elle ne légitime pas que le principe soit violé. L’élection ne confère pas aux élus le droit d’imposer des lois au peuple, de mettre leur volonté à la place de la sienne et de confisquer la souveraineté. En définitive, les élus ne représentent qu’eux-mêmes.

Le système politique sénégalais donne ainsi la possibilité à un groupe d’individus organisés en parti politique de capturer les richesses du pays à leur profit exclusif. Aussi, il n’est pas surprenant de constater une prolifération des partis politiques sans idéologies où ayant des idéologies obscures et des objectifs souvent irréalisables, peu crédibles avec en toile de fond, un clientélisme qui favorise la transhumance opportuniste et immorale. Cette volonté de capture des pouvoirs que confère le vote des citoyens par ce foisonnement de partis politiques pose la question de la tenue de scrutins sincères dans notre pays.

En effet, l’organisation d’élections reste une source récurrente de contentieux et de conflits qui constituent une menace pour la paix et la cohésion sociale. Des référendums sont organisées sans que les citoyens ne soient mis en situation de comprendre le contenu du ou des textes qu’ils doivent valider. Pire encore, l’expression du suffrage des citoyens sénégalais est souvent faussée par le trucage d’élections.

– Un scrutin biaisé en amont –

L’élection présidentielle de février 2019, ne déroge pas à cette tendance, au regard du processus électoral jugé opaque qui prépare une confiscation de la volonté des sénégalais. Beaucoup d’éléments ne font pas l’objet d’un consensus par manque de concertation : fichier électoral, carte d’électeur, carte électoral et le parrainage.

Toute la stratégie du régime en place pour gagner l’élection présidentielle du 24 février 2019 tourne autour de trois axes, à l’image de la présidentielle de 1993 qui avait été managé par un allié du pouvoir en place :

  • Se constituer un corps électoral sur mesure par le parrainage qui est un cadre légal pour identifier les promesses de vote des électeurs ; c’est ce qui explique que la coalition au pouvoir annonce à grand coup de communication la collecte de 2 000 000 de parrains voir 3 600 000, selon les informations publiées par la presse. Ce faisant, cette coalition fait croire aux sénégalais qu’elle a assez d’électeurs pour gagner au 1er tour ; en plus, il y a les ordres de mission pour gonfler le bassin d’électeurs comme lors des élections législatives ;
  • Fidéliser par l’argent, le financement de microprojets et les visites de proximités, les promesses de vote par le parrainage et leur confirmation le jour du scrutin ;
  • Priver de vote le maximum d’électeurs par la mauvaise distribution des cartes d’électeur pour ne pas dire leur rétention, la non inscription de potentiels électeurs dans le fichier et enfin la modification de la carte électorale aux fins de changer des bureaux ou centre de vote dans les zones où le régime n’a pas de promesses de vote et le gonflement de celles jugées favorables.

Par ce système mis en place, sans compter l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques, le régime en place travaille pour gagner l’élection présidentielle de février 2019 par un scrutin qui ne sera ni transparent, encore moins démocratique. Force est de constater que le système électoral actuel ne comporte pas des règles et procédures garantissant la transparence et la sincérité des élections. Ainsi, les citoyens-électeurs sénégalais sont relégués au rang de faire-valoir…démocratique.

Au regard de tout ce qui précède, prétendre que le système politique sénégalais est démocratique est une tromperie. Les sénégalais en prennent conscience et se rendent compte de jour en jour que ce système n’est démocratique que de nom. Cette prise de conscience, génère une profonde volonté de rupture démocratique. Cette dernière se manifeste par la contestation de plus en plus importante des décisions politiques par les citoyens.

Cette contestation citoyenne aurait dû être des alertes pour la classe politique sénégalaise, de symptômes d’un malaise démocratique. Malheureusement, face à cette menace, les responsables politiques semblent se refuser à toute stratégie de prise en charge de cette problématique pour retrouver une légitimité afin que l’urgente et l’impérieuse nécessité de restaurer la confiance entre les citoyens sénégalais et sa classe politique soit effective.

– Le numérique pour refonder la pseudo démocratie sénégalaise –

La refondation de la pseudo démocratie sénégalaise est une nécessité. L’enjeu est de taille : faire en sorte que notre démocratie devienne réellement participative, que le mot politique ne soit plus négativement chargé mais retrouve ses lettres de noblesses.

La démocratie est le système politique dans lequel les lois et les actes du pouvoir législatif et exécutif sont l’ouvrage direct du peuple ou l’objet de son consentement explicite. Mais face à l’impossibilité de rassembler les citoyens pour légiférer et exécuter collectivement, une forme de représentation doit être élaborée et mise en place. Aussi, il faut procéder à des élections pour déléguer.

Cependant, pour un bon fonctionnement de ce système démocratique, il est indispensable que des référendums sur certaines questions soient obligatoires de par la constitution, et les citoyens doivent pouvoir en provoquer à volonté. En outre, des contre-pouvoirs citoyens doivent être prévus afin que ces derniers, quand ils ne décident pas eux-mêmes, puissent au moins ratifier ou s’opposer aux décisions des élus et les faire ainsi leurs. Cette nouvelle approche de la démocratie (impliquer les citoyens dans le débat et la décision politique mais aussi son évaluation) peut grandement être facilitée par le numérique.

En effet, à l’heure où la défiance envers les élus reste plus que jamais d’actualité au Sénégal avec la montée en puissance d’une conscience citoyenne, nous estimons que les réponses à la complexité des défis démocratiques auxquels nous sommes confrontés ne se trouveront ni dans un bureau ministériel, ni dans le huis clos d’une réunion d’experts.

Cette exigence citoyenne demande toutefois de repenser complètement notre pseudo démocratie. Nous avons besoin de passer à l’ère de l’intelligence collective et créer des contre-pouvoirs citoyens. Dans ce sens, le système représentatif sénégalais pour être performant et répondre aux exigences du moment devra désormais s’appuyer sur les méthodes collaboratives facilitées par le numérique.

Les opportunités qu’offre le numérique en démocratie sont indéniables : améliorer l’information des citoyens, la transparence, la bonne gouvernance, mobiliser les citoyens, accroitre la participation citoyenne, évaluer et contrôler l’action des élus. Une démocratie numérique qui correspond davantage à la société de l’information que le Sénégal est en train de construire avec des citoyens de plus en plus connectés, mieux informés, vigilants qui exigent leur implication dans la décision politique.

Le chemin qui y mène est très long et semé d’embûches, car faire accepter l’idée d’une refondation de notre démocratie s’avère difficile quand le système politique en place a déjà réussi à faire croire aux citoyens sénégalais qu’ils sont dans une démocratie.

Enfin, pour rétablir les liens distendus entre les sénégalais et la politique, nous croyons que la refondation de la démocratie sénégalaise pour une véritable démocratie participative ne devra pas être un leurre de plus.  Si le but est seulement de rassurer les citoyens, de leur donner le sentiment qu’on les écoute, de leur laisser un petit espace d’agitation, l’objectif sera raté.

– Réformes constitutionnelles pour une démocratie participative –

Nous invitons les citoyens, la société civile, les partis politiques à une réflexion sur les réformes constitutionnelles à mettre en œuvre afin que les conditions de restauration de la confiance entre les sénégalais et la politique, soient créées.

Dans ce sens, des réformes constitutionnelles visant à créer les conditions d’une démocratie participative doivent être inscrites en lettres d’or dans le programme de tout candidat à l’élection présidentielle du 24 Février 2019.

Aussi, nous recommandons les réformes constitutionnelles suivantes :

  1. La suppression de l’illégalité du mandat impératif ;
  2. La suppression de l’inviolabilité du mandat parlementaire ;
  3. L’inscription du droit de participation des citoyens à l’élaboration des politiques publiques ;
  4. La reconnaissance du droit de pétition, le référendum d’initiative populaire, le droit d’initiative législative, etc.
  5. L’inscription du droit d’accès à l’information publique ;
  6. L’inscription du droit d’accès à Internet ;
  7. L’inscription du droit à la neutralité du net.

Enfin, nous rappelons que le référentiel pour tout travail d’amélioration de la démocratie sénégalaise, est le rapport 2013 de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI). Aussi, tous les candidats à l’élection présidentielle du 24 février doivent se l’approprier.

#Enjeux2019

Titulaire d’un Master 2 en Informatique (Université Lumière Lyon 2, France) et en Gestion de projets numériques (Université Paris 10 Nanterre, France) ; Ndiaga Gueye est ingénieur en réseaux informatiques (Houston, Texas). Auteur du livre « Conception et gestion de projets numériques territoriaux » publié aux éditions universitaires européennes en 2016 (ISBN 978-3-639-54136-6), il est consultant en TIC et président de l’Association Sénégalaise des Utilisateurs des TIC (ASUTIC).







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