Le verbe joue un rôle important dans la conquête du pouvoir. Oui une campagne électorale c’est aussi la manipulation des concepts et les slogans. Pour cette campagne des concepts reviennent comme un leitmotiv. En effet, système et antisystème sont devenus les raisons d’être d’une classe politique. Et chaque locuteur l’utilise comme cela l’arrange. Il te dira avec une désinvolture incroyable « tu sais de quel système je parle ». Mais, un constat c’est que système et antisystème sont des mots valises.
Nous avons toujours une vague idée de ce que notre interlocuteur veut dire quand il parle de système mais nous n’arrivons jamais à le saisir de façon concrète. D’abord, éloignons-nous des carcans académiques qui classent plus des régimes politiques qu’ils ne décrivent un système et essayons de mettre de la chair aux fantômes « Système » et « Antisystème ». En effet, Démocratique, totalitariste ou monarchique qualifient la façon dont le pouvoir politique est exercé plus qu’ils ne décrivent les mouvements des différents éléments sur territoire donné.
Pendant cette campagne, Ousmane Sonko lui-même utilise le concept système, tantôt, en rejetant la centralité des hommes. Ceci pour retomber bien vite sur l’évidence que l’acteur ou agent est incontournable dans la définition du « système ». Comme exemple, dans la fameuse vidéo, il parle des différents chefs d’État depuis les indépendances pour désigner un système qu’il faut envoyer au poteau. Ou quand il répond à une question sur Karim Wade et lie l’ancien ministre au problème « systémique qui gangrène le Sénégal ». Et même quand il compare de façon plus ou moins subtile Wade père à un farouche opposant à la foi qui se repentirait, il démontre que son combat contre un système vise une certaine classe politique. Ceci pour dire qu’acteur et système sont indissociables. Nous pouvons même dire que l’acteur fait le système dans un pays où le pouvoir est fondamentalement patrimonialiste.
Qu’est-ce donc ce système ? Prenons-le par la finalité. Dans un élan idéaliste, il faut dire que la finalité de la gouvernance est l’épanouissement du citoyen. Le citoyen dans sa diversité, dans ses attentes multiples et changeantes. Aussi, ce citoyen est lui-même un élément de cet ensemble. Donc, le système est cet ensemble et les relations que les éléments interdépendants de cet ensemble entretiennent pour réaliser une chose. Partant de la fin, on en conclut qu’un système serait l’ensemble des citoyens, les relations entre ces citoyens pour cet épanouissement des citoyens. Chacun remplissant une fonction définie, car le système est aussi organisé. Mais, il faut remarquer que cette fonction n’emprisonne pas l’acteur. Parce que l’acteur est décrit comme proactif et autonome.
Dans un environnement appelé Sénégal, le système serait composé de politique, d’économique, de social, de religieux, etc. Et que ces différents ensembles sont eux-mêmes complexes. Parce qu’ils sont composés de systèmes ou de sous-systèmes selon la perspective. De plus, ce même système est intégré à un autre système Afrique puis monde. Aussi nous pouvons aller d’une macro à un micro et inversement toujours en parlant de système ou de sous-système.
Par exemple, souvent nous parlons de système nerveux, de système éducatif sénégalais, système de santé système économique, etc. Autant de systèmes dans un système dans le système! Ce système éducatif qui a formé le brillantissime énarque. Ou ce système de santé, celui-là qui le soigne en tant que patriote, je suppose. Voyez-vous « système » est une question d’environnement ici?
De l’antisystème
Ainsi, si tout cet ensemble, les actions, mécanisme et procédure sont le système, peut-on parler d’antisystème? La réponse est oui et non à la fois. Oui parce que dans une démocratique, chaque entité politique est un antisystème. Parce que la raison d’être d’une formation politique est de faire fonctionner cet ensemble autrement pour la finalité évoquée plus haut.
Aussi, nous pouvons répondre par la négative. Non, l’antisystème n’existe pas à vrai dire parce que cette entité-acteur use de son caractère autonome et proactif en agissant autrement. En ayant la liberté d’agir, même agir autrement relève du système. Par exemple, dans le système éducatif, un enseignant qui doit faire un certain nombre d’heures avant les examens. Malheureusement, avec les grèves qui sont aussi des actions admises par le système, il n’atteint pas ce nombre d’heures. Cependant, notre enseignant tient quand même à la réussite de ses élèves et fait des heures de rattrapage ou travaille pendant la grève. Notre enseignant n’est pas pour autant antisystème parce qu’il est proactif. Cette perspective nous amène à considérer l’antisystème comme un élément du système qui produit une action tout à fait légitime. Alors vu que le système n’est pas statique, parler de « changer le système » ne relève que du slogan politique ou d’une simple tautologie.
Antisystème en politique
Pour en venir au concept « antisystème » en politique, d’après l’histoire il est né en Allemagne et est d’abord accolé à un parti fasciste. De nos jours, des partis de droite comme de gauche sont étiquetés antisystèmes. Mais disons le plus des partis de droite que de la gauche, Trump, le Front National entre autres. Ce qui caractérise ces « Antisystèmes », c’est qu’ils sont généralement anti-étrangers ou anti-intégration et opposent des éléments de l’ensemble pour classer certains comme les ennemis à abattre. Retrouve-t-on ces traits chez notre antisystème? Lui vise à « débarrasser le Sénégal d’une vieille classe politique favorable aux étrangères » pour paraphraser Sonko. Donc, l’antisystème est plus fondé sur l’anti à quelque chose plutôt que la proposition d’une autre. Au-delà de cette catégorisation nous sommes les bons et les autres sont mauvais, le paradoxe avec l’antisystème est qu’il refuse la contradiction. Les journalistes Cheikh Yerim Seck, Madiambal Diagne et beaucoup d’autres Sénégalais ont fait les frais de cette tendance des militants de Pastef à insulter tous ceux qui critiquent leur leader. Sonko lui-même a fait une communication pour demander à ses souteneurs de respecter les opinions des autres sans se priver de faire la même chose, en taxant le reste de ses compatriotes de vendus à chaque fois qu’ils ont une opinion contraire.
On casse tout et on verra après
Maintenant, essayons d’identifier le registre de ce discours antisystème. Le discours de l’antisystème repose sur le populisme qui prétend rendre la parole au peuple alors que dans une démocratie comme nous la connaissons le peuple s’exprime lors d’élections ou d’un référendum. Et ses élus prennent les décisions légitimes au nom de ce peuple. Parce que telles sont les règles que le système organisé s’est fixé. Tout un paradoxe. Parce qu’on ne peut pas prétendre restituer aux citoyens la parole en décidant que seule sa parole est vraie et valable. Rappelons que le système c’est nous tous avec nos contradictions notre autonomie d’agent-acteur.
Pour finir, reconnaissons que l’antisystème se vend bien parce qu’en matière d’élection on ne communique pas sur des acquis, mais plutôt sur un futur possible et rien n’est plus nouveau sinon séduisant que l’idée d’un renversement du monde pour reprendre l’expression d’Hervé Juvin. Il s’agit de tout abattre et ensuite voir ce qu’il faut construire. Maintenant est-ce ainsi qu’une nation se gouverne?
Harouna Niang
harouna.niang.1@ulaval.ca
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