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De La Lutte Contre L’Échec Scolaire

De La Lutte Contre L’Échec Scolaire

#Enjeux2019Tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que l’éducation constitue l’un des leviers les plus importants pour l’amélioration des conditions économiques, sociales et culturelles d’une nation. D’ailleurs, il a été établi de manière irréfutable la relation d’isomorphisme entre l’éducation et le développement sous toutes ses formes. C’est peut-être la raison pour laquelle l’Etat consacre une part importante de son budget à l’éducation. Pourtant, les résultats scolaires inquiètent les parents, les enseignants et les décideurs. La lutte contre l’échec scolaire fait l’objet de plusieurs initiatives au nombre desquelles l’on peut citer notamment celles du Laboratoire de Recherche sur les Transformations Economiques et Sociales de l’IFAN-UCAD.

Afin de partager ces initiatives, cette contribution s’articule autour des points ci-dessous :

  • De la nécessité d’intervenir
  • La remédiation comme solution contre l’échec scolaire
  • De la recherche à la remédiation
  • Des avantages de l’expérience du LARTES

– De la nécessité d’intervenir –

Malgré les gros investissements consentis par l’Etat et ses partenaires techniques et financiers, les performances du système éducatif restent en deçà des aspirations proclamées. En effet, les derniers résultats aux examens indiquent  35,9% au baccalauréat, 52,11% au BFEM, 55,51 % au CFEE.

L’efficacité interne n’est guère plus reluisante. Voici quelques éléments tirés des indicateurs de qualité :

  • Taux d’achèvement 59,9 %
  • Taux national de redoublement  3.9 %
  • Taux d’abandon :   9.8 %

D’autres types d’évaluation renforcent les inquiétudes :

Le SNERS de 2016 donne les résultats suivants :

LC : 38.82 % au CP et 38.82 %  au CE2

Maths : 50.61 % au CP et 38.82 % CE2

ESVS : 62.83 % au CP et 38.82 % au CE2

Le PASEC (Programme d’analyse des systèmes éducatifs de la CONFEMEN) compare les performances des pays en lecture et mathématique (en début de scolarité et fin de scolarité) ; en 2014 dix pays d’Afrique subsaharienne francophone ont participé : le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, le Cameroun, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Niger, le Sénégal, le Tchad et le Togo.  

En début de scolarité primaire

En langue, le Sénégal (501,9 points) a un  score  moyen similaire à la moyenne de 500 points, là où le Burundi totalise 627,7 points, le Congo 522,7 points et le Burkina Faso 513,8 points.

En mathématiques, le Burundi (605,1 points), le Congo (541,2 points) et le Sénégal (521,4 points) ont des scores nationaux moyens supérieurs à la moyenne des dix pays ayant participé à l’évaluation

En fin de scolarité (CM)

En lecture, le Sénégal (548,4 points), le Burkina Faso (531,6 points), le Burundi (525,4 points), le Bénin (523,4 points), le Cameroun (517,5 points) et la Côte d’Ivoire (517,0 points) ont des scores nationaux moyens supérieurs à la moyenne des dix pays ayant participé à l’évaluation

En mathématiques

Le Burundi (593,6 points), le Sénégal (546,6 points), le Burkina Faso (539,5 points) et le Togo (520,2 points) obtiennent des scores nationaux moyens supérieurs à la moyenne des dix pays ayant participé à l’évaluation en mathématiques.

Enfin, dans le « Rapport de l’évaluation des performances des élèves du CI en lecture et mathématiques » août 2015 INEADE, on peut relever notamment :

En lecture, les tendances suivantes se dessinent :

  • le score moyen national est de 39.79 sur un total de 100 points
  • 50% des élèves n’atteignent pas ce score qui est déjà très en deçà de la moyenne.
  • 20% des élèves testés sont très faibles en lecture avec des scores compris entre zéro et 19,98 points sur 100
  • En mathématiques
  •  Le score moyen national en mathématiques est de 58,44/100, dépassant la moyenne des 50/100 points.
  • 30% des élèves testés ont enregistré des scores compris entre 0 et 44,19 points sur 100 alors que 40% des élèves ont atteint le score de 68,95 points.

Ainsi, les évaluations nationales (efficacité interne, examens…) et  internationales montrent de faibles performances chez  nos élèves. De ce point de vue, il s’avère important d’agir pour amoindrir, voire stopper l’échec scolaire.  

– La remédiation comme solution contre l’échec scolaire –

En tant que seconde médiation offerte aux élèves en difficultés ponctuelles, la remédiation scolaire est reconnue par beaucoup comme la meilleure forme de lutte contre l’échec scolaire.

Cette activité de régulation permanente des apprentissages a pour objectif de pallier les lacunes et les difficultés relevées lors de l’observation et de l’évaluation des élèves. Elle peut ainsi contribuer à l’amélioration de la maîtrise des connaissances et compétences et, par conséquent à la réduction des décrochages scolaires. Il est clair que beaucoup d’élèves peuvent continuer normalement leurs apprentissages lorsque nous leur offrons une deuxième médiation : une re-médiation. Rappelons ici quelques évidences :

–      Toutes les classes du monde sont hétérogènes. Une classe de 75 élèves compte 75 manières d’apprendre. De ce point de vue, un discours unique aux 75 élèves laisse forcément en rade certains qui ne s’y retrouvent pas.

–      Tout apprenant a besoin qu’on revienne sur tel ou tel aspect du cours, tel ou tel élément du programme. C’est pourquoi le législateur a réservé 4 heures par semaine (2 heures le jeudi et 2 heures le jeudi) pour les inévitables réparations à faire.

–      Tout élève a un potentiel d’apprentissage

–      Les nombreuses évaluations du système restent à rentabiliser : devoirs journaliers, compositions, essais, évaluations standardisées…servent très souvent à des fins seulement administratives. Pourtant, tous les enseignants le savent, l’évaluation n’est pas une fin en soi.

Il faut noter que les activités de remédiation doivent être différentes en procédures et en outils, de celles d’enseignement d’apprentissage. Einstein disait que le début de la folie c’est de faire la même chose et de prétendre à des résultats différents.

– De la recherche à la remédiation scolaire –

Le Laboratoire de Recherche sur les Transformations Economiques et sociales (lartes-ifan) a une longue tradition dans la réalisation de programmes de recherche. Il intervient notamment dans les domaines de l’analyse des politiques de développement et gouvernance, l’évaluation des programmes et projets de développement dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la protection sociale, de la promotion des langues nationales et de la formation, de l’étude de la pauvreté, des vulnérabilités, des mécanismes de résilience, des changements sociaux et de l’évolution des structures familiales… Au nombre des acquis du LARTES–IFAN, l’on peut citer la diversité des profils de chercheurs associés (sociologues, pédagogues, informaticiens, anthropologues, nutritionnistes, économistes statisticiens démographes, géographes, juristes et environnementalistes), la constitution d’une masse critique de connaissances et développement d’outils stables relatifs à l’analyse longitudinale et le passage de l’approche quantitative à  l’approche qualitative.

De plus le baromètre citoyen que le LARTES organise, intitulé Jàngandoo (apprendre ensemble),  œuvre pour l’amélioration de la qualité des apprentissages au Sénégal, à travers plusieurs programmes achevés et/ou en cours de réalisation.

Depuis 2012, beaucoup de réalisations ont été enregistrées dans les domaines de l’évaluation et de la remédiation. On peut citer notamment dans le domaine de l’évaluation :

  • En 2012, phase pilote, 1605 enfants testés dans 4 régions
  • En 2013, 15 277 enfants ont été testés
  • En 2014, 26 014 enfants ont été testés
  • En 2016, 22 688 enfants sont testés dans les 45 départements du Sénégal, issus  16 199 ménages.

Ces évaluations ont été suivies d’actions pour l’amélioration de la qualité. En effet, d’importants programmes de remédiation ont été entrepris, on peut citer : Keppaaru Jàngandoo, le Programme d’Amélioration de la Gestion participative des écoles (PAGE), le Programme de remédiation à l’élémentaire (PRE).

Keppaaru Jàngandoo: Le passage de l’évaluation à l’action à partir de 2015 avec Keppaaru Jàngandoo a permis de mettre en place une équipe pluridisciplinaire pour l’élaboration des guides de remédiation. Le dispositif d’évaluation était centré sur l’identification des lacunes des enfants. Après la signature de convention avec les IA, IEF, et Collectivités locales, des  remédiateurs ont été recrutés au sein des communautés puis formés. Des activités de remédiation communautaire ont ainsi été déroulées en relation avec les collectivités locales (5) à Dakar, Mbour et Thiès en 2016.  Plus de 1 300 élèves ont été remédiés.

Le Programme d’Amélioration de la Gestion participative des écoles (PAGE) :

Ce programme,  réalisé avec l’UNICEF et Aide & Action,  a permis de tester en lecture et mathématiques 9 022 élèves  dans  35 écoles des régions de Tambacounda et de Kédougou en 2016-2017. Le programme a permis de former, à la remédiation,  256 enseignants et 140 remédiateurs ; 70 membres de comités de gestion formés sur le suivi, 35 comités de suivi mis en place, un  dans chaque école.

Le Programme avait pour objectif la systématisation de la remédiation dans le processus d’enseignement apprentissage et l’organisation d’activités complémentaires de remédiation au niveau communautaire dans les « Foyers ardents[1] ».

Le Programme de Remédiation à l’Elémentaire (PRE): Financé par la Fondation Dubaï Cares  (2017 – 2019), le programme ambitionne de renforcer l’évaluation interne et  la remédiation à l’école élémentaire dans les régions de Kaffrine, Kolda et Matam (soit 10 départements).

Ce programme, en cours de réalisation, est en train de développer  un programme systématisé d’évaluation interne et de remédiation basée sur une application informatique. Il a pour cible  43 200 élèves dans 62 écoles élémentaires publiques et 14 franco arabes ; 720 enseignants, 76 directeurs d’écoles, 152 remédiateurs communautaires et 23 Inspecteurs de l’éducation ont été formés.

Ces différents programmes ont un impact certain sur plusieurs aspects :

–      Forte communication grand public à travers des campagnes de partage des résultats (presse, réseaux sociaux, restitutions ciblées au niveau local et national, participation à des rencontres internationales

–      Un dialogue avec les décideurs à partir des résultats de Jàngandoo et publications d’articles scientifiques et d’ouvrages,

–      La démonstration que le changement est possible à travers la généralisation des actions de remédiation à l’intérieur du système éducatif et au niveau communautaire.

–      Adhésion et engagement des enseignants, des directeurs et des inspecteurs, parents d’élèves (du fait des résultats positifs et des informations scientifiques mises à disposition),

–      Collaboration avec la DEE, les inspections d’académie et directeurs d’écoles et enseignants qui s’engagent dans la mise en œuvre de la remédiation,

–      Reconnaissance des apports scientifiques  de l’Université à la promotion de la qualité des enseignements apprentissages dans l’éducation de base.

–      La reconnaissance de Jàngandoo en tant qu’évaluation indépendante par la communauté éducative. 

–      La référence par les organismes nationaux et internationaux des résultats du baromètre (Jàngandoo cité par l’USAID comme déclencheur de la formulation du nouveau projet d’amélioration de la lecture).

–      Participation des membres de l’équipe Jàngandoo à la formulation du programme d’Appui au développement de l’éducation au Sénégal (PADES), MEN en 2018,

  • Participation des membres de l’équipe Jàngandoo au processus des Assises Nationales de l’éducation en 2014 et reconnu par les autorités comme une orientation nouvelle visant à institutionnaliser l’évaluation externe en faveur de la qualité de l’éducation
  • Demandes d’accompagnement des acteurs pour la qualité de l’éducation en productions d’évidences sur des thématiques spécifiques 

–      Enquêtes CAP avec  le programme lecture pour tous (USAID)

  • Mise en place d’un Observatoire des conditions socio-économiques des ménages.
  • Des avantages de l’expérience du LARTES –

L’intervention du LARTES présente des spécificités qu’il convient de mettre en exergue. Nous pouvons en relever cinq.

La première sur la voie d’un changement de paradigme dans la redéfinition du rôle de l’évaluation. L’on s’accorde de plus en plus sur l’urgence de passer de « l’évaluation de l’apprentissage » à « l’évaluation pour l’apprentissage ».

Le LARTES a toujours fait sienne l’idée selon laquelle une évaluation est toujours réalisée pour prendre des décisions. Stufflebeam disait fort justement ceci : “ L’évaluation en éducation est le processus par lequel on délimite, obtient et fournit des informations utiles permettant de juger des décisions possibles ”. Stufflebeam et al (1980)1. Toutes nos activités de remédiation commencent par une identification des difficultés récurrentes. Après une évaluation réalisée sur tablettes, les enfants sont classés en groupes de besoins. Cela permet de passer de l’hétérogénéité naturelle des élèves à la formation de groupes d’enseignement homogènes qui permettent à tous les élèves d’apprendre selon son propre rythme.

La deuxième spécificité est relative à la synergie d’activités réparatrices

Le LARTES propose toujours une synergie d’activités de remédiation :

  • La systématisation de la remédiation dans les classes par les maîtres aux heures réservées à cet effet par le législateur
  • Une remédiation communautaire par des remédiateurs recrutés dans la localité, en dehors des heures de cours.

Troisième spécificité : la remédiation dans les activités ponctuelles. Même si dans la pratique des enseignements apprentissages, la remédiation scolaire est inscrite en bonne place aussi bien dans les emplois du temps que dans les contenus de formation initiale et continuée des enseignants. Il faut dire toutefois que sa prise en charge dans les modules de formation mérite d’être améliorée. C’est seulement pendant les activités d’intégration que l’on retrouve la remédiation. En effet, dans l’apprentissage de l’intégration, il est conseillé d’exploiter trois situations significatives d’intégration : la première en travail collectif avec assistance intégrale du maître ;  la deuxième avec travail autonome des élèves aidés par le maître ; la troisième en autonomie totale servant d’évaluation formative et permettant d’identifier les difficultés susceptibles d’être prises en charge  dans des activités de remédiation. L’on voit ainsi que pendant les apprentissages ponctuels, les instructions ne parlent pas de remédiation. .

Le LARTES propose dans ses différents programmes des activités de remédiation aussi bien dans les apprentissages ponctuels que dans l’apprentissage de l’intégration.

Autre spécificité, celle du suivi numérique. La plateforme numérique du LARTES offre, en plus des ressources pédagogiques, une application permettant de faire le suivi en temps réel. Tous les acteurs (directeurs d’école, inspecteurs, LARTES…) peuvent suivre les activités réalisées dès que les maîtres et les remédiateurs communautaires se connectent. Ce suivi numérique est d’une importance capitale quand on sait les énormes difficultés de suivi auxquelles le système éducatif est confronté. En effet, au nombre des problèmes cités régulièrement dans la mise en œuvre de la plupart des projets, le suivi figure en bonne place.

La cinquième et dernière spécificité est celle de l’engagement lié aux collectivités territoriales. Le LARTES a opté résolument pour une implication effective des Collectivités territoriales dans tous ses programmes de remédiation. En plus de leur statut de gestionnaire de l’éducation en tant que compétence transférée, le LARTES est convaincu que ces structures locales peuvent jouer un rôle important pour la pérennisation des programmes de remédiation dans les écoles. 

En définitive, la contribution du LARTES dans la lutte contre l’échec scolaire est assez significative pour attester que les apports scientifiques de l’Université peuvent et doivent servir à la promotion de la qualité des enseignements – apprentissages dans l’éducation de base.

#Enjeux2019

Kaba Diakhaté est Inspecteur de l’Education à la retraite, Ex coordonnateur du Groupe Langue et Communication, Curriculum de l’éducation de base (CEB).

RÉFÉRENCES

  • Rapport national sur la situation de l’éducation 2016/Direction de la Planification de la Réforme de l’Education
  • Rapport de l’évaluation des acquis des élèves des 2ème et 4ème années du primaire, en lecture, mathématique et Education à la science et à la vie sociale / Système national d’évaluation  des Rendements scolaires –Edition 7 « SNERS 7 », août 2016
  • PASEC12014 : performances des systèmes éducatifs en Afrique subsaharienne francophone / Conférence des Ministres de l’Education des Etats et Gouvernements de la Francophonie
  • Rapport de l’évaluation des performances des élèves du CI en lecture et mathématique » août 2015/  INEADE (Institut National d’Etudes et d’Actions pour le Développement de l’Education)

SIGLES ET ACRONYMES

  • IFAN : Institut fondamental d’Afrique Noire
  • UCAD : Université Cheikh Anta Diop de Dakar
  • BFEM : Brevet de Fin d’Etudes Moyennes
  • CFEE : Certificat de Fin d’Etudes Elémentaires
  • CI : Cours d’Initiation
  • CP : Cours préparatoire
  • CE 2 : Cours Elémentaire deuxième année
  • DEE : Direction de l’Enseignement Elémentaire
  • MEN : Ministère de l’Education Nationale

[1] – il s’agit d’un local aménagé et électrifié avec l’énergie solaire dans lequel les élèves en difficulté sont pris en charge par les remédiateurs communautaires, en dehors des heures de cours







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