La SDE nous fait croire une fois encore qu’un accident survenu sur une de ses conduites est la cause de l’assèchement des robinets à Dakar et d’autres villes. La fréquence de tels accidents pose la question de savoir si les sociétés chargées de l’hydraulique détiennent réellement les plans du tracé de leurs canalisations. Sinon, qui les détient et pourquoi ?
Cet arrêt de la distribution d’eau vient généraliser une pénurie sévère dont Dalifort et d’autres quartiers dakarois souffrent déjà depuis plusieurs jours. L’origine du manque d’eau n’est donc pas strictement accidentelle. Le déficit structurel de la production d’eau est toujours aussi profond qu’avant. Les investissements requis ne sont pas effectués ou n’ont pas l’impact attendu. Ce qui n’est guère étonnant dans un contexte de privatisation du secteur, où la grande question d’actualité est de savoir qui, de « M. Bouygues » ou de « M. Suez », va empocher les milliards que les Sénégalais paient annuellement pour pouvoir consommer leur propre eau.
Est-ce la guerre entre ces deux multimilliardaires français qui provoque aujourd’hui des dommages collatéraux accidentels ? On ne peut que spéculer en l’absence d’une enquête sérieuse sur la question. Idem sur la qualité de l’eau servie, qui est soupçonnée de contribuer à l’extension de certaines maladies endémiques.
Le manque d’eau affecte aussi gravement les populations rurales. Nous avons déjà dénoncé ici les dangers de la privatisation de l’hydraulique rurale réalisée dans le cadre du Pepam. Désormais, chaque jour apporte son lot d’informations consternantes sur des communautés villageoises entières privées d’eau du fait de la défaillance technique des opérateurs ou de factures impayées car anormalement chères.
La fin de la soif n’est pas pour aujourd’hui dans le milieu rural, en dépit du tapage électoraliste orchestré autour du PUDC et du Puma. On révèle à ce propos que nombre des forages précipitamment réalisés et bruyamment inaugurés ont déçu les bénéficiaires, car ils fournissent peu d’eau ou une eau salée. D’autres demeurent non fonctionnels faute de châteaux d’eau.
Un minimum de souci pour les conditions de vie des populations et pour la sécurité nationale devrait inciter à mettre à profit la transition actuelle entre un contrat expiré et un autre non encore signé, pour explorer des alternatives à la privatisation tous azimuts. Paradoxalement, l’expérience de la privatisation de l’eau, comme celle de l’électricité, a fini de démentir le prétexte d’une incapacité nationale à gérer convenablement ces secteurs stratégiques, qui avait été brandi en son temps par la Banque mondiale pour les justifier. Les partenaires stratégiques apportent certainement un plus mais il peut être optimisé dans le cadre d’une gestion publique faisant appel à la concurrence internationale.
Pourquoi devrions-nous rester éternellement les bannis de la nationalisation, qui est partout dans le monde un instrument de gestion ordinaire ? Ou plutôt jusqu’à quand les intérêts privés étrangers vont-ils prévaloir sur le droit des Sénégalais à une eau saine et potable à un prix raisonnable ?
Mamadou Bamba Ndiaye est ancien député, Secrétaire général du Mps/Selal