Je rêve de vivre dans une société où la politique ne sera plus un moyen d’accès aux ressources du pays ; un pays où le travail sera érigé en culte ; un pays où les plus belles villas appartiennent à des personnes qui n’ont aucun lien avec la politique. Je rêve de vivre dans un pays où l’école et les enseignants seront la priorité et ce, non pas parce qu’ils sont des niches et des sources des tensions sociales, mais parce que la communauté aura compris que sans un enseignement de qualité, tous les investissements deviennent pour elle un fardeau. Je fais le rêve de me battre de toutes mes forces pour léguer à ma descendance un pays où la culture sera la boussole de tous les projets économiques et politiques. Je rêve de voir mon pays s’affranchir des avatars de la colonisation que sont la langue française, la présence insolente de l’armée française, la monnaie de la colonisation française et le droit français. Est-ce vraiment trop demander ?
Je fais un rêve de voir mon pays ancrer la recherche scientifique locale sur les besoins endogènes. Je fais un rêve de voir mon pays résolument tourné vers l’investigation scientifique décidée à comprendre les multiples ressources naturelles que nos ancêtres ont pris le soin de circonscrire par leur science afin de nous indiquer des pistes de recherche pour notre science. Je rêve de voir mon pays cesser de consommer le pain importé alors que le pain à base de produits locaux est plus nutritif et plus économiquement intégrateur pour notre pays. Je rêve de vivre dans un pays où la science et la technique cesseront d’être purement théoriques pour être désormais au service des enjeux pratiques et des défis économiques. Qui ose dire que c’est irréalisable ?
Je rêve de voir les jeunes de nos villes s’organiser en brigades de la propriété pour mettre fin à l’insalubrité chronique qui répugne au regard du touriste de l’hôte. Je rêve de voir les vieilles bonnes mœurs des villages, consistant à s’organiser en coopératives spontanées pour désherber les sentiers et les alentours du village afin d’éviter des incendies, êtres ressuscitées par les citadins avec l’appui et l’expertise des pouvoirs publics. Je rêve de voir les stations de lavage sauvages être financées et transformées par les collectivités locales en espaces verts alimentés par l’eau utilisée par ces laveurs informels de voiture. Je rêve de voir ces espaces squattés par des jeunes désœuvrés et laissés à eux-mêmes être transformés en lieux où le travail alimente le loisir et celui-ci encourage celui-là. Je rêve que mon pays entre résolument dans cette ère où travail et loisir se côtoient et se garantissent réciproquement ; cette ère où études et jeu cohabitent. Je rêve de voir des décideurs comprendre définitivement qu’à une époque où le jeu devient industriel, la réponse appropriée n’est pas de réprimer le jeu, mais plutôt de développer une économie et une industrie du jeu adossées à notre culture. Est-ce sincèrement une utopie ?
Je rêve de voir mon pays développer une la presse libérée de tous les pouvoirs pour enfin jouer son rôle originel de contre-pouvoir. Je rêve de vivre dans un pays où la presse audiovisuelle contribue de façon efficiente à l’éveil des consciences par une production et une diffusion de produits de qualité. Je rêve de voir la presse de mon pays relayer le chercheur en histoire par la promotion des terroirs et leur très riche patrimoine historique par le truchement de la production de documentaires de qualité. Je rêve de voir la presse de mon pays être le relais de l’enseignement avec la production d’une véritable culture de l’émulation et des émissions à thèmes en lieu et place de l’improvisation et de l’informel. Est-ce une demande capricieuse ?
Je rêve de voir les télévisions sénégalaises montrer à travers les téléfilms les différents visages de la société et de la culture au lieu de mimer comme des singes des intrigues et des suspenses propres à l’autre. Je rêve de voir un paysage audiovisuel qui n’a pas honte de montrer au monde entier les vraies réalités sénégalaises au lieu d’inventer tous les soirs une société où la laideur et la misère sont absentes. Mon rêve est que la télé donne droit de cité aux vilains, aux pauvres, aux « faq-man » aux « bùdiù-man », aux loseurs, aux paysans, aux charretiers de Sangalkam… puisqu’ils font partie de ma communautés. Je suis énervé de voir des téléfilms où le luxe insolent et la vie est trop opulente de quelques minorités cachent honteusement la réalité du pays. Je rêve de me débarrasser de la honte d’avoir une presse qui vit aux crochets des pouvoirs politique et économique. Est-ce vraiment demander la lune ?
Je rêve de voir des brigades de la propriété organisées et financées par l’argent du contribuable pour faire de la moto un moyen simple de collecte des ordures avec une plus-value en matière de créativité pour les menuisiers métalliques. C’est par les petits pas qu’on en fait de géants : alors je rêve de voir ces jeunes développer de petites entreprises pour apprivoiser cet outil à des fins plus sociétales (transport de marchandises par exemple afin de renvoyer les charrettes dans le monde rural). Je rêve de voir des politiques d’emploi simples, accessibles parce qu’inspirées de la culture et de nos mœurs. Je rêve de voir une capitale débarrassée des charrettes, des restaurants à ciel ouvert, du commerce partout, par tous et de tout ! Je rêve d’un pays progressivement libéré de l’informel par une exploitation judicieuse de l’énergie et de la créativité de sa jeunesse. En quoi cela est-t-il un rêve enfantin ?