La transition politique entamée en 2012 se poursuit aujourd’hui avec la renaissance fragile d’Idrissa Seck et la concrétisation du phénomène Sonko en percée électorale au niveau national, un facteur qui a peut-être chamboulé les prévisions de Macky Sall pour une réélection tranquille au premier tour de scrutin. En face, la puissance souveraine du peuple électeur se transmute de plus en plus en sentinelle vigilante au service de la démocratie.
Les résultats provisoires de la présidentielle seront publiés au plus tard ce vendredi par la Commission nationale de recensement des votes que préside le juge Demba Kandji. En attendant, que pouvons-nous retenir d’un scrutin hors normes et sans doute fondateur d’une nouvelle donne politique au Sénégal avec ses nouvelles règles. Incontestablement, le phénomène « Sonko », plus qu’une réélection possible du président sortant, apparaît comme la grande attraction de cette étape-ci du jeu politique dans notre pays.
Il ne sera pas facile de se souvenir d’un modèle de pénétration de l’espace politique aussi puissant et fulgurant en l’espace de cinq ans seulement. On pourra bien faire référence à Moustapha Niasse et feu Djibo Leyti Kâ après leurs départs du Parti socialiste. Mais les fondateurs de l’Alliance des forces de progrès (Afp) et de l’Union pour le renouveau démocratique (Urd) ne pouvaient-ils pas déjà revendiquer le titre de dinosaure eu égard aux expériences diverses et formatrices qu’ils avaient déjà accumulées auprès de Senghor et dans l’appareil d’Etat ?
Dynamique prolongée
En vrai, la dynamique Sonko qui avait fini de s’imposer sur les réseaux sociaux a trouvé dans cette présidentielle du 24 février un prolongement politique naturel dont on mesurera plus tard les effets dévastateurs sur les plans de la majorité présidentielle en vue de conserver le pouvoir. Elle se veut une rupture, une intrusion dans un « système » que d’aucuns jugent irréformable mais que lui, Ousmane Sonko, entend faire bouger du mieux qu’il pourra. Mais de système, il y en aura toujours, d’une manière ou d’une autre, avec ou sans lui.
Sa percée au niveau national, à un niveau où il parvient à se hisser au-dessus de vieux briscards de la politique, marque véritablement le lancement de sa carrière politique. En laminant Abdoulaye Baldé dans son fief au Sud, Ousmane Sonko se pose d’ores et déjà comme un candidat potentiel de poids pour la mairie de Ziguinchor aux élections locales de décembre 2019.
L’irruption du leader de Pastef dans le jeu présidentiel a vraisemblablement perturbé le scénario originel de Macky Sall et de ses stratèges pour se faire réélire sans encombre dès le premier tour de scrutin en comptant essentiellement sur les absences programmées de Khalifa Sall et de Karim Wade. Pour le chef d’Etat élu en 2012, cette élection ne sera pas sans tâche même en cas de réélection. Cet impair, il le devra également à un Idrissa Seck revenu des petits malheurs inhérents à une traversée du désert. Expérimenté à souhait, l’ancien premier ministre, sans être tout à fait neuf, a démontré sa capacité à se projeter au niveau des exigences populaires par rapport auxquelles il a si souvent semblé en déconnexion. En cela, Macky Sall lui a bien facilité la tâche !
Phénomène des bastions
Le scrutin de dimanche a confirmé le lien quasi affectif que les Sénégalais entretiennent avec l’élection présidentielle. La forte mobilisation des électeurs de tous bords, la discipline globale qui a accompagné le vote et le nombre apparemment peu important des bulletins nuls dans les urnes traduisent cet état de fait. De ce point de vue, il aurait été heureux que le taux de participation national soit porté à la connaissance et à l’appréciation de l’opinion publique nationale et internationale.
La personnalisation du jeu politique au Sénégal est une réalité bien ancrée. Cette présidentielle l’a réaffirmé avec force. Le phénomène des bastions se refait une nouvelle jeunesse. Idrissa Seck s’est comporté en maître absolu de Thiès et de sa commune après avoir été souvent privé du département. Ousmane Sonko peut faire de la région naturelle de Casamance la rampe de lancement de sa conquête du palais. Issa Sall a montré que Tivaouane est son fief naturel en dépit de la victoire du président sortant, de même que Madické Niang en pays mouride, notamment à Touba. Macky Sall est un presque seigneur à Fatick et surtout dans le septentrion national où ses résultats frisent l’irrationnel. Mais deux événements majeurs survenus dans cette élection resteront des catalyseurs historiques de sa gouvernance : sa terrible défaite de Touba lui survivra comme blessure éternelle ; et les déconvenues de son bataillon de « hauts-représentants » dans la zone Sud du pays.
Quelle que soit l’issue de l’élection de dimanche, le Sénégal va vers une consolidation de la transition politique ouverte depuis l’accession de Macky Sall en 2012. Le jeu reste ouvert, les perspectives s’annoncent à la fois larges et étriquées autant par la rareté inquiétante de figures charismatiques aptes au leadership de qualité que par une exigence de plus en plus incontournable de coalitions politiques homogènes, fortes et dotées de réelles visions programmatiques.
Avec les retours possibles de Khalifa Sall et de Karim Wade, dans un quinquennat censé être le dernier pour l’actuel président s’il est réélu, les places au panthéon risquent de coûter cher. Car en face, la démonstration de force souveraine offerte dimanche par une citoyenneté active et pragmatique est appelée à se renforcer, peut-être au détriment d’une classe politique en général corrompue et pas souvent en phase avec les enjeux de l’époque.