Personnalité emblématique ayant marqué la vie politique sénégalaise pendant les années 60, Amadou Clédor Sall, l’un des derniers congénères de Léopold Sédar Senghor, s’est éteint dans la nuit du 29 au 30 mars 2015. Il aura marqué les esprits en laissant l’empreinte d’un homme pétri de convictions humanistes. Retour sur les grands moments de la vie d’Amadou Clédor Sall.
Il aura marqué la vie politique par les différents postes de responsabilité qu’il a eu à occuper dans la sphère de l’Etat. Il était l’un des plus fidèles compagnons du président Léopold Sédar Senghor qui se distinguait par sa capacité d’écoute, son sens du dialogue et son courage dans l’exécution de sa mission. Ces qualités et vertus ont beaucoup contribué à sa responsabilisation aux postes de gouverneur, de ministre, de député et de maire qu’il a eu à occuper en 22 ans.
1952 à 1957 : Conseiller à l’Assemblée territoriale de Mauritanie et au Grand Conseil de l’AOF
Amadou Clédor Sall est né le 21 octobre 1915 à Rufisque. Sorti de la prestigieuse école William Ponty, il devient tour à tour instituteur, inspecteur de l’enseignement et administrateur civil. Sa trajectoire politique a commencé lorsqu’il a été élu conseiller et vice-président de l’Assemblée territoriale de Mauritanie de 1952 à 1957 avec ses camarades de parti (l’Union progressiste mauritanienne) en l’occurrence Sidi El Mokhtar Ndiaye, Ahmed Saloum Ould Haïba, Maurice Compagnet et Amadou Diadié Samba Diom. Au sein du Grand conseil de l’Afrique occidentale française (AOF), Amadou Clédor Sall occupa alors le poste de Secrétaire et Rapporteur de la Commission des affaires sociales et fut par ailleurs désigné de siéger à la Commission fédérale des bourses. Ainsi en 1955-1956, 825 bourses ont été accordées pour l’enseignement supérieur aux étudiants ressortissants des huit territoires de l’AOF. La même année, Clédor dirigea un petit groupe d’élus qui alla en France visiter les étudiants africains et prendre contact avec les autorités académiques métropolitaines. Sur place, il constatait une inadaptation quantitative de la répartition des diplômés à celle des emplois, déplorait que le nombre des étudiants en droit aille croissant au détriment des sciences et de la médecine. 55 ans après les indépendances, cette constatation de Clédor relative à la désarticulation formation/emploi reste d’actualité dans nos universités et écoles de formation.
C’est au sein de ce Grand Conseil dirigé par Boissier-Palun que Léopold Sédar Senghor, membre de ladite entité, apprécia le travail remarquable que son compatriote Clédor abattait au sein de sa commission. Il décida de rentrer au Sénégal en 1957 nonobstant le poste de ministre qui lui fut proposé dans le premier Conseil de gouvernement mauritanien de huit membres formé par le vice-président Mokhtar Ould Dada. Il fut l’un des premiers administrateurs avec Alioune Diagne Mbor, Diarga Cissé à être envoyé en France pour effectuer un stage de perfectionnement. En 1962, il remplaça Abdou Diouf au poste de Gouverneur de la région de Sine Saloum. Comme un coup du hasard, Clédor Sall a terminé ses études en septembre 1935, période pendant laquelle le président Abdou Diouf est venu au monde. Il a partagé aussi avec Abdou Diouf le même immeuble à Fass (non loin de l’actuelle demeure d’Ahmed Khalifa Niass) avant de se retrouver avec lui en 1968 dans un même gouvernement.
Homme de consensus et de dialogue
En fin d’année 1963, il est nommé gouverneur de Dakar. Mais il était en quelque sorte gouverneur-maire puisque dès 1964, c’est le gouverneur de région qui exerce, par un statut spécial, sous l’autorité du président de la République et du ministre de l’Intérieur, l’ensemble des attributions confiées auparavant au maire. Mais si on en est arrivé à ce statut du gouverneur étendu aux autres régions du Sénégal, c’est parce que Clédor a été l’un des premiers à avoir eu le courage de dénoncer le mode de gestion du personnel municipal par les « maires-administrateurs » et les effets du clientélisme. « Le personnel de la mairie comme dans nombre de communes et notamment les manœuvres de la voirie sont recrutés sur des bases politiques », dénonçait-il. En outre, il a fustigé les pratiques des « maires-administrateurs » contradictoires aux règles de gestions telles que la réembauche d’agents municipaux licenciés pour faute lourde.
Tout le temps qu’il était resté gouverneur, il était confronté à nombreuses opérations de déguerpissement puisqu’il fallait donner un visage nouveau à la capitale défiguré par des occupations illégales. Mais en tant que bâtisseur du lien social, pétri d’humanité, il n’utilisait jamais la force publique pour mener à bien ces opérations car il privilégiait toujours la concertation avec les populations autochtones concernées.
Quand il s’est agi, sur instruction de la hiérarchie étatique, de déménager les habitants des quartiers Gibraltar et Al Minkou pour construire les allées Centenaires, il a su négocier et trouver des solutions avec les occupants autochtones. Et certains ont acquis des habitations décentes à Guédiawaye grâce à son entregent et cela avec un accompagnement financier consistant. Concernant le déguerpissement de la Médina envisagé par le président Senghor, Clédor y joua un rôle de premier plan lorsque les occupants réticents lébous s’opposèrent audit projet.
A l’approche du festival mondial des Arts nègres de Dakar de 1966, le Président Senghor avait voulu raser les cantines de Sandaga pour embellir la capitale. Mais puisqu’une telle initiative s’avérait difficile et grosse de dangers, il fallait beaucoup de diplomatie pour réussir une mission aussi délicate. Sur ce, l’alors gouverneur de Dakar fit appel à Ameth Diène, responsable socialiste lébou, pour trouver les solutions idoines. Ce dernier lui recommanda de s’en référer au khalife général des mourides Serigne Fallou Mbacké. En compagnie d’El Hadji Ndiaga Guèye de Touba Sandaga, ils se rendirent à la capitale du mouridisme pour rencontrer le khalife qui, mis au parfum, intercéda en conseillant au président Senghor de renoncer à un tel projet. Et c’est cette intervention califale qui sauva les cantines de Sandaga de disparition.
La capacité d’écoute de Clédor Sall, son sens de la négociation, son ouverture, son humanisme lui ont toujours permis de venir à bout de situations complexes et difficiles à résoudre. Cela n’est point une faiblesse mais une qualité puisque quand il fallait sévir pour les intérêts de la République, il ne tergiversait point.
Un ministre de l’Intérieur intrépide
En 1968, année de turbulences en France avec la grève des étudiants et des ouvriers en mai-juin qui eut des ramifications à Dakar, le gouverneur Amadou Clédor Sall joua un rôle prépondérant pour le rétablissement de l’ordre et la pacification du climat social en ébullition. Le monde des travailleurs et des étudiants sénégalais plongèrent le pays dans un cycle de perturbations difficilement maîtrisables. Et c’est là qu’il étala tout son savoir-faire en matière de sécurité. Il prit langue avec les grévistes, entama des négociations et adopta des mesures strictes et nécessaires pour le rétablissement de l’ordre dans la capitale. Et son travail fut récompensé au léger remaniement du 6 juin 1968 avec une nomination au poste du ministre de l’Intérieur en remplacement d’Amadou Cissé Dia qui fit les frais de ses relations exécrables avec le colonel Jean Alfred Diallo, l’alors chef d’Etat-major des armées.
Il faut préciser que le ministre de l’Intérieur était très proche de Senghor, lequel sollicitait constamment son opinion sur la marche de la République. C’est pourquoi, il était reçu quotidiennement en audience au palais de la République à 18 heures. Et le fait que le président le raccompagnait systématiquement et ostensiblement aux portes du palais laissait croire à un certain moment qu’il était le futur Premier ministre dont Senghor avait besoin après les événements de mai-juin 68. Abdou Diouf relate dans ses mémoires que même la préférence du chef d’état-major des armées Jean Alfred Diallo pour le poste de Premier ministre qui aiguisait plusieurs appétits allait à Clédor Sall.
Un jalonneur important du code de la famille
Le 10 avril 1971, il fut nommé ministre de la Justice et Garde des Sceaux dans le troisième gouvernement du Premier ministre Abdou Diouf jusqu’en février 1974. Et là, il joua un rôle capital consensualiste pour le vote du code de la famille qui était combattu par certaines forces coutumières et religieuses. Pour lui, la famille, qui est considérée comme la cellule de base de la société, doit être placée au cœur de l’édification de la nation avec pour socle, le principe de laïcité. Donc il fallait concilier le respect des principes proclamés par la Constitution, celui des règles religieuses considérées comme intangibles pour les croyants et celui de certaines valeurs traditionnelles pour asseoir un code consensuel. Et c’est ainsi que le 12 juin 1972, le code de la famille fut adopté par l’Assemblée nationale au terme du vote de la loi n°72-61.
A partir du 16 février 1974, il occupa le ministère des Forces armées jusqu’au 1er janvier 1981, date du départ volontaire de Léopold Sédar Senghor du pouvoir. Et là aussi, à sa demande, le nouveau président Abdou Diouf ne l’a pas reconduit dans le gouvernement du Premier ministre Habib Thiam. Il prenait de l’âge et ensuite il ne voulait pas gêner Abdou Diouf qui avait pris l’option de rajeunir son gouvernement.
Un responsable politique pétri de convictions
Quand, ministre de l’Intérieur, on lui a demandé de militer à la base pour intégrer l’Union progressiste sénégalaise, il a refusé parce que le contexte post-mai/juin 68 ne s’y prêtait pas. C’est après avoir quitté l’Intérieur pour la Justice qu’il a commencé à militer à la base. Devant les tendances qui minaient la coordination de Grand-Dakar, il a déployé ses talents de rassembleur et pacificateur. Et c’est ce qui lui permit plus tard d’occuper ladite instance. Il a aussi pesé de tout son poids pour qu’Adja Arame Diène accéde à la présidente de l’Union régionale de Dakar en remplacement d’Adja Ndoumbé Ndiaye atteinte par l’âge.
En 1979, il remplaça à la tête de mairie de Dakar Lamine Diack relevé par Senghor sur décret. Le jour de son sacre à la tête de la municipalité de Dakar, le tout nouveau maire de Dakar chanta les mérites de Lamine Diack qui, malgré la situation qui lui était défavorable, était présent dans la salle. Et c’est au congrès de 1984, avec les renouvellements des instances du parti socialiste, sous l’influence de Jean Collin, théoricien de la désenghorisation, qu’Abdou Diouf décida d’expurger tous les amis de Senghor dont Amadou Clédor Sall, Alioune Badara Mbengue, Amadou Cissé Dia, Magatte Lô, Assane Seck pour ne citer que ceux-là. Mais, ces derniers auréolés de gloire sortirent par la grande porte en cessant volontairement toute activité au sein du PS. L’édile Clédor fut alors remplacé par Mamadou Diop à la tête de la mairie de Dakar.
C’est cet homme d’une dimension exceptionnelle et au parcours exemplaire, pour reprendre les mots de son ami Baro Diène, cet homme droit et juste, cet homme debout pétri de tolérance, d’humanité et de fortes convictions qui entretenait des rapports saints avec tous les politiques, les guides religieux et la société civile, qui nous a quittés il y a quatre ans.
Amadou Clédor Sall en sept dates
1952 : Conseiller à l’Assemblée territoriale de Mauritanie et au Grand Conseil de l’AOF
1963 : Gouverneur de Dakar
1968 : Ministre de l’Intérieur
1971 : Ministre de la Justice et Garde des Sceaux
1973 : Député à l’Assemblée nationale
1974 : Ministre des Forces armées
1979 : Maire de Dakar