Dieu soit loué : contrairement à ce que les apôtres de l’apocalypse annonçaient, les électeurs sénégalais ont encore démontré leur maturité. Ils sont allés massivement voter. Beaucoup d’observateurs sont unanimes à déclarer que le taux de participation, comparé à celui des consultations précédentes, est plus qu’honorable. Comment pouvait-il en être autrement ? Les cinq candidats se sont entièrement donnés pendant la campagne, mobilisant leurs troupes et sillonnant le Sénégal dans ses moindres recoins. Et le citoyen, depuis 2000, est sûr que sa voix, que nul ne peut plus étouffer, est sa carte.
Suivant les cinq mille observateurs étrangers venus contrôler le déroulement des joutes, tout s’est bien passé, puisque les manquements relevés çà et là ne sont point de nature à fausser les tendances générales qu’exprimeront les bulletins de vote sortis des urnes. A ce jour, lundi 25 février, ces tendances distinguent d’une part, un duo, d’office perdant, et d’autre part, un trio sortant.
Le duo pour lequel les électeurs n’ont pas voté en grand nombre est constitué du Professeur El Hadj Issa Sall du Parti de l’Unité et du Rassemblement (Pur) et de Maître Madické Niang de la coalition Madické Président. Lors du débat télévisé organisé par la Rts1, le représentant du Pur s’est signalé par ses propos mesurés et républicains, laissant clairement entendre que s’il y a un contentieux, ce sera aux institutions habilitées de trancher dans le seul intérêt du pays. Quant au représentant de Maître Madické, qui n’est ni jeune ni novice en politique, on peut s’étonner qu’il clame en substance qu’on ne peut pas faire confiance à la justice et qu’il faut voter pour n’importe qui sauf pour Macky. Inutile d’évoquer les propos de celui qui suppose que le deuxième tour est inéluctable et que si les choses se passent autrement «la jeunesse est dans la rue».
Gardons-nous de tenter le Diable ! Et puis pourquoi s’agiter et proférer des menaces alors que rien n’est encore tout à fait clair pour un camp comme pour l’autre ? Il est naturel que les tenants du pouvoir aspirent à triompher dès le premier tour et que l’oppostion souhaite entraîner leur adversaire commun au second tour. Mais les Sénégalais n’écouteront que les voix autorisées à proclamer les résultats qui désigneront le prochain président de la République. Personne ne sortira se battre pour les politiciens. La preuve : sur une population d’une quinzaine de millions d’habitants, c’est à peine plus du tiers qui s’acquitte de son devoir citoyen. La majorité du Peuple aspire à la tranquillité pour travailler et survivre, consciente que ce ne sont point les réalisations ou les promesses de ceux qui se disputent le pouvoir qui la feront sortir de son existence précaire, mais ses efforts personnels.
Le trio sortant est constitué du candidat de Benno bokk yaakaar, de l’ancien Premier ministre, candidat de la coalition Idy Président et de Ousmane Sonko, candidat de la coalition Sonko Président. Il était prévisible que Macky et Idy se talonnent au peloton de tête de l’élection présidentielle. Le Président sortant a un bilan indiscutablement réconfortant, de nombreux soutiens et les foules qui l’ont acclamé partout laissent à tout observateur de bonne foi une impression de raz-de-marée. Quant à Idy, il n’a pas tort d’espérer la victoire, car tous les frustrés du parrainage l’accompagnent et, en dehors de Thiès, il a fait des percées remarquables dans des coins où il n’était pas attendu. C’est pourquoi durant sa campagne, comme Macky Sall, il a rêvé de gagner dès le premier tour.
La victoire au premier tour n’est donc pas impossible. Cependant, il ne faut pas aller trop vite en besogne. Les résultats sont encore en train de tomber et ce n’est ni au pouvoir ni à l’opposition de donner un verdict. Comme cela s’est fait depuis 2000, les télévisions et les radios communiquent les résultats du scrutin tels qu’ils sortent des bureaux de vote où tous les candidats sont représentés. Ne jetons pas la pierre aux journalistes. Ils n’inventent pas les chiffres qu’ils distillent avec soin. Que certains, se fondant sur les premières tendances, avancent des hypothèses, ne corrompt en rien la réalité que dévoileront les urnes lorsqu’elles livreront, toutes, leur vérité palpable et vérifiable sur place et sur pièce. Bien sûr, les journalistes doivent se garder de tout commentaire et se contenter de communiquer les résultats qu’ils reçoivent et dont les candidats ont une copie. Incriminer la Tfm est sans doute moins grave qu’indexer la 2Stv dont le patron ne s’affiche pas comme You, aux côtés du tenant de la magistratue suprême. Mais, au Sénégal, existe-t-il un média privé qui ne dérape pas ? Pendant la campagne électorale, on a bien remarqué une radio qui, ouvertement, en dépit des consignes de le Cnra, orientait l’électorat. A ce propos, de la même façon qu’il n’a pas autorisé un débat contradictoire entre les candidats officiels, le Cnra aurait dû interdire que les radios et télévisions couvrent des points de presse avant la proclamation officielle et définitive des résultats du scrutin. Cela nous aurait épargné la vaine polémique qui embrume nos esprits. Cependant, comme souligné plus haut, les citoyens avertis ont entendu les déclarations respectives des camps adverses, mais ils n’écoutent que les représentants des institutions qui ont la légitimité de dire si la cause est déjà entendue ou si nous allons revoter le 24 mars 2019.
Il faut tout de même nous réjouir de ce qui vient de se passer. Le parrainage tant décrié a positivement assaini le système des candidatures et le vote, le 24 février, s’est déroulé rapidement, dans le calme et sans les confusions qu’on redoutait. Mais il faut dire que ce qui réconforte et rassure, c’est la mobilisation de la jeunesse, qui a compris qu’au-delà du fauteuil présidentiel en jeu, c’est son avenir qui se prépare. Cette jeunesse est responsable et n’est pas oublieuse. Elle sait que ce pays que les adultes se disputent est son bien qu’il faut préserver du feu et du sang. Elle n’oublie pas les étudiants morts pour une cause incertaine pendant que les fils de ceux qui les poussaient dans les rues se la coulaient douce quelque part en Europe ou en Amérique. Elle a sûrement massivement appuyé Ousmane Sonko, le benjamin des candidats. Ce garçon est la révélation de cette élection présidentielle qui a commencé dans la sérénité et doit se dénouer de la même façon. S’il ne le sait pas, les éminentes personnalités qui l’entourent, parmi lesquelles l’admirable Atépa et le sage Boubacar Camara, doivent lui souffler à l’oreille ce qu’un père ou un oncle confie à son fils ou à son neveu. Doucement ! Rien ne sert de vouloir courir plus vite que le vent qui souffle dans sa direction ! Sonko bat à plate couture tous ses adversaires à Ziguinchor, dans la diaspora et fait des scores remarquables dans les bassins électoraux où n’émergent que ceux que le peuple Porte dans son cœur. Il a réussi ses performances, seul, avec ses modestes moyens. Il se présente pour la première fois et doit être satisfait de ses résultats. Que son succès ne l’aveugle pas et le plonge dans une euphorie qui lui fasse oublier que la politique est un terrain glissant. Il faut qu’il regarde bien là où il pose le pied et surtout tourne sept fois la langue dans sa bouche avant de parler.
Dans le contexte actuel du Sénégal où le Peuple est déterminé, la jeunesse vigilante et la Société civile objective, confisquer le suffrage universel n’effleure l’esprit d’aucun homme politique soucieux de paix et de stabilité. S’il doit aller au second tour avec Idy ou avec Sonko, Macky relèvera le défi. Chacun de ses potentiels adversaires doit garder le silence comme lui, et attendre la proclamation des résultats officiels. Mais de grâce, que le dernier mot revienne à la loi et non à la rue. Que les perdants félicitent l’élu et que celui-ci, humblement, s’incline devant le Peuple souverain et lui garantisse loyauté et volonté de mieux gouverner, équité et transparence dans la gestion des biens de l’Etat.
Marouba FALL – Ecrivain Chevalier de l’Ordre National du Lion. marouba_fall@yahoo.fr