Le 11 février 1979 ou 22 Bahman dans le calendrier iranien, il y a 40 ans, marquait la fin de la monarchie Pahlavi et l’instauration de la République islamique après une longue révolution dirigée par le feu Ayatollah Khomeiny. La République islamique s’apprête, donc, à commémorer ses 40 années d’existence dans un climat tendu marqué par le retour des sanctions et la rhétorique guerrière de la part du nouveau locataire de la Maison blanche. Cette révolution constitue un facteur considérable qui a contribué au dessin actuel des contours géopolitiques du Moyen-Orient. Les causes de la révolution islamique
La révolution islamique découle immédiatement d’une coalescence de facteurs et surtout d’erreurs monumentaux de la monarchie qui ont fini par offrir à l’opposition laïc comme islamique un terreau fertile pour mobiliser le peuple contre le Shah : d’abord, en pleine guerre froide, pour contrecarrer la menace soviétique, les Etats-Unis, par le biais de la CIA, ont orchestré des opérations visant à une mise en place de pouvoirs autoritaires hostiles au communisme. Ce fut dans les années 70 le général Pinochet au Chili, la gente de Videla, la gente de Salvador pour contrer les mouvements communistes. L’Iran, pays sensible au carrefour du monde, pièce maitresse du « grand jeu » qui opposait la Grande Bretagne et la Russie, n’a pas échappé à cette furie des hommes forts. Sous Roosevelt, l’Iran se voit être une pièce maitresse incontournable et central dans la politique américaine de containment de l’Union Soviétique sur son flanc sud en vue de créer une ceinture de sécurité consolidée par le pacte de Bagdad. Le vent de la démocratie qui soufflait sur l’Iran après l’abdication de Reza Shah père, la consécration du docteur Mossagdeh comme premier ministre qui nationalisa le pétrole iranien en 1951, la mainmise des étrangers, détenant un monopole exclusif sur l’exploitation du pétrole, souvent qualifiés « d’impérialistes » sur l’économie fut drastiquement réduite. Ce fut alors en 1953 le début de l’opération Ajax concoctée par la CIA et la MI6 qui consistait à agiter la rue iranienne, semer la confusion, évincer le gouvernement démocratiquement élu du premier ministre iranien et réinstaller la monarchie sous la houlette de Reza Shah.
Ensuite, la mise place d’un état policier particulièrement répressif symbolisé par le puissant Savak, police sécréte du Shah, contribuait à faire taire les voies dissidentes. Des opposants sont torturés dans les prisons, des manifestations sont réprimées dans le sang et les partis politiques interdits. Cette situation contribua à l’exécution de communistes affiliés au Tudeh 1 même de figures islamiques comme Nawab Safavi, un activiste du « Fayadan Eslam » 2. Comme les dictatures d’Amérique Latine, le Shah disposa d’une carte blanche pour assoir sa domination et sa légitimité souvent contestées. Des lors, on assista à l’entrée en politique du charismatique Imam Khomeiny, un jeune Ayatollah de Qom qui réfusa l’action armée et paria sur le peuple.
L’introduction de la culture occidentale fut un élément capital sur l’enclenchement du processus menant à la révolution. La perse, longtemps connue comme bastion du conservatisme à travers l’héritage de sa tradition séculaire doublée par les valeurs de l’islam chiite se voit être envahie par « un modernisme sans âme ». L’industrialisation accélérée et la militarisation font en sorte que, pour certains, le Shah est devenu une vache à lait à la solde de l’Amérique. Les dépenses colossales (10 % du budget) sont injectées dans l’armée. Rien qu’entre 1972 et 1976, 10 milliards de dollars de matériels militaires furent acquis. D’ailleurs, la politique de modernisation ambitieuse de sous la bannière de la « Révolution blanche » génèrent de nombreux mécontentements dont le clergé. Une fois encore « le modernisme sans âme » bouscule les dogmes d’une société ancrée dans sa culture. L’ambition de redorer la gloire passée de la Perse a précipité la chute Mohammed Reza Shah dont la vision de faire de cette dernière une puissance incontournable tout en mariant l’esprit de la civilisation iranienne et la modernité était incontestable. La Guerre Iran-Irak Après l’arrivée triomphale de l’Ayatollah Khomeiny, la République Islamique fut instaurée suite à un référendum. Longtemps satellisé par Washington, l’Iran est devenu soudain le casse-tête des monarchies Golf soucieuses de voir leurs trônes menacés par la contagion. « L’Iran qui est un îlot de stabilité dans une région tumultueuse et agitée », comme se réjouissait Jimmy Carter en 1978, était devenu un simple souvenir. L’allié historique, le gendarme du Golf et le rempart contre le contre l’Union Soviétique au Moyen-Orient était gagné par le vent de la révolte du peuple. Ce qui a fragilisé fortement les positions américaines et ouvert une perspective à l’armée rouge pour occuper l’Afghanistan.
C’est durant cette période de purge de l’armée impériale que choisit Saddam Hussein pour remettre en cause les accords d’Alger de 1975. Bénéficiant d’un soutien tacite de Washington et des monarchies arabes du golf Saddam lança une opération militaire pour prendre le pouvoir et s’accaparer de Chatt-al-Arab 3, une région pétrolifère revendiquée par l’Iran. Face à cette vague d’évasion, le peuple s’engage, les volontaires se mobilisent et la fibre patriotique iranienne se ressoude. Il s’ensuit huit ans de guerre rythmée par des avancées et des reculades de la part des antagonistes. Cette guerre considérée comme un pain béni, d’abord, par Saddam Hussein, s’est transformée en un terrain d’enlisement dont les pertes en matériels en hommes s’avèrent particulièrement importante.
L’armée iranienne revigorée par l’afflux de volontaires, des Bassidji 4 et la création CGRI (Corps Gardiens de la Révolution Islamique) organise une résistance acharnée et des contre-offensives d’une intensité inouïe qui permit une reprise temporaire de certaines portions du territoire irakien. Malmené par les contre-offensives, l’armée Bath utilisa l’arme chimique au mépris de toutes les lois internationales sans condamnation du conseil de sécurité de l’ONU, ni même des nations occidentales. Isolé par les sanctions américaines, boycotté par les nations occidentales, l’Iran ne pouvait rien d’autre qu’accepter la résolution 598 de l’ONU du 8 aout 1988 après une guerre qui fera plus d’un million de morts du coté iraniens. Sur le plan économique, la production pétrolière mondiale a particulièrement souffert avec la destruction de plateformes de part et d’autre dans le golf. Il faut aussi noter l’intervention américaine dans le golf pour escorter les pétroliers à la demande du Koweït. Cette intervention avait permis le déclenchement de la bataille des plateformes dont les plus célèbres furent celles de Sassan et SIri 5 , faisant de nombreuses victimes du coté iranien. La destruction des infrastructures a aussi causé d’énormes pertes chiffrées en milliards de dollar, du fait de l’utilisation de missiles balistiques et de l’aviation de la part de l’armée irakienne pour bombarder les principaux centres urbains de l’Iran.
La montée en puissance de l’Iran
Longtemps mis dans le banc des accusés de la communauté internationale durant la décennie 90, l’Iran ne pouvait rien d’autre qu’assister impuissant à la montée des Taliban en Afghanistan et l’évasion américaine de l’Irak. Ce dernier, jouissant d’une armée forte était le principal obstacle à l’hégémonie iranienne. Mais, la guerre préventive déclenchée à la veille des attentats du 11 septembre par les faucons de la Maison blanche a permis à la République islamique de rompre son complexe obsidional et d’amorcer une montée en puissance fulgurante sur l’échiquier géopolitique au détriment du grand rival saoudien.
La guerre en Irak avait pour objectif premier de se débarrasser d’un rival gênant d’Israël, mais aussi de bâtir une nouvelle Irak démocratique, chiite et hostile pour contrebalancer la puissance de l’Iran dans le monde chiite. Cette stratégie farfelue développée par les think-thank néoconservateur américain ne pouvait être un échec cuisant car n’ayant pas tenu compte du lien séculaire qui liait les chiites irakiens et iraniens. D’ailleurs, la percée de l’Iran matérialisée par la prise du pouvoir de la majorité chiite en Irak avait fini par effrayer bon nombres d’alliés américains dans la région dont la plus célèbre fut la mise en garde d’Abadallah II, roi de Jordanie dans les colonnes du Washington post, en 2004, mettait en garde contre « le croissant Chiite » allant de Téhéran, Bagdad, Damas et Beyrouth. Cette perception de crainte qui s’est développer dans l’imaginaire dans la plupart des pays arabes contribua au déclenchement de la guerre civile irakienne dont les acteurs les plus fanatiques sont regroupés autour des mouvements Djihadistes, dont Al-Qaeda et l’Etat Islamique en Irak. La révolution Syrienne 2011 a été un élément clef du chaos confessionnel découlant de la prolifération djihadiste. L’atout la plus incontournable réside dans le dossier nucléaire, sujet de tension permanant entre l’Iran et l’occident. Le programme nucléaire date de l’époque du Shah, les Etats-Unis, dans leur programme « Atoms For Peace »6 ont permis à Téhéran de bénéficier de son premier réacteur de recherche Triga. Le Shah disposait d’une ambitieuse et vaste projet nucléaire inachevée avant sa chute. Les attaques chimiques, la prolifération des mouvements djihadistes extrémistes et les menaces permanents d’une éventuelle intervention militaire américaine ont convaincu les décideurs de Téhéran d’avoir un outil de dissuasion et de coercition efficace pour contrer les menaces. En effet, la République islamique est coincée dans un complexe obsidional, du fait de ses exclusivités : la majeure partie des iraniens sont persans dans un univers en majorité Arabe, Chiite dans un océan composé de pays sunnites souvent réfractaires et rival géostratégique de l’Etat hébreux dont les moyens militaires sont aussi impressionnants que modernes.
Selon le traité de non-prolifération ratifié par l’Iran en 1970, tout pays peut utiliser la technologie nucléaire à des fins pacifiques, mais la crise de confiance qui sévissait avait persuadé l’Europe et l’Amérique que le programme nucléaire iranien était strictement militaire.
En outre, le volet balistique aussi confère à l’Iran une puissance considérable. Les sanctions, l’embargo et le refus de la plupart des pays occidentaux à vendre des armes à ce dernier n’ont fait qu’accroitre la production de missiles pour pallier une force aérienne vieillissante et moribonde. Le développement des vecteurs dont le rayon d’action couvre une grande partie du Moyen-Orient dont les bases les plus sensibles de l’armée américaine. Les lancements parfaitement réussis qui ont atteint les cibles djihadistes puis des militants kurdes ont levé la voile sur le mythe balistique iranien et envoyer un signal clair aux ennemis, longtemps considérés par les commentateurs arabes comme « barils soudés ».
L’Iran sous la République islamique est considéré comme un état infréquentable par la plupart des chancelleries occidentales et arabes. Pourtant, ces 40 ans de révolution doit inverser la tendance et pousser l’occident et l’Iran à surmonter les différends et établir les bases d’une nouvelle relation régie par la confiance. Sans l’Iran, tous les efforts de stabilisation du Moyen-Orient sont voués à l’échec. L’accord sur le nucléaire de 2015 était une étape première étape primordiale. En 1979, le peuple iranien avait le choix entre l’indépendance et la domination, ils sont choisis l’indépendance. Cette dernière combinée par le nationalisme profondément ancré dans le Chiisme et les valeurs culturelles millénaires étouffent toutes les espoirs d’un « régime change » souhaité par Trump.
1 Parti communiste Iranien
2 Les combattants de l’islam
3 Nom arabe de la province de Khuzestan
4 Milice armée
5 Plateformes pétroliers situées dans le golfe persique
6 Programme initié par l’Amérique pour garantir l’accès à l’énergie nucléaire à des fins pacifiques pour les pays du tiers monde.
El. Hadji Ibrahima Faye est étudiant en Géographie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar