Macky Sall a revendiqué dimanche soir, par la bouche de son Premier ministre, sa victoire dès le premier tour de la présidentielle. Un scénario impossible, selon Thierno Bocoum, responsable de la communication de la coalition d’Idrissa Seck.
Après une journée de vote qui s’est déroulée dans le calme et sans problème majeur, le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne a provoqué un petit séisme, dimanche soir, en déclarant, depuis le siège de campagne de Macky Sall, à Dakar, que le président avait été réélu pour un second mandat « avec un minimum de 57 % des voix ».
Des chiffres basés sur les propres compilations de la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY), qui n’ont donc rien d’officiel – les résultats devraient être connus au plus tard vendredi prochain.
De quoi susciter l’ire des quatre opposants à Macky Sall qui assurent qu’un deuxième tour est inéluctable. Parmi eux, l’ex-Premier ministre Idrissa Seck, l’un des plus sérieux rivaux du président sortant. Au lendemain de cette soirée électorale confuse, Thierno Bocoum, le responsable de la communication de la coalition « Idy 2019 », a reçu Jeune Afrique pour faire le point.
L’OPPOSITION EST UNANIME : IL N’Y A PAS DE POSSIBILITÉ DE VICTOIRE AU PREMIER TOUR
Jeune Afrique : Votre camp conteste la victoire de Macky Sall dès le premier tour, annoncée dès dimanche soir par son Premier ministre. Pourquoi ne livrez-vous pas vos propres chiffres ?
Thierno Bocoum : Nous ne sommes pas les seuls à contester ces résultats. Les trois autres candidats de l’opposition font de même. Nos recoupements montrent très clairement que Macky Sall ne dépasse pas 45 % des voix. Nous ne comprenons donc pas que le Premier ministre ait déclaré que Macky Sall avait gagné au premier tour avec 57 % des voix.
Idrissa Seck et Ousmane Sonko ont dit qu’ils allaient laisser les institutions habilitées à le faire donner les résultats. Mais l’opposition est unanime : il n’est pas possible que Macky Sall ait gagné au premier tour.
Comment pouvez-vous dénoncer l’annonce prématurée par le camp de Macky Sall d’une victoire au premier tour et, dans le même temps, assurer vous-mêmes qu’un deuxième tour est inéluctable ?
Nous n’avons pas donné de résultats de manière volontaire. Nous avons une certaine expérience des élections au Sénégal, où les résultats sont donnés en direct. Nous avons cumulé les scores de l’opposition et nous les avons comparés à ceux du pouvoir. Il est selon nous impossible que le président sortant ait récolté 57 % des voix. Qu’on ne vienne pas nous dire qu’il est passé au premier tour.
LE PLUS IMPORTANT EST QUE NOUS PUISSIONS FAIRE RESPECTER LES RÈGLES DU JEU EN DÉMOCRATIE
Cette intervention du Premier ministre a été diffusée en direct sur la RTS, la chaîne publique. Est-ce conforme aux usages ?
C’est extrêmement grave, mais cela entre dans une stratégie concoctée depuis longtemps. Depuis le début du processus électoral, nous avons constaté le forcing du camp présidentiel pour imposer de nouvelles règles du jeu qui n’ont rien à voir avec celles qui avaient permis à Macky Sall d’arriver au pouvoir.
Il y a eu la loi sur les parrainages, le refus du ministre de l’Intérieur de transmettre le fichier électoral – ministre qui, par ailleurs, siège au secrétariat exécutif de l’APR [l’Alliance pour la République, le parti présidentiel] et qui a été imposé par le président pour organiser les élections… Tout le monde a constaté qu’il y a eu énormément d’anomalies.
Quelles sont les tendances dont vous disposez ? En quelle position arrive votre candidat ?
Les tendances que nous avons montrent qu’il n’y a pas eu de victoire de Macky Sall au premier tour. Mais le plus important est que nous puissions faire respecter les règles du jeu en démocratie. Vouloir ainsi passer en force au premier tour est une violation des règles démocratiques et une manière de contourner le vote des populations. Nous ne pouvons pas l’accepter.
NOUS PENSONS QU’UNE ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE DEMANDE DES RESPONSABILITÉS DE PART ET D’AUTRE
Dimanche soir, Idrissa Seck a déclaré qu’il ne laisserait pas le pouvoir « confisquer » le vote des Sénégalais. Qu’allez vous faire si la réélection de Macky Sall est officiellement annoncée dès le premier tour ?
Nous n’attendrons pas que Macky Sall soit déclaré élu au premier tour. Nous le disons très clairement : il a mis en place tout un processus que nous suivons avec beaucoup de vigilance.
À chaque étape de ce processus, nous aurons une réaction adéquate. Nous apprécierons la situation au fur et à mesure. Nous confronterons les résultats qui seront donnés officiellement et nous réagirons en conséquence. Mais aujourd’hui, je vous le dis : un deuxième tour est inévitable.
Quels sont les propos ou faits précis que vous reprochez aux médias sénégalais et internationaux, qu’Idrissa Seck et Ousmane Sonko ont ciblés lors de leur conférence de presse commune, après le scrutin ?
Avant même l’élection, il y a eu une sorte de propagande dans certains médias internationaux, que je ne nommerai pas. Ils ont pris fait et cause pour Macky Sall. Dans leurs reportages ou leurs articles, ils faisaient le bilan du président et tiraient sur l’opposition en disant qu’elle peinait à mobiliser. Cela représente une forme d’ingérence dans un processus électoral qui doit aboutir au choix souverain du peuple sénégalais. C’est inacceptable.
Le 24 février, nous avons entendu un média donner un résultat selon lequel le président avoisinait la barre des 50 %, à un moment où il était impossible de le savoir. Au lieu de se contenter de donner des résultats bureau de vote par bureau de vote, comme le font tous les autres médias, ils ont donné un pourcentage pour Macky Sall et un pourcentage pour les autres candidats.
C’est une forme d’influence et de propagande que nous n’acceptons pas. Nous pensons qu’une élection présidentielle demande des responsabilités de part et d’autre. Il faut attendre le résultat des urnes avant de se prononcer.
LE BUT N’EST PAS D’ATTAQUER LES JOURNALISTES. MAIS C’EST AUSSI NOTRE RÔLE DE DIRE : « ATTENTION, NE FAITES PAS CI OU ÇA ! »
N’est-ce pas un peu facile de faire des médias des boucs émissaires, qu’ils soient sénégalais ou internationaux ?
Nous ne pouvons pas empêcher les Sénégalais d’avoir une opinion. Si des médias ont été ciblés, c’est parce que les Sénégalais eux-mêmes ont constaté qu’ils avaient un comportement qui ne seyait pas à la situation, et qu’ils l’ont manifesté.
Dimanche, des journalistes sénégalais et étrangers ont été insultés par des militants d’Ousmane Sonko et d’Idrissa Seck. Certain ont même dû être exfiltrés de votre siège, car leur sécurité était menacée… Que pensez-vous de ces débordements ?
Nous le regrettons et le condamnons. Les journalistes qui étaient là avaient suivi le président Idrissa Seck. Quand on nous a annoncé que certains de nos partisans voulaient les expulser, nous leur avons répondu que ce n’était possible. Le but n’était pas d’attaquer les journalistes.
Mais fondamentalement, il nous revenait aussi, connaissant le tempérament des Sénégalais et voyant le contexte de cette soirée, de dire : « Attention, ne faites pas ci ou ça ! » Ce qui s’est passé a eu lieu avant la conférence de presse des deux candidats, ce n’est pas donc pas lié à leurs déclarations.