La liquidation judiciaire d’adversaires politiques et une capture méthodique du processus électoral ont rendu possible la victoire sans bavures du candidat Macky Sall au premier tour de la présidentielle du 24 février 2019. Mais cette performance tient également au pragmatisme ciblé des investissements sociaux, économiques et industriels dont la plupart ont frappé les imaginaires, avec le Train express régional (Ter), les autoroutes (mêmes inachevées), les programmes du Pudc à l’intérieur du pays, le nettoyage du secteur de l’énergie, etc., avec en toile de fond une force de frappe financière rarement égalée dans une campagne électorale au Sénégal.
Logique. On peut qualifier ainsi la réélection de Macky Sall à la présidence de la République à l’issue de la proclamation provisoire des résultats par le juge Demba Kandji, président de la Commission nationale de recensement des votes (Cnrv). Pour l’ex candidat-président, l’obsession du second mandat est devenue une réalité, mais à quel prix ! Il faudra s’y faire : Macky Sall a construit sa victoire sur des piliers qui transforment les hommes d’Etat à la fois en ange et en démon de leur époque.
Le premier instrument de conquête du quinquennat qui va démarrer a été une arme à double faces. D’une part, la liquidation politique de concurrents potentiellement dangereux pour ses ambitions. En livrant Khalifa Sall et Karim Wade au glaive de la justice sénégalaise, le premier magistrat du pays a balisé très tôt le chemin d’une gloire qui ne devait en aucun cas sombrer dans l’humiliation du mandat unique.
La vérité des chiffres rendus publics par les urnes lui donne raison : avec 46% des voix dans la région dakaroise, jamais il n’aurait pu obtenir un tel score dans une élection où il aurait affronté le candidat du Pds et l’ex-maire de Dakar, en plus de ses adversaires du scrutin du 24 février dernier. D’autre part, Macky Sall a soigneusement brandi l’arme du chantage pour neutraliser des leaders politiques, notamment libéraux, à qui il n’aura laissé que deux choix : le rejoindre ou s’effacer. Une tactique qui a contribué à massifier la mouvance présidentielle à défaut de renforcer son parti, l’Alliance pour la République (Apr).
Capture du processus électoral…
La déstabilisation méthodique et progressive du consensus historique des acteurs autour des modalités d’organisation des scrutins nationaux depuis 1992 a abouti à la capture de tout le processus électoral par le pouvoir. Et ce fut la grande équation pour l’opposition : comment peser sur ledit processus en étant privé de fichier électoral, de carte électorale, en étant écarté du mécanisme des inscriptions sur les listes électorales, de la question des primo-votants, des manipulations liées aux changements et déplacements d’électeurs opérés de manière unilatérale?
Au final, il n’est pas surprenant qu’une masse de 2 millions 256 mille 699 électeurs n’aient pas participé au scrutin présidentiel, selon le juge Demba Kandji. Du reste, les opposants au chef de l’Etat réélu n’ont pas semblé accorder une grande attention à l’alerte lancée par les observateurs de la Mission électorale de l’Union européenne au Sénégal dans le rapport d’audit partiellement accablant sur le fichier électoral.
Macky Sall, ancien ministre de l’Intérieur, et à ce titre « patron » à une époque du processus électoral, n’a pas peu tiré profit d’une telle expérience. Après avoir servi Abdoulaye Wade comme premier ministre et directeur de campagne, entre autres fonctions, il satisfait ses propres ambitions en usant a posteriori de l’adage « charité bien ordonnée commence par soi-même ».
Cependant, sa stratégie de cannibalisation de l’espace politique sénégalais ne peut être réduite à une simple traque judiciaire de certains de ses adversaires. Sall a intelligemment mis à contribution les « doyens » Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng dans la guerre de tranchées qui l’oppose au Pds d’Abdoulaye Wade. Les appareils politiques de l’Afp et du Ps lui ont donné la profondeur indispensable à l’acquisition d’influence dans l’hinterland sénégalais.
…Et investissements socio-économiques
A cet égard, il est impossible de ne pas tenir compte de la puissance d’adhésion qui accompagne un gouvernement dont les investissements impactent la vie quotidienne des populations rurales. Même s’il n’a fait qu’un « séjour » bref chez les « cocos », Macky Sall semble avoir eu le temps d’y apprendre comment « encercler » un pays et des catégories sociales démunies. Est-il possible d’imaginer que son programme de réhabilitation des centres religieux, la Couverture maladie universelle (CMU), les bourses de sécurité familiale, les allocations de plusieurs millions de francs Cfa et de matériaux de construction pour les mosquées de quartier, sans oublier les interventions de la fondation Servir le Sénégal que pilote la première dame, ont laissé des Sénégalais indifférents ?
Dans un pays comme le nôtre, ce sont là des paramètres socioéconomiques fondamentaux qui, très souvent, postulent des victoires électorales. Seul le Pouvoir gouvernant en a les moyens. Et le pouvoir au Sénégal a un nom : Macky Sall.