Souvenez-vous du mémorable combat du 1er juin 2014 entre les lutteurs Ama Baldé et Malick Niang. Nonobstant le statut de favori de Niang, patatras, le voilà au tapis après une rafale de coups de poing esquivée par son habile adversaire et un déséquilibre fatal qui s’en est suivi. Rares étaient les journalistes à parier sur la chute du roi des arènes fort de ses 10 victoires d’affilée.
A deux semaines du 1er tour du 24 février, Macky Sall règne en maître absolu sur le jeu politique sénégalais. Il a une ascendance politique et psychologique sur ses adversaires, renversant les uns, refoulant les autres. Une défaite serait aussi inenvisageable que celle du lutteur Niang. Ces outsiders ont pourtant repris du poil de la bête ! C’est le cas d’Idrissa Seck dont le profil nous fait penser au lutteur Baldé. Des défaites, ce dernier en a connu quelques-unes précédemment mais il a cru en lui à point nommé, il n’a rien lâché durant le combat. Un vrai guerrier !
Si Me Abdoulaye Wade est tant adulé encore aujourd’hui, de Dakar à Touba, c’est qu’il fut et est encore le plus valeureux guerrier parmi tous. Sur le modèle de la lutte, il assimila le combat politique à la virilité au sens antique, le guerrier héroïque. Car pour être un homme politique respecté sous les cieux de la Teranga, il faut aimer le combat. Ironie ou cruauté du sort, le fils du plus grand guerrier, depuis son ascension, est accusé de féminité (faux guerrier), débarquant fraîchement de la City de Londres, aux allures d’homme politique européen.
En réalité, l’arène politique sénégalaise, comme celle des lutteurs, obéit à des codes traditionnels et quiconque les ignore, c’est le bannissement assuré. Sans doute est-ce le principal défaut de Karim Wade à ce jour : celui de ne pas l’avoir compris, par ignorance ou mépris ! Les plus hautes responsabilités politiques s’obtiennent par des combats épiques. Tanor Dieng, Moustapha Niass, ou encore Me Abdoulaye Wade en sont des preuves vivantes. Titrés de sobriquets de peureux, de trembleur, l’image de Karim Wade en souffre, peut-être à tout jamais. Ce qu’on ne lui pardonne toujours pas (sous le couvert de l’enrichissement illicite !), c’est une ascension au piston. La présidentielle 2019 était une chance pour lui, celle de montrer ses capacités de bravoure, qu’importe le protocole de Doha.
Car voilà, un lutteur, il se montre, surtout s’il annonce urbi et orbi qu’il participera au combat ! Il prend part à celui-ci dans l’arène, pas seulement en sa périphérie dont les réseaux sociaux. Khalifa Sall, en connaisseur des us et coutumes politiques du Sénégal, l’a capté. Ne s’avouant pas vaincu sur le plan judiciaire pour des raisons de dignité, il renonce à briguer à la présidentielle à l’exemple de Lula. Les 2 K, les deux recalés du Conseil constitutionnel, n’ont pas le même don de soi qui est aussi un attribut du guerrier héroïque.
Dakar ne brûlera pas ! Le Général de Gaulle interrogea un journaliste en ces termes : « Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? ». Dans la même lignée, pourquoi voudriez-vous qu’à 92 ans l’opposant le plus célèbre du Sénégal se transforme en pyromane de la République ? La pensée de Me Abdoulaye Wade est à plusieurs sens. C’est une faute de lecture de penser qu’elle se borne au seul cas de son fils. Lui-même à une dent contre Macky Sall ! Il a été défait par lui, et le vit comme une trahison. Ce n’est pas seulement un combat par procuration, de Doha contre Dakar, c’est bel et bien un duel fratricide entre Abdoulaye et Macky. Peut-être même est-ce Me Wade qui a plus manipulé son fils que l’inverse ! C’est aussi un combat pour la survie du PDS. C’est enfin une guerre psychologique entre hommes politiques où, dans la logique de lutteur, tous les coups sont permis. Macky Sall, lui-même, en use avec ses sorties ironiques sur l’opposition, sur ses tentatives d’effacer toute trace de passage de Me Abdoulaye Wade à la présidence, comme naguère le firent les successeurs du pharaon Akhenaton.
La question qui taraude l’arène politique : Me Abdoulaye Wade va-t-il devenir le féticheur d’un des deux outsiders ? Ce serait assurément un renfort de poids pour l’une ou l’autre des écuries. Au-delà de la mise à disposition de son électorat, Me Abdoulaye Wade connait parfaitement le président sortant. Son ancien directeur de campagne de 2007 reproduit la même stratégie : continuité des chantiers et stabilité. Et une perspective de passer dès le 1er tour avec 56 %. Me Abdoulaye Wade est donc prêt à jouer cet élément déstabilisateur qui manque assurément dans la besace des candidats de l’opposition.
Avec Ousmane Sonko, Wade s’appuierait sur une personnalité qui gagne en popularité. Mais compte tenu des déterminismes socio-culturo-politiques exercés sur l’électorat sénégalais, il est très difficile d’entrevoir sa victoire dès 2019. A moins d’une révolution à la Thomas Sankara, dont il se rapproche le plus, de par son projet politique d’émancipation nationale et ses jeunes militants désireux de moderniser la vie politique. Ainsi avec cette alliance, se cumuleraient deux éléments d’instabilité ! En revanche, avec Idrissa Seck, Wade aurait un point de fixation autour de la stabilité pour rassurer l’électorat sénégalais. Coexisteraient ainsi un facteur de stabilité et d’instabilité pour une conquête électorale efficiente. Il y retrouverait aussi une partie de sa famille libérale dont des compagnons très proches. De toute évidence, son ralliement permettrait de faire des deux K une cause commune derrière un seul et unique candidat.
Entre le Régal et Mermoz, se trouvait la demeure de Moustapha Wade. S’appuyant sur sa canne, le frère aîné du président me lança un regard glaçant : « Si tu fais quoi que soit contre Abdoulaye, je m’en lave les mains ! ». Il n’aimait pas la lutte, vraiment pas ! Les injustices font partie de nos vies d’homme. Certaines ont été commises sous le magistère de Wade. Aussi dures soient-elles, il faut faire montre de sacrifice dans l’intérêt supérieur d’une Nation. Me Abdoulaye Wade est encouragé à faire table rase des rancœurs du passé, à s’élever au-dessus des injustices subies par son fils, pour permettre un combat loyal et une lutte plus équilibrée entre le président sortant et un opposant choisi selon la realpolitik. Pour cela, il doit puiser dans ses valeurs nobles de guerrier héroïque. Dans le cas inverse, s’il s’entête dans des calculs politiciens ou dans une déstabilisation dangereuse, ce sera à mon tour de dire à la famille Wade : « Je m’en lave les mains ! ».