Le scrutin du 24 février est parti pour être l’un des plus âprement disputé. Les enjeux sont énormes et les protagonistes ne sont pas disposés à se faire cadeau. Aussi bien pour le pouvoir que pour l’écrasante majorité de l’opposition, il n’y a qu’une alternative qui s’offre à eux : gagner ou disparaître ; d’où l’utilisation de moyens non conventionnels pour l’atteinte des objectifs. De ce point de vue, le Sénégal ne semble pas avoir retenu les leçons de l’organisation catastrophique des législatives précédentes.
Pour l’opposition comme pour le pouvoir, la fin justifie les moyens dans cette élection dont l’issue est de plus en plus indécise. Rien qu’en observant leurs démarches, les promesses de campagne qui frôlent parfois le populisme, les stratagèmes mis en place pour booster son électorat, on peut avancer sans risque d’être démenti par l’histoire que le 24 février va cristalliser les passions débordantes. En effet, les germes de la tension dénotée en cette période de campagne électorale étaient déjà visibles avec le contentieux né de la question du parrainage mais l’Etat avait préféré faire l’autruche. L’environnement politique est devenu abiotique avec le pourrissement graduel de l’espace et le manque de concertation et de consensus. La sphère politique est devenue d’autant plus pourrie que les nombreuses sorties et attaques répétitives entre pouvoir et opposition ont fini par prendre en otage la stabilité du pays.
Donc, il est bien clair que ce que nous vivons aujourd’hui était évitable puisque perceptible. Si gouverner c’est d’abord avoir la capacité de prévoir, le ministère de l’intérieur ne devait pas attendre que surviennent des pertes en vies humaines pour prendre des mesures. La décision d’assurer la sécurité des candidats avec le déploiement d’un nombre important de forces de l’ordre est certes tardive mais hautement salutaire. Ce qu’il faut déplorer, sans verser dans la langue de bois, c’est que le département de l’intérieur a été plusieurs fois interpelé sur la question. On se rappelle certainement la saisine du leader du parti Pastef, Ousmane Sonko, sur la question pendant le processus de collecte des parrains. Le ministre avait donné une fin de non-recevoir à cette requête arguant en substance que le jeune politicien n’était pas encore candidat pour aspirer à cette faveur. Alors, dès lors que la liste définitive des candidats était arrêtée, l’urgence devait être d’abord et avant tout la sécurisation des candidats.
Maintenant que le vin est tiré, il faut le boire et essayer d’anticiper sur les autres questions relatives à l’organisation du scrutin proprement dit. Il y en a de ces questions qui sont très sensibles et pour lesquelles il faut des solutions radicales et sans parti pris. L’histoire du « mail égaré » qui supposément émane d’un agent de la Direction de l’automatisation du fichier (DAF), doit être élucidée. Le contenu de cette missive prouve qu’il y a de ces agents de l’Etat qui veulent devenir républicains (APR) au lieu de rester Républicains (la République). Une administration qui prend parti est le talon d’Achille de toute démocratie et les exemples foisonnent dans les théâtres de violences post-électorales en Afrique. Il s’impose ainsi à tous ceux qui sont épris de paix (société civile, autorités religieuses et coutumières confondues) de travailler de concert avec cet Etat garant de la stabilité afin que les germes de la violence soient définitivement étouffés. Si l’on n’y prend garde, une confrontation entre les partisans du pouvoir et de l’opposition le jour même du scrutin sera inévitable.
L’achat de conscience, la plus horrible forme de corruption jamais vécue, commence à resurgir. Des vidéos faisant état de scènes d’arrogance de personnes, jadis anonymes, distribuant des billets de banque ou de vivres à une population visiblement affamée, font lésion. C’est pour condamner cette pratique honteuse, laquelle fausse le jeu électoral, que le candidat Ousmane Sonko appelle ses partisans à s’en prendre à tous ceux qui se prêteraient à cette corruption le jour du scrutin. Si son invite est entendue, il n’y a point de doute que les bureaux de vote seront malheureusement des théâtres d’affrontement puisque les partisans d’un président sortant sont toujours adeptes de cette pratique.
Aussi l’appel d’Idrissa Seck de sécuriser les votes peut en rajouter à cette passion si l’administration ne fait pas son travail en toute équité et responsabilité. Le scandale révélé hier au niveau de la DAF, avec des gens transportés dans des « Ndiaga ndiaye » pour se faire confectionner des cartes d’électeurs à quelques jours de l’élection, doit être pris très au sérieux. Ce sont malheureusement les agents de l’administration qui sont les premiers hors-la-loi puisque la période de révision est dépassée depuis fort longtemps. Il y a urgence à réagir et restaurer la confiance entre acteurs surtout en cette période où l’ancien président Wade ne cesse d’en appeler à la violence. Pour que son désir ne prospère pas, l’administration doit être honnête dans toutes ses composantes. Faute de quoi, le pays va sombrer dans des contentieux ou violences après l’élection car tous les ingrédients sont déjà réunis pour qui sait lire la situation sans complaisance.