C’est ce qu’on appelle une enquête orientée… et une justice terriblement partisane ! En effet, de manière étrange, l’enquête ouverte suite aux graves incidents survenus lundi dernier à Tambacounda et qui se sont soldés par la mort d’au moins deux personnes, cette enquête — à charge ! — s’oriente dans une seule direction, celle du Parti de l’Unité et du Rassemblement (PUR). Sans perdre de temps, le procureur de la République de la région où les faits se sont produits a ordonné, ni une ni deux, de désarmer l’ensemble des 24 membres de la garde rapprochée du Pr Issa Sall, candidat du Pur à l’élection présidentielle de ce mois-ci, et de les arrêter ! Certes, un jeune militant du parti présidentiel, l’APR, a été poignardé mortellement par un membre du service d’ordre du PUR. Mais est-ce une raison de faire une punition collective en procédant à l’interpellation de tous les membres du service de sécurité d’un candidat dont tout le monde reconnaît qu’il a fait jusque-là la campagne la plus correcte car la plus civilisée et disciplinée ?
Il s’y ajoute que le poignard avec lequel on a tué le jeune Ibou Diop n’a quand même pas été manié par tous les 24 « gros bras » du Pr Issa Sall ! Et d’ailleurs, même le président de la République en condamnant, lors de son meeting tenu à Oussouye le même jour, le meurtre de son militant a dit que ce dernier a été tué « par la délégation du Pur » avant de rectifier : « par un membre de la délégation du Pur ». Or, voilà que là où le président de la République lui-même fait état d’ « un membre » le procureur de Tambacounda fait arrêter 24 personnes ! Ce après avoir fait désarmer et emprisonner l’ensemble des membres de la protection rapprochée d’un candidat à l’élection présidentielle.
Un candidat qui ne bénéficiait pas de la protection des forces de l’ordre et qui ne comptait donc que sur ses « gorilles » pour assurer sa sécurité… La décision du procureur de la République de Tambacounda est d’autant plus scandaleuse que si, c’est vrai, un militant de l’APR a été mortellement poignardé par un membre du service d’ordre du Pur, il n’en demeure pas moins que l’incident est survenu lors d’une bagarre entre jeunes de Tambacounda membres de l’Alliance Pour la République (APR) et des « bodyguards » du Pr Issa Sall. L’élément déclencheur aurait été des affiches du président-candidat Macky Sall déchirées ou gribouillées par des gens du Pur. Si le PUR a prétendu riposter à une attaque de militants du camp présidentiel furieux que les affiches de leur candidats aient été vandalisées, il n’en reste pas moins que tuer l’un d’entre eux est terriblement disproportionné par rapport aux faits. De ce point de vue, la justice doit effectivement mettre la main sur l’auteur des coups de poignard mortels et le punir à la hauteur de la gravité de son meurtre. Cela dit, on conviendra également que attaquer à coups de machettes des gens tout simplement parce qu’ils ont déchiré des affiches, c’est également disproportionné ! De là à mobiliser toute une escouade de gendarmerie — l’équivalent d’une compagnie ! —, désarmer tout le service d’ordre d’un candidat à la présidentielle avant d’emprisonner les éléments de ce service, c’est carrément de l’abus, sinon de l’arbitraire.
Guet-apens criminel contre le PUR !
Mais le plus grave n’est pas là. Il se trouve dans le fait que, durant ce lundi noir, la caravane du PUR a échappé à un terrible guetapens qui aurait pu se solder par des dizaines de morts dans les rangs de ce parti et aussi parmi les journalistes. En effet, en quittant Tambacounda pour se rendre à Kidira, le convoi a heurté un conducteur de moto « Jakarta » le tuant sur le coup. Là, deux versions circulent. Selon la première, livrée par le Pr Issa Sall et confirmée par les journalistes, le cortège s’est vu barrer la route par des dizaines de jeunes gens armés de machettes et de bâtons, l’air menaçant. Pour sauver leur peau, les chauffeurs des voitures de l’avant auraient foncé sur le barrage, tuant un des individus — un conducteur de moto — qui le constituaient. D’après la version du procureur Demba Traoré, au contraire, c’est la mort du « Jakartaman » qui aurait conduit ses collègues à organiser une expédition punitive contre le convoi du PUR. A ce niveau, on se demande dans quel pays serions-nous si tous les parents ou collègues de victimes d’homicides involontaires du fait d’accidents de la route prenaient des armes pour aller tuer les auteurs de ces accidents ? A ce qu’on sache, le cortège du candidat Idrissa Seck a heurté un conducteur de Jakarta à Koumpentoum mais il n’y a pas eu pour autant de vendetta punitive contre cette caravane ! Et même si le commando expéditionnaire qui a barré la route au convoi du Pur voulait venger la mort du jeune Ibrahima Diop, son acte ne se justifierait pas non plus. Car, nul n’a le droit de se faire justice dans un pays civilisé, que diable !
En fait, notre conviction est que ceux qui se trouvaient dans le cortège du PUR l’ont échappé belle. Si les chauffeurs n’avaient pas eu le réflexe consistant à foncer sur les individus malintentionnés qui leur avaient barré la route à la sortie de Tambacounda, on compterait sans doute les morts par dizaines aujourd’hui. Dans les rangs des responsables et militants du PUR, bien sûr, mais aussi dans ceux des journalistes qui n’ont dû leur salut qu’à la vélocité de leurs jambes qu’ils ont pris à leur cou pour échapper à une mort certaine. Et plutôt que d’ordonner l’arrestation des voyous criminels qui ont tendu un guetapens potentiellement meurtrier au candidat du Pur, voilà que ce sont les membres du service d’ordre de ce dernier qui sont fouillés, déshabillés, désarmés, humiliés avant d’être emprisonnés ! Or, on attend toujours que le procureur Demba Sidibé fasse aussi arrêter ceux qui ont failli tuer des journalistes et ont incendié les véhicules d’un honorable homme politique de ce pays.
Justice unidirectionnelle
Hélas, depuis le début de la campagne électorale, les fauteurs de violences appartiennent à un camp, celui du président Macky Sall, et les personnes arrêtées appartiennent toujours… à l’autre camp, c’est-à-dire celui des victimes de ces violences. A ce jour, et depuis la proclamation de la liste définitive des candidats appelés à prendre part à la présidentielle, toutes les arrestations intervenues ont été enregistrées dans le camp de l’opposition. Pas une seule dans celui du président Macky Sall ! Et nous qui croyions que le fléau de la balance de la Justice devait se situer au milieu…
La responsabilité de la Police et de la Gendarmerie en question…
Dans les événements de lundi à Tambacounda, on ne peut manquer de pointer l’intolérable défaillance des forces de l’ordre, Police et Gendarmerie confondues. Car, on veut bien que les candidats, craignant d’être espionnés, déclinent toute protection rapprochée venant du ministère de l’Intérieur. Cela, on peut le comprendre. Ce qu’on ne peut pas gober, en revanche, c’est qu’il n’y ait pas eu au moins un pick-up de gendarmes ou de policiers du GMI qui suive à distance respectable les candidats autres que le président de la République sortant. Surtout qu’ils ne sont que quatre par la magie du parrainage. Et là, pour assurer la sécurité de leur caravane, pas besoin de leur demander leur avis ! Or, voilà qu’on a laissé un candidat à la présidentielle et toute sa délégation — au sein de laquelle des journalistes — tomber dans une embuscade qui aurait pu avoir des conséquences tragiques. Parce que, tout simplement, il n’y avait pas de forces de l’ordre pour assurer leur protection. Au contraire, sous prétexte du meurtre d’un militant APR, on a désarmé et emprisonné le service d’ordre du PUR ! Pour terminer, qu’on me permette de relater un incident survenu en 1988 au cours de la pré-campagne électorale du candidat Abdoulaye Wade. Nous étions dans le département de Kaolack. A l’entrée du cortège du Pape du Sopi dans un village nommé Koutièye Ndiaye, si ma mémoire est bonne, des individus cachés derrière des palissades et des murs en banco ont tiré sur nous. Malheureusement pour l’un des agresseurs qui était parfaitement visible, il a épuisé ses cartouches. Les calots bleus l’ont alors poursuivi puis, l’ayant rattrapé, l’ont bastonné à mort. Le cadavre a été laissé sur place et le convoi a continué son chemin. A l’époque, il y avait toujours un officier de police en civil, un certain Diagne, qui voyageait dans les convois du Pds. Il a fait son rapport à sa hiérarchie, et on n’a plus jamais entendu parler de cet incident, le pouvoir socialiste ayant décidé de classer sans suite ce meurtre dont il avait compris qu’il résultait d’une grossière provocation. Il est vrai qu’à l’époque, le Sénégal était dirigé par un certain président Abdou Diouf, un homme d’une grande sagesse et d’un sang-froid remarquable qui avait compris qu’il ne fallait pas jeter de l’huile sur le feu. Et pourtant, il aurait pu faire désarmer le service d’ordre du Pds et jeter ses membres en prison comme vient de l’ordonner le procureur Demba Sidibé (actionné par sa hiérarchie, bien sûr) !