Qui pouvait, même dans ses rêves les plus lucides, penser à une hypothétique réélection de ce président au périgée de sa popularité ? Un président candidat que personne ne voyait victorieux, un homme sur lequel nul n’avait osé parier. Sauf à se représenter dans un autre pays. Et même là encore… Alors imaginer sa “victoire” dès le premier tour ? Non, même pas en cauchemar.
Pour une raison toute simple, les Sénégalais dans leur immense majorité, n’ont jamais manifesté une telle détestation, voire haine personnelle de leur chef de l’Etat. Un constat sans équivoque et sans appel qui explique les sombres échos du tocsin de la détresse qui a submergé le Sénégal à l’annonce de la réélection de Macky sall. L’onde de choc a ébranlé le pays et assommé une opposition convaincue de l’inéluctabilité du second tour. Les Sénégalais dans leur immense majorité, sont abasourdis par l’issue énigmatique de cette obscure élection à l’issue de laquelle, Macky Sall est proclamé “inévitable vainqueur dès le premier tour”, exactement comme lui-même l’avait prophétisé quelques jours seulement avant le scrutin. Un coup de tonnerre a 58,26%. Le résultat abracadabrantesque d’une élection gargantuesque marqué du sceau d’une opacité qui aura assombri toute la transparence du processus électoral.
Cette suspicion légitime et permanente qui pendant deux ans a plané sur les procédures électorales, a engendré les mêmes suspicions de manipulation des résultats de l’élection. C’est la grosse part d’ombre du 24 février 2019 ou la face cachée d’un scrutin qui aura fait du président le plus impopulaire de l’histoire, le candidat, “le mieux élu”, comptablement parlant, de la République. Du grand art électoral qui a poussé certains à suspecter le président candidat et son ministre de l’Intérieur, d’avoir concocté dans l’arrière cuisine de la place Washington, un scrutin mystère, feuilleté à l’urne truquée et fourré au fichier corrompu. De la haute pâtisserie électorale siglée “SN”, Sall Macky et Ndiaye Ngouille. Un binôme qui avec son “coup ko”, aura réussi à déverrouiller tous les codes du secret de l’isoloir, pour donner corps au mantra présidentiel : réduire l’opposition à sa plus simple expression.
Macky Sall a régné sur le Sénégal sans partage pendant sept ans. Un septennat à réprimer toute les ambitions discordantes, à bâillonner tous ceux qui ne parlaient pas la langue de “l’inévitable” second mandat, à diffuser le virus de l’autoritarisme politique dans le coeur de la démocratie sénégalaise en menaçant, muselant, démettant, radiant, exilant et emprisonnant tout sénégalais qui pouvait lui obstruer l’interstice qui le laissait entrevoir le graal de la réélection. Objectif atteint, mais à quel prix ?
Alerte à la haine
Cette infrangible obsession du second mandat s’est construite froidement et méthodiquement sur le dos d’une fracture générale de la société sénégalaise. Aux déchirures politiques avec l’implosion du PS, de l’AFP, du PDS, de l’ AJ-PADS… se sont ajoutées des fissures ethniques, une cassure confrérique, une rupture de confiance inédite entre le peuple et sa justice et une coupure entre certains médias et les citoyens.
L’hypocrisie intellectuelle a ses limites. Vouloir nier que le Sénégal s’est réveillé au lendemain du scrutin avec un pays en lambeaux est un déni de réalité. Tout le monde peut se forger sa propre opinion, mais il est incontestable qu’une grande partie de nos concitoyens a aujourd’hui l’impression qu’il y a une prééminence ethnique dans la gouvernance politique et économique du pays. L’occulter reviendrait à laisser prospérer la grégairisation de nos instincts avec tous les risques de déflagration sur notre cohésion nationale. Il y a quatre ans, je dis bien quatre ans, jour pour jour, je signais un article prémonitoire “Alerte à la haine” en avertissant sur “ le risque qui n’a jamais été aussi grand de voir les affrontements politiques épouser les contours de certaines divisions ethniques, confrériques voire confessionnelles. Ce qui n’est pour l’instant qu’un petit bruit de fond, pourrait se transformer en un vacarme assourdissant.” Nous sommes aujourd’hui en plein dans cet épais brouillard.
La dangereuse et atterrante imbécilité du patron de Dakar Dem Dikk à l’encontre des mourides, parce qu’ils ont tout simplement osé voté contre Macky Sall, est une pièce à conviction sur la table de tous ceux qui pensent qu’une brigade de moudjahidines du “neddo ko bandumisme”, a fait main basse sur la gouvernance de la République. Moussa Diop, parce qu’il est justement patron d’une institution de la République, a institutionnalisé la haine d’Etat à l’encontre d’une partie de la population. Son limogeage aurait été un électrochoc envoyé à tous ceux qui flattent les pulsions d’hostilité à l’autre et qui sont aux antipodes de la devise républicaine du Sénégal, “un peuple, un but, une foi.“
Un quinquennat de réparation
Lorsque le président de la République prêtera serment le 2 avril prochain, qu’il sache qu’il sera à la tête d’un champ de ruine de 200 000 km2 et de 15 millions d’habitants divisés en pro et anti Macky, séparée par des zones grises de démarcation politico-ethnico-confrérique.
Les Sénégalais ont été inquiets de voir leur nation dangereusement cliver tout au long du premier mandat de Macky Sall. Le scrutin du 24 février n’aura fait qu’ exacerber à l’excès, le sentiment que nous ne formions plus un seul et même peuple. Tant la brutalité, la division et l’autoritarisme ont été les engrais du septennat qui vient de s’achever.
La légalité constitutionnelle a besoin de l’essence populaire pour asseoir sa légitimité. Le quinquennat qui s’annonce doit se construire sur le terreau de la réconciliation entre les Sénégalais.
En d’autres termes, une mandature de réparation pour anéantir toutes les défiances et crispations identitaires qui peuvent nous dresser les uns contre les autres, braquer nos esprits, enflammer nos propos, armer les bras des adversaires de la grandeur, de la stabilité et de la cohésion du Sénégal.
Bien plus qu’un Président….
Le tout premier discours du chef de l’Etat à l’issue de la proclamation officielle des résultats, fait espérer un autre regard que Macky Sall promet de poser sur la substance même de son job de président qui est avant tout, d’incarner la Nation dans toute sa diversité. Mais pour changer de regard, le président Sall devra avant tout troquer ses lunettes 3D qui lui donnent une vision en trompe l’œil de l’état du pays et de l’opinion qui très majoritairement, n’a pas vu pendant sept ans, le président qu’il attendait, tout occupé qu’il fût à “réduire son opposition à sa plus simple expression”. C’est en passant, sa seule incontestable réussite.
Aujourd’hui plus qu’hier, le Sénégal a besoin d’un président plus soucieux du dessein de la Nation que de son destin propre. Bien plus qu’un président, le pays a besoin à sa tête d’un homme qui nous incarne, capable de nous éviter que les fils confrériques, ethniques et régionalistes, aujourd’hui à vif, ne se touchent. Bien plus qu’un président, le pays a besoin d’un homme capable de le reconnecter à l’espérance et à l’exemplarité. Bien plus qu’un président, le peuple du Sénégal a besoin d’un chef qui s’adresse à sa raison et non à ses pulsions, qui exalte sa grandeur et non ses faiblesse. Macky Sall a cinq ans pour faire du Sénégal, une nation fière de se re-regarder dans la glace.