Arracher le fou-rire, grâce à quelques traits de l’esprit ; serrer les mains pour renvoyer l’image de bienveillance et feindre la religiosité pour paraître pieux aux yeux du peuple. Les candidats à la présidentielle du 24 février prochain sont bien entrés en scène, en utilisant les stratégies de l’humour, de bain de foule et de la manipulation du religieux. Entre un Sonko «drôle», un Idy, mara «manqué», et un Macky adorant montrer sa «popularité», la campagne a pris des couleurs pendant cette première semaine.
Le candidat antisystème, Ousmane Sonko, ne sait pas que déconstruire le discours des tenants du pouvoir et de leurs acolytes. Il a aussi montré ses talents d’humour, pendant cette première semaine de campagne électorale. Modou Fada Diagne a fait les frais de ses traits d’esprit. «Lorsque notre cortège entre à Darou Mousty, nous apercevons un meeting qui a rassemblé cinq personnes. Le préposé au micro central prononce les noms de Fada et de Macky. Quand il a vu notre cortège, il demande à ces personnes venues au meeting, de nous ignorer. Je me suis arrêté pour les saluer. Et ils se sont mis à scander : Sonko, Sonko…Tous ont abandonné ce meeting pour se joindre à notre cortège». Cet humour a arraché un fou-rire chez les militants et sympathisants venus nombreux l’accueillir.
Pour un candidat qui est dans le fond, en s’attaquant au système de gouvernance du président sortant, le choix d’être superficiel détend un peu l’atmosphère.
Sonko, pour faire «drôle»
L’usage de l’humour en communication politique devient de plus en plus une pratique ancrée. Ces traits d’esprit rendent Ousmane Sonko plus humain et congédie l’image du politique trop sérieux. Le recours à l’humour, par le candidat de la coalition SonkoPrésident, est une arme précieuse pour déstabiliser un adversaire politique. Certes, il est dans la confrontation, mais l’humour le fait apparaître comme un homme d’esprit qui sait utiliser la subtilité intellectuelle pour régler ses comptes avec ses concurrents.
Les spécialistes de la communication politique s’accordent sur le fait que l’humour est plus efficace que la peur quand le message s’adresse aux sympathisants et aux indécis. Il attire l’attention et crée les conditions d’une bonne réception du message, tout en améliorant l’attitude affective envers l’homme politique. Le glissement de sens permet de regarder différemment la réalité.
Le trait d’humour impacte positivement la mémorisation du message et cela grâce à la dimension comique du discours.
Le candidat de la coalition SonkoPrésident doit savoir que la génération Y a un faible pour les contenus drôles, au parfum de dérision. En y recourant, Sonko établit une connivence avec cet électorat jeune.
Idy, le mara «manqué»
Les guides religieux occupent une place centrale dans la stratégie électorale du candidat de la coalition Idy 2019. Presque dans toutes les localités visitées pour les besoins de la campagne électorale, Idy se fait le devoir de rendre visite aux guides religieux. Pour, dit-il, solliciter leurs prières. Le mara «manqué» sait se glisser dans la peau du «talibé», avec la mine de dévot, au débit lent et aux pas hésitants. Ses connaissances islamiques avérées, lui permettent, de recourir, parfois, aux versets coraniques, aux fins de communication politique. Ce qui fera dire à Patrice Corréa, Maître de Conférences à l’Université Gaston des Berger de Saint-Louis (UGB), que Idy est «le vrai symbole d’une communication politique teintée de religion et de mysticisme». Et, dans le même article scientifique («Parler politique du religieux et discours religieux du politique au Sénégal : quand les frontières communicationnelles se brouillent», l’universitaire explique que dans «l’hypothèse d’un renforcement de la légitimité politique par le système religieux», il est «impossible d’envisager la légitimité du politique sans une moindre once de reconnaissance symbolique conférée par des réseaux «confrériques»
Du coup, le politique «vertueux » va se muer en politicien habile dont le but premier est de faire le plein de voix, pour parler comme le Florentin. Nos candidats à la présidentielle, l’arme de la ruse et de l’habilité en bandoulière, feignent, devant ces hommes de Dieu, la religiosité pour paraître pieux aux yeux du peuple. Ils sont même prêts à s’asseoir à même le sol, parfois, sous le regard amusé des cameras qui immortaliseront l’instant fatidique d’une tromperie de haut vol.
Nos politiciens ont compris que dans la politique spectacle, la tromperie est un levier pour gagner la bataille de l’image. Machiavel nous enseigne que l’acteur politique qui veut avoir la grande majorité de l’électorat de son côté, doit afficher en permanence ces cinq qualités : paraître clément, fidèle, humain, religieux et sincère. En plus, il doit, autant que faire se peut «ne pas s’écarter des biens».
Les candidats à la présidentielle ont réussi la prouesse de montrer que l’habit fait bel et bien le moine, en cette période de campagne électorale.
Macky, l’obsession des grandes foules
Toutes ses images de campagne électorale montrent un candidat qui veut prouver sa popularité. A travers des processions (marches), Macky Sall est habité par cette quasi obsession de prouver que la majorité des Sénégalais est dans son camp. Quitte à transporter des militants d’une localité à une autre pour créer les conditions d’une mobilisation exceptionnelle. D’où le recours à la stratégie de bain de foule très efficace pour faire croire que l’on a beaucoup de monde derrière lui.
Avec le bain de foule, il est d’usage, pour les candidats, d’aller au contact des populations. Ils touchent les électeurs, serrent les mains, sourient en abondance pour mimer la bienveillance. Les candidats au fauteuil présidentiel jouent la proximité, testent leur popularité et simulent la sérénité. Filmés au plus près, nos «comédiens» vont pousser à l’extrême la mise en scène, avec des plongées (prise de vue) qui vont montrer une foule compacte «acquise» à la cause d’un candidat obsédé par les grands rassemblements.
Dans les bains de foule, la communication se réduit à la caricature ou presque. Le but, pour l’homme politique, n’est pas de véhiculer un message précis. Le seul message se réduit en sa seule présence au même lieu que les destinataires. L’échange se fait à travers le non verbal : contact visuel, toucher, sourire, serrer la main tendue du leader.
Il n’y a pas de ciblage précis dans les bains de foule. Tous les électeurs sont concernés. Le politique gomme la distance et se fait découvrir à un public qui n’a pas toujours l’occasion de le voir aussi près, en chair et en os.