Aux massacres dans deux mosquées en Nouvelle Zélande le 15 mars 2019, perpétrés par des membres de l’extrême-droite xénophobe, ont répondu diverses actions symboliques destinées à manifester aux musulmans – attaqués en tant que tels, puisqu’ils priaient à la mosquée lors de l’assaut – que la solidarité de leurs concitoyens leur était acquise. Le monde entier s’est accordé à féliciter la Première Ministre de Nouvelle Zélande de l’humanité et de l’empathie vis-à-vis des victimes dont elle avait fait preuve.
Si nous sommes sensibles à l’intention généreuse qui a présidé à ces actions symboliques, nous nous démarquons fermement de certaines d’entre elles qui sont, en fait, de nature à accroître la confusion, qui hélas prévaut déjà, entre foi religieuse personnelle et politiques identitaires communautaristes.
Nous en citerons deux exemples.
Ainsi, la Première Ministre de Nouvelle Zélande, Mme Jacinda Ardern, puis d’autres personnages publics et des présentatrices télé (suivies de simples citoyennes) ont choisi de couvrir leur tête de façon supposément islamique lors de leurs apparitions publiques dans le cadre de leurs fonctions.
Nous pensons qu’il y avait bien d’autres symboles qui auraient pu être choisis pour soutenir les croyants musulmans, plutôt que celui-ci qui est contesté dans le monde entier par les femmes issues de contextes musulmans, qu’elles soient croyantes ou pas.
Ce sont plutôt les intégristes que cela a soutenu dans leur effort pour gagner en visibilité politique à travers leur promotion du port du voile généralisé, – parachevant ainsi leur mainmise sur les musulmans et sur l’islam lui-même.
Ne s’en sont certainement pas senties réconfortées les femmes iraniennes actuellement emprisonnées, fouettées, torturées, pour avoir ôté publiquement ce même voile auquel la loi les contraint depuis des décennies, et pour l’avoir brandi au bout d’un bâton aux carrefours, dans des protestations individuelles, silencieuses et pacifiques. Elles ne semblent hélas pas bénéficier du même degré de solidarité de la part des autorités et de la population de Nouvelle Zélande.
Les Algériennes non plus, qui commémoraient dans les rues il y a quelques jours les nombreuses femmes et jeunes filles qui ont été assassinées dans les années 90 par les groupes armés intégristes, pour avoir refusé de se couvrir la tête.
Et non plus les femmes qui, partout dans les contextes musulmans, du Mali à l’Afghanistan, du Soudan à Aceh en Indonésie, en passant par le Moyen Orient, ont subi la répression et/ou la mort pour la même raison, que ce soit aux mains des états intégristes ou des acteurs non-étatiques intégristes.
Sans aucun doute, ni la Première Ministre de Nouvelle Zélande ni aucune de celles qui lui ont emboité le pas n’ont conscience d’avoir fait là un choix politique douteux en se trompant de symbole pour exprimer leur solidarité aux victimes. Mais n’est-ce pas problématique à un si haut niveau politique ? Au temps d’El Qaïda et de Daesch, quand nul ne peut plus ignorer le sort qu’ils réservent aux femmes qui ne se conforment pas à leurs diktats, est-ce bien raisonnable de choisir de porter le voile ?
Ne pouvaient elles choisir un autre symbole, moins contesté, moins chargé en termes d’oppression des femmes ? Si elles tenaient absolument à se focaliser sur l’identité musulmane des victimes, n’importe quel théologien musulman progressiste leur aurait aisément suggéré des alternatives plus progressistes et moins antiféministes. (Pourquoi pas la zakat (charité) qui est l’un des piliers de l’Islam, ce que n’est certes pas le voile…) Mais elles auraient pu également réfléchir à des symboles plus laïques pour réaffirmer aux musulmans attaqués que leurs droits de citoyens à être protégés et traités avec équité seraient pleinement défendus.
Par ailleurs – également sous prétexte de respect des victimes de Christchurch – les autorités de l’Université de Mont Royal à Calgary, Canada vient de déprogrammer la conférence de Mr Armin Navabi prévue ces jours-ci. Celui-ci, Canadien d’origine iranienne, persécuté dans son pays d’origine pour athéisme, est le fondateur de La République Athée, un site d’information en ligne dont le but est ‘de venir en aide aux incroyants persécutés dans le monde’. Mr Navabi avait été invité par l’Association Athée de Calgary .
‘Que veulent-ils donc ?’ a déclaré Arvin Navabi en apprenant sa déprogrammation : ‘Moins de débats d’idées ? Mais c’est exactement ce qui amène les gens à prendre des positions radicales extrémistes ! Ce que je veux dire c’est que moins il y a d’échanges verbaux entre nous, plus il y en a au moyen de poings et de balles. Echanger, converser, c’est exactement ce dont on a besoin pour faire face à une tragédie comme celle-ci’. N’est-ce pas là un point de vue très raisonnable et dépassionné, qui ne mérite certainement pas d’être censuré ?
Désinviter M. Navabi, cela revient clairement à prendre parti contre celles et ceux d’entre nous qui se battent pour la liberté de conscience et la liberté d’expression et pour les intégristes musulmans qui nous les dénient. Les autorités universitaires n’ont d’ailleurs pas fait mystère des demandes pressantes qu’ils avaient subies de la part ’d’étudiants et d’employés’.
Les manifestations de solidarité sont plus nécessaires que jamais. Nous appelons les personnes bien intentionnées à trouver d’autres symboles pour exprimer leur solidarité avec les victimes de la tuerie de Christchurch. Des symboles qui ne les amèneraient pas à se compromettre idéologiquement avec l’extrême-droite musulmane, sous prétexte de s’opposer à l’extrême-droite xénophobe anti-musulmans. L’une ne vaut pas mieux que l’autre ; toutes deux commettent des crimes, s’attaquent aux vies et aux droits fondamentaux des peuples, femmes y compris.
Toutes deux se renforcent l’une l’autre, les crimes commis par les uns légitimant à leurs yeux les crimes commis par les autres.
Ce serait un désastre majeur si les homicides racistes perpétrés à Christchurch contre des croyants musulmans, au final, apportaient de l’eau au moulin de l’extrême droite musulmane. Il nous appartient de faire que cela n’arrive pas.