Des élections locales de 1976 à ce jour, des citoyens sénégalais ont accordé leurs suffrages au père-fondateur du Parti démocratique sénégalais (PDS). Certains ont beaucoup souffert de leur proximité avec lui ou de leur engagement militant à ses côtés, s’il n’en ont été tout bonnement les martyrs. Au terme de 26 ans (moins les années passées dans les gouvernements de Abdou Diouf en 91 et 95), Me Abdoulaye Wade a atteint le graal politique en mars 2000 en accédant à la magistrature suprême par la volonté du peuple sénégalais.
Le 24 février, jour de scrutin du 1er tour de l’élection presidentielle, le pape du sopi a décidé, de manière souveraine, de ne pas se rendre aux urnes. Par ce boycott, il n’entend pas participer à un scrutin dont les dès seraient déjà pipés. Il est aussi permis de penser, souverainement, que Me Wade, devrait, ne serait-ce que pour le symbole, si ses capacités physiques le lui permettent, d’aller glisser un bulletin dans l’urne, quelques soient ses états d’âme vis-à-vis des modalités et de l’organisation de l’élection.
Au demeurant, la lutte pour s’assurer les conditions d’un respect scrupuleux du choix de l’électeur afin que son choix au fond de l’urne soit respecté, est une donnée normale en démocratie. Ça a été le combat de toute une vie de l’opposant Abdoulaye Wade. Ainsi, le passage obligatoire par l’isoloir, la représentation des partis politiques à toutes les étapes du processus électoral, la mise en place d’un organisme indépendant chargé de superviser les élections (ONEL en 1998, CENA plus tard), etc., ont été des conquêtes démocratiques arrachées de haute lutte sous le leadership du Secrétaire général du PDS, principal parti d’opposition sous les régimes Senghor et Diouf.
Le coup d’éclat permanent
Arrivé au pouvoir en 2000, les choses ne se sont pas déroulées en fin de compte comme le voulait la nature. Si Abdou Diouf était le maitre du « je » sous son magistère, Abdoulaye Wade, « un opposant au pouvoir* » tenait de main de maitre l’agenda et l’animation politiques. C’est sous les 12 ans qu’a duré la première véritable alternance politique à la tête du pays que la Charte fondamentale du Sénégal a été le plus tripatouillée avec 14 révisions constitutionnelles; « déconsolidantes » pour la plupart, selon le néologisme popularisé par le professeur agrégé de droit constitutionnel Ismaïla Madior Fall, actuel Garde des Sceaux, Ministre de la Justice. A cette aune, l’imbroglio le plus polémique a été consécutif au sésame accordé au 3ème président de la République par le Conseil constitutionnel de briguer un 3ème mandat présidentiel.
Malgré l’avis contraire de la plupart des hommes de l’art, la clameur et les heurts populaires avec son lot de morts et de blessés, le président sortant était en fin de compte sur les startingblocks en 2012.
L’opposition de l’époque s’y résout et battit enfin campagne malgré quelques atermoiements. Et c’est le candidat Macky Sall qui avait le plus vite fait preuve de réalisme en allant battre campagne qui a pu amener son ancien patron politique en ballottage avant de le déloger du palais présidentiel, le 25 mars 2012, à l’issue du second tour de scrutin.
Ce ne serait point faire insulte à Me Wade, nonobstant son expérience politique encyclopédique, même du haut de ses 93 hivernages, de faire preuve, toutes proportions gardées, du même réalisme que son « héritier » de successeur, en faisant le constat de sagesse qu’il entacherait très difficilement cette élection présidentielle, encore moins empêcher sa tenue comme il en a récemment entretenu l’illusion.
Abdoulaye Wade, adepte du coup d’éclat permanent, ayant toujours abhorré la politique de la chaise vide, a pourtant déjà boycotté des élections: les locales de 1990. Les retombées politiques étaient dérisoires, voire même catastrophiques avec le charivari qu’on a connu aux élections locales de 1996. Au surplus, entre 1990 et 2019, il y a un abîme, au plan symbolique, tout comme en terme de contexte politique.
En ne se rendant pas aux urnes ce dimanche, Me Wade, peut au plus donner l’illusion de villipender un modèle craquelé d’une certaine démocratie sénégalaise. Toutefois, ses gérémiades et autres féroces dénonciations ne seront pas « de nature à entacher la nature du scrutin ». Les nombreux observateurs de l’Union africaine (UA), de l’Union européenne (UE), ainsi que les observateurs de l’Eglise catholique sénégalaise, ne manqueront pas d’emboucher la même antienne pour valider l’élection. Surtout qu’il établi qu’au Sénégal où l’on vote depuis plus de 150 ans, on n’a pas de leçons de démocratie à recevoir d’ailleurs.
Au crépuscule d’une vie politique bien remplie, le président Abdoulaye Wade, dans son boycott actif, conçoit que ses partisans puissent voter pour les candidats Ousmane Sonko, Idrissa Seck ou El Hadji Issa Sall.
Retour d’ascenseur
Par un naturel parallélisme des formes, il pourrait tout aussi voter pour l’un de ses trois fils putatifs engagés la joute électorale.
Mais encore une fois, le plus important pour lui, reste d’aller aux urnes. Au plan symbolique, ce ne serait juste qu’un retour d’ascenceur au peuple sénégalais qui lui a beaucoup donné. Une sortie honorable qui serait à la hauteur de son prestigieux statut d’ancien président de la République.
* Abdou Latif Coulibaly. « Abdoulaye Wade, un opposant au pouvoir, l’alternance piégée ». Edition Sentinelles.
Journaliste, Analyste politique