Site icon Senexalaat

Halte À L’apologie De La PerversitÉ !

Halte À L’apologie De La PerversitÉ !

La présente contribution est une réplique à l’article intitulé «Ah, ces censeurs» publié dans le journal Le Témoin et dans lequel l’auteur, à la signature anonyme, s’attaque à ceux qui dénoncent la perversité ostentatoire que véhicule la série «Maitresse d’un homme marié». La ligne de défense employée n’est pas nouvelle. Elle repose au fond sur les mêmes arguments que ceux qui sont développés à chaque fois que des dérives liées aux mœurs, qui s’attaquent aux fondamentaux de notre société, sont dénoncées. Les fidèles amateurs de cette série ont la particularité de la défendre avec le même reflexe libertaire et les mêmes raccourcis infondés.

Le réflexe libertaire. La défense de la «maitresse» se déploie avec un argument classique et passe partout qui s’est progressivement mais vigoureusement installé au Sénégal après un parcours intercontinental intimement lié à la colonisation. C’est même leur premier réflexe : ‘‘le droit de faire ce que l’on veut’’. Selon cet auteur inconnu, les «censeurs veulent leur dire ce qui est bon ou pas pour les adultes qu’ils sont». Ce premier argument n’est rien d’autre que l’exaltation d’un hypothétique libre-arbitre, d’une liberté individuelle qui semble ne se dessiner aucune limite. Cette représentation de la liberté individuelle est à la fois égoïste et fausse. Elle est égoïste parce que la société sénégalaise n’est pas exclusivement une société d’adultes ! Elle est tout aussi fausse, car un adulte, loin de représenter un partisan de la désinvolture et de l’irrévérence systématique, se conjugue communément avec le sens de la responsabilité. Comme nous le rappelle feu le Professeur Assane Sylla, lorsqu’on vie en société : «Agir librement, c’est agir responsable. Il n’y a pas de moralité là où il n’y a pas de responsabilité individuelle»

Or, nous avons dans cette série ce qu’il y a de pire dans la vie NORMAL de tout adulte responsable: le mensonge systématique, la fornication décomplexée, l’adultère, la violence, l’arrogance, la vulgarité… Bref, le contraire de la base même de notre système social, culturel et identitaire !  L’auteur de l’article ainsi que ceux qui défendent cette série ont-ils été éduqués sur ces mêmes anti-valeurs dont ils soutiennent pourtant aujourd’hui la promotion à travers cette série ? Qu’ils répondent honnêtement à cette question ! 

La planète «adul-terre». Les défenseurs de la «maitresse … » sont, sans le savoir peut-être, les théoriciens d’une planète à part, totalement réservée aux adultes. Dans leur monde, lorsque passe ou repasse leur étoile préférée, «maitresse… », seuls les parents irresponsables laissent entrevoir à leurs enfants les boules de feu puantes qu’elle peut à tout moment dégager. C’est là, une autre manifestation de leur égoïsme culpabilisateur et, en même temps, de leur individualisme agressif. Comme s’ils étaient étourdis par leur soif de divertissement, les ‘‘adul-terriens’’ oublient de voir qu’autant les parents ont l’obligation d’éduquer leurs enfants autant leur ‘‘planète’’ a un accès direct, à travers la télé et les réseaux sociaux, aux ‘‘petits’’ cerveaux qu’ils ont pourtant la responsabilité de protéger,  Des jeunes encore trop jeunes pour regarder films et séries avec un œil conscient. Doit-on alors laisser cette jeunesse à la merci d’une production cinématographique essentiellement mimétique qui se démocratise à une vitesse exponentielle, alors qu’aucune réglementation, qu’aucune politique audiovisuelle ne vient encadrer ? Est-ce la société sénégalaise qui doit s’adapter à la liberté artistique ou c’est à la liberté artistique de s’adapter à notre patrimoine culturel et religieux ? La contradiction de l’auteur de l’auteur apparaît plus ouvertement quand il soutient que la série «c’est pour les adultes que nous sommes». La série est-elle interdite aux mineurs ? La série ne passe-t-elle pas à la 2stv, une chaine gratuite et grand public ? Leur représentation idyllique de la série ne s’arrête pas là. Ils ont un autre raccourci légitimateur.

L’épouvantail du miroir.  Il passe pour être l’argument favori des amateurs de la série. L’auteur de «Ah ces censeurs !» considère que «sa» série, «est le miroir d’une société en déliquescence». D’autres, disent qu’elle ne fait que ressortir la réalité. Le problème avec cet argument c’est qu’il est plus vraisemblable que vrai, sans oublier qu’il dénature les faits. La réalité sociologique est par essence plurielle. Et en l’espèce la série ne représente qu’une certaine réalité. En vérité, on ne peut, raisonnablement, sur la base du comportement, de surcroît, déviant de quelques-un(e)s d’entre nous, dessiner toute la société Sénégalaise dans son ensemble. La série présente aussi une réalité déformée qui rend inopérante l’épouvantail du «miroir».  Quel est l’intérêt de montrer que certains hommes sont infidèles dans une société dont la réalité primordiale et gouvernante abhorre l’infidélité ? Sauf que le message est beaucoup plus subtil que cela. Il faut le chercher chez la «maitresse», l’actrice. A elle, on demande, sur fond d’autonomie sexuelle absolue (qu’elle n’a pas en réalité dans la société sénégalaise sauf si elle est une prostituée), de se laisser aller comme elle le souhaite tant qu’elle est célibataire avec la seule consolation de devenir, peut-être un jour, la seconde épouse de son amant.

Les séquences sur les femmes battues et humiliées ne visent tout au plus qu’à neutraliser notre capacité et notre devoir d’indignation le temps que le message subliminal passe tranquillement avec la «maitresse», du reste l’actrice principale. Demandez-vous pourquoi la femme battue, travailleuse n’est-elle pas la ‘‘héroïne’’ ? Elle fait partie du décor sentimentaliste !

Pour mieux comprendre la fonction subliminale du film chez les jeunes, prenons la règle de la virginité, de la chasteté ou l’abstinence avant le mariage. La règle de la chasteté avant le mariage que la série, à dessein ne calcule même pas, reflète-t-elle notre réalité ? Cette règle a-elle subitement disparue dans notre société ? Le pire c’est que la série travestie même la réalité sénégalaise en choisissant des femmes qui se réclament d’une ethnie que nous savons tous ultra-conservatrice. Les hal-poulards (comme les autres ethnies d’ailleurs) ne tiennent-ils plus à la règle de la chasteté avant le mariage ? En dévalorisant ce qu’il y a de plus précieux chez la femme sénégalaise la «maitresse» nous ment. Elle dénature la réalité en favorisant une exception (liberté sexuelle) sur une règle encore extrêmement solide (la chasteté). Beaucoup ne le savent pas peut-être, mais pour rendre la virginité ringarde dans la société occidentale, il a fallu bien des années de production cinématographique répétitive et agressive pour faire passer la chasteté de son statut de principe de vie à une vulgaire exception pratiquée par une minorité de chrétiens catalogués ultraconservateurs.

La théorie du « ‘‘zieuteur’’ scandalisé ». A nous autres parents, frères, amis, observateurs on nous reproche, selon l’expression de l’auteur inconnu, d’avoir «zieuté» la série et de jouer après aux «scandalisés». Ce ne serait, d’après sa lecture, qu’une métamorphose de notre réelle hypocrisie. Argument qu’il partage, d’ailleurs, avec d’autres «zieuteur» fans. Par ce raccourci, que je considère comme le plus ridicule de sa série, on nous interdit le droit à l’indignation lequel est l’une des fonctions sociales qu’implique l’exercice de la responsabilité. Ils ne savent pas. Ils ne comprennent pas. Quand on regarde avec un œil conscient on ne se délecte jamais de ce qui est dégradant et répugnant. Leur apologie de l’irresponsabilité est tellement enivrante qu’ils ignorent que jamais comme auparavant les fournisseurs tv et internet n’ont autant rivalisé de procédés de contrôle parental afin de satisfaire justement le «zieuteur scandalisé» ?  

L’interdiction du droit et du devoir d’indignation apparait sous une forme encore plus choquante lorsque l’auteur écrit : «Ils veulent nous dessiner un monde sans excès dans un pays de «Ceddo», oubliant que nous sommes de récents «Toubènes». Ce raccourci est d’un cynisme sans second. L’auteur préjuge et insinue que nos ancêtres n’avaient aucune forme de morale sociale. Il limite le temps de notre accès aux valeurs morales structurantes qu’après seulement notre contact avec l’islam et la colonisation. 

C’est ça aussi le nouvel intellectualisme africain : il nie sa propre histoire pour être dans le vraisemblable du moment, c’est-à-dire dans le même imaginaire qu’un petit homme comme Nicolas Sarkozy. Voilà donc un auteur qui doit encore beaucoup lire, beaucoup apprendre. A cet effet, je l’invite à lire les professeurs Cheikh Anta Diop, Assane Sylla, Boubacar Ly, Bassirou Dieng… Je mets finalement son raccourci naïf sur le compte de la méconnaissance de soi (ñiak xam sa bop) qui provoque inéluctablement, selon les poètes et écrivains sénégalais Ndongo Mbaye et Amadou Elimane Kane, deux autres formes de complexes : le manque de confiance en soi (ñiak guëm sa bop) et le manque d’estime de soi (ñiak wek sa bop). Dans la même veine que notre auteur, d’autres anonymes cherchent à neutraliser notre devoir d’indignation par le fait qu’il y aurait pire ailleurs et qu’il faudrait commencer par là. Drôle de façon de régler un problème ! Est-ce avoir le sens de la responsabilité que de défendre le mal par le mal ? Je ne le crois pas.

Théorie de la créativité artistique débordante. Nous saluons la créativité artistique s’il est au service d’une finalité humaine et sociale. Aujourd’hui la créativité artistique va vers la dérive. Elle est débordante parce qu’elle ne dresse aucune limite. Sinon comprendre que l’Islam et son pilier, le Ramadan, puissent faire l’objet de sketch qui est par nature une représentation comique ? Cette créativité est de moins en moins endogène et largement mimétique et désinvolte. Revenons en arrière. Dans le film ‘‘Billy boy’’ on apprend au jeune sénégalais que modernité ne rime pas avec drogue. La représentation du dealer de drogue ainsi que les mécanismes de réprobations sociales qui se trouvent dans le film laissent forcément des traces dans le subconscient des jeunes que nous étions. Même si le français y était largement employé, il ne faisait au fond que véhiculer notre aversion culturelle et sociale à l’auto-destruction par la drogue !  Voilà une créativité artistique constructive.   

Déconstruire ce qu’il y a de plus cher chez nous passe forcément par la vulgarisation de l’immoralité ! Qu’est-ce que nous voulons offrir à l’humanité ? Bollywood montre la réalité indienne, mais reste très jaloux de la culture et de l’identité indienne. Dans cette forme de créativité insolente, c’est décidemment «Marodi tv»  qui est le label de tous les excès. Non content de banaliser la franc-maçonnerie avec «Pod et Marichou», (série dont rien ne présageait un tel basculement vu son titre enfantin), le label banalise aujourd’hui le sacrifice d’enfants.  C’est une insulte qu’il nous balance chaque semaine au moment même où les rapts et sacrifices d’enfants se banalisent sous nos yeux.

En vérité, notre mauvaise compréhension de la modernité est presque circulaire. Même le développement économique que nous chérissons nous ne l’envisageons que dans la perspective occidentale. Or le facteur culturel et identitaire a été déterminant dans le miracle économique américain, japonais, sud-coréen ou encore rwandais. A ce niveau, l’ouvrage du Professeur Felwine Sarr (Afrotopia) ouvre de belles perspectives de lecture et de recherche.

Plus que dans une logique de divertissement on est vraiment avec cette nouvelle ‘‘créativité artistique débordante’’ dans une logique de transformation subliminale de la jeunesse. Or le Sénégal n’a que sa jeunesse. Il faut une politique culturelle et identitaire pour la protéger. Et vite! 

Je tiens à remercier Mame Mactar Gueye de l’ONG islamique JAMRA, dont le combat a inspiré .

Abdou Karim Salam est enseignant-chercheur, Nantes, France.

Conseils de lecture et éléments bibliographiques :

  • Assane Sylla, La philosophie morale des Wolof, Thèse de doctorat, Université de Grenoble, 21 avril 1976, Libraire Honore Champion, Paris, 1980, 281 p.
  • Cheikh Anta Diop, L’Afrique noire pré-coloniale, Présence Africaine, 1960.
  • Bassirou Dieng, Société Wolof et discours du pouvoir . Analyse des récits épiques du Kajoor, Presses universitaires de Dakar, 2008, 378 p.
  • Boubacar Ly, L’honneur et les valeurs morales dans les sociétés Wolof et Toucouleur du Sénégal, t
  • Thèse de doctorat de 3e cycle, Paris, 1967.
  • Amadou Elimane Kane, L’ami dont l’aventure n’est pas ambigüe, Lettres de Renaissances, 2013, 166 p.







Quitter la version mobile