Aujourd’hui, on ne téléphone plus comme il y a 10 ans. La technologie a évolué et permet l’utilisation de plusieurs supports (smartphone, tablette, ordinateur) pour communiquer avec ses contacts, y compris par la voix. Cette nouvelle donne a fait entrer les opérateurs de téléphonie dans une nouvelle réalité : celle des Ott «Over the Top» ou «service de contournement» en français. Les plus connus étant WhatsApp, Skype, Viber et Facebook Messenger, Youtube ou Netflix. Avec ces outils web, le smartphone peut assurer à la fois le transport des flux vidéo, audio ou de données sur internet sans l’intervention directe de l’opérateur auquel l’utilisateur est souscrit. Bien évidemment des acteurs, plus précisément les opérateurs, voient en ces acteurs des perturbateurs, facteurs de manque à gagner. Le Dg de la Sonatel/Orange Sénégal s’en est récemment publiquement ému et dénonce une perte de 20 milliards de F Cfa due aux Ott.
Face à la montée en puissance exponentielle des Ott, les opérateurs tirent la sonnette d’alarme.
Le téléphone cellulaire a supplanté le téléphone fixe, tout comme l’e-mail a fortement ringardisé le courrier postal. Néanmoins aussi bien le fixe que le bon vieux courrier continuent d’exister, avec des fonctions moins globales et plus spécifiques au bureau et à la maison.
Mais au-delà de l’alerte/complainte des opérateurs, il est essentiel de se poser un certain nombre de questions.
Interroge-t-on les effets de l’internet ? Oublie-t-on la nature même de ce formidable outil qui abolit les barrières et les chasses-gardées. Oui, l’internet est disruptif par essence. Il modifie nos modes de vie et toutes les nouvelles technologies l’intègrent dans leur processus de R&D. C’est devenu incontournable aussi bien pour les entreprises que l’utilisateur final. Même les opérateurs profitent de la magie du web, avec des offres nombreuses et variées telles que la Vod ou le Mobile Banking.
Interroge-t-on les Ott et leur impact sur le mode de fonctionnement et l’économie des opérateurs ?
Ils ont un effet indéniable sur l’écosystème. Cela, d’autant plus qu’ils en font désormais partie intégrante. Au même titre que Orange ou Tigo, Apple ou Samsung, ou encore les fournisseurs de contenu. La crainte des opérateurs s’exprime en termes de gains et de pertes, en ce sens que leur cœur de métier est aujourd’hui bousculé. Leur inquiétude réside, entre autres, dans le risque qu’à terme les Ott suppléent les Sms et les appels classiques sur le réseau Rtc (celui des opérateurs).
En fin de compte, tout est question de revenus. Les Ott offrent toujours plus de possibilités et leur inventivité semble sans limite tout en restant très abordables. D’après une étude du cabinet Juniper Research, le marché des Ott, qui a réalisé 8 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans le monde en 2018, dépassera les 30 milliards en 2019. Les opérateurs dénoncent la création d’une valeur «par-dessus» leurs réseaux, sans contrepartie financière.
Malgré tout, ils réalisent des bénéfices toujours plus hauts. Les Sénégalais se félicitent chaque année des chiffres impressionnants publiés par l’opérateur numéro 1 du pays. Donc a priori, tout le monde surfe sur «l’incontournabilité» des nouvelles technologies. Mieux, les opérateurs et les Ott semblent complémentaires. Un exemple basique : pour accéder aux Ott, il faut une connexion internet, vendue par les opérateurs. La demande croissante de données entraine nécessairement une augmentation de revenus de données pour les opérateurs, même si ces derniers évoquent un cercle vicieux. Les Ott optimisant la consommation des données, entrainant moins d’internet chez l’opérateur.
Enfin, il est important de rappeler le principe de la «Neutralité du Net».
Le principe de la gouvernance d’internet est celui d’un réseau ouvert. Cela signifie que les Fournisseurs d’accès à internet (Fai), donc les opérateurs, doivent traiter de manière équitable tout le trafic internet. Peu importe l’envoyeur et le destinateur, le contenu ou le moyen utilisé. Tant que ça reste légal, le fournisseur a l’obligation d’acheminer le trafic, sans agir sur la vitesse ou le prix.
Avec les Ott et l’appétit croissant des nouvelles générations d’utilisateurs, les opérateurs sont amenés à revoir leurs stratégies et à se réinventer. Ils investissent déjà énormément dans l’infrastructure et le réseau pour répondre à cette demande en capacité. Par ailleurs, comme souligné plus haut, de plus en plus d’opérateurs s’ouvrent vers des alliances/partenariats avec d’autres acteurs pour diversifier et densifier leurs offres. En plus des forfaits classiques, presque tous les opérateurs offrent, via des partenariats stratégiques, de la Vod, de la musique, des jeux en ligne, etc.
En France, Orange avait lancé Libon. Un service d’Open Chat afin de faire face aux Ott. Libon permet la voix sur IP (VoIP) et de communiquer avec le répertoire de l’utilisateur. Peu importe l’Ott qu’utilisent les contacts du «Libon user».
Ces innovations technologiques sont à saluer. Mais il reste d’autres problématiques évoquées ici et là et dont on ne saurait objectivement faire l’économie.
L’évasion fiscale dans les pays non domiciliés ainsi que la difficulté pour les régulateurs de faire face à la protection des données personnelles sont probablement celles qui tiennent le haut du pavé actuellement. Sans oublier le défaut de contribution au Fonds de développement du service universel des télécommunications (Fdsut), le contrôle de la qualité, etc. Certains pays proposent que les Ott acquièrent une licence spéciale.
Le paratonnerre de la réglementation/régulation est agité. Dans le marché le plus réglementé, l’Europe, on évoque «le paquet télécom» en application des directives de l’Ue. Il y a des obligations variables selon le pays mais aussi un socle commun d’obligations à tous. Notamment être en mesure de :
Tracer une communication et d’en conserver toutes les caractéristiques (pour pouvoir collaborer avec la justice en cas de requête).
Appeler les services d’urgence à tout moment. Comme c’est le cas pour les opérateurs.
En définitive, la percée des Ott ne va pas sans reformulation et interrogations auxquelles il faudra apporter des réponses. Mais jeter le bébé avec l’eau du bain n’est certainement pas la panacée. Brider ou bloquer les Ott, comme certains pays ou opérateurs ont tenté de le faire, ne serait pas non plus bénéfique à l’économie numérique ni à la créativité entrepreneuriale de la jeunesse. Il s’agit de technologies complémentaires, dont l’articulation reste un vaste débat qui ne saurait être exclusif. Tous les acteurs de l’écosystème ont l’obligation d’approfondir la discussion, sans passion, à l’heure d’une économie de plus en plus digitalisée.
Dr Abdou Khadre LÔ
Directeur Afrique du cabinet Access Partnership
Membre associé de l’Union africaine des télécommunications (Uat) et de
L’Union internationale des télécommunications (Uit)