La notion de serment est dérivée étymologiquement du mot latin « sacramentum » qui signifie « une somme dé- posée comme garantie de sa bonne foi ». Aussi renvoie-t-elle à l’engagement d’une personne attestant la sincérité d’une promesse, la vérité d’un fait et la détermination à remplir sans faille les devoirs de sa charge. En politique, le serment est solennellement une promesse de fidélité, un acte de dévouement, un lien indéfectible unissant le dépositaire des suffrages du peuple et ce peuple qui l’a élu. Il est de nature à instaurer la confiance et le respect mutuel entre le président de la République et ses compatriotes. Le serment est important car il est le ciment de la vie sociale permettant d’établir la confiance entre le Pré- sident et ses compatriotes.
L’engagement politique, qui se traduit par l’expression du suffrage universel, retrouve tout son sens et sa portée à travers la promesse solennelle du Président élu d’être au service de ses concitoyens. Si cette promesse est faite à celles et ceux dont on est appelé à être le Représentant, elle est également faite à soi-même. Le serment revêtant un caractère sacré intransgressible, le Président ne peut pas ou ne doit pas y déroger alors sous peine d’être poursuivi juridiquement pour parjure. L‘existence d’un serment entre la Nation et celui est dépositaire de la volonté populaire est un des éléments constitutifs et symbolique de la République. Un président de la République est avant tout le gardien de ses propres valeurs et, par l’acte sacra- mentel, il proclame solennellement son attachement in- défectible à ces valeurs. Par cet attachement, il prend des engagements sincères et fidèles vis-à-vis de ses concitoyens.
De très nombreux Etats démocratiques, sur la base de leur Loi fondamentale, exigent de leur premier magistrat qu’il prête serment. Bizarrement, la France, parangon de la démocratie, affranchit son Président d’un tel exercice républicain. En effet le serment politique n’a été usité en France que sous l’ère napoléonienne entre 1791 et 1848.
Au Sénégal, la prestation de serment constitutionalisé est un rituel républicain auquel doit sacrifier le Président élu ou réélu le jour de son investiture. La pratique est de mise depuis 1963. En effet, la Constitution de 1963 consacre le serment en son article 31 dans les termes suivants : « Devant la nation sénégalaise, je jure de remplir fidèle- ment la charge de président de la République du Sénégal, d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois, de consacrer toutes mes forces à défendre les institutions constitutionnelles, l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale, de ne ménager enfin aucun effort pour la réalisation de l’unité africaine ».
La Constitution de 2000 en son article 37 dit à peu près la même chose sauf qu’elle fait référence à Dieu pour donner plus de force au serment : « Devant Dieu et devant la Nation sénégalaise, je jure de remplir fidèlement la charge de président de la République du Sénégal, d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois, de consacrer toutes mes forces à défendre les institutions constitutionnelles, l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale, de ne ménager enfin aucun effort pour la réalisation de l’unité africaine ».
Senghor, Diouf, Wade et Macky : tous des parjures
Mais malgré la force symbolique, au Sénégal, le serment n’a pas une valeur forte. Depuis Senghor en passant par Abdou Diouf, Abdoulaye Wade jusqu’à Macky Sall, l’on se rend compte que la prestation de serment est réduite simplement à un cérémonial auquel il faut sacrifier aux lendemains d’élections. A part les flonflons militaires et les festivités afférentes, le comportement très souvent antirépublicain de nos Présidents jure avec la teneur et la valeur du serment lors de leur investiture.
Quand on jure « de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois, de consacrer toutes mes forces à défendre les institutions constitutionnelles, l’intégrité du territoire et l’indépendance natio- nale », on ne doit pas pour des raisons bassement politiciennes tripatouiller cette même Constitution. Mais l’histoire politique du Sénégal a toujours montré que prêter serment n’a jamais empêché les hommes politiques de tripatouiller la Constitution qu’ils sont censés défendre. Ainsi dans son mé- moire de maîtrise soutenu en 2007, Mahmoud Khamal Dine Bayor souligne comment le premier président de notre pays, Léopold Sédar Senghor, et son successeur, Abdou Diouf, ont constamment violé la Constitution pour des raisons politiciennes. Nous le citons : « La Constitution de 1960 et celle de 1963 prévoyaient que le Président de la République ne pouvait occuper, pendant toute la durée de sa législature, d’autres fonctions publiques ou privées. A titre justificatif, nous pouvons citer les dispositions des articles 23 et 32 respectivement tirées de la première Constitution du Sénégal in- dépendant et de celle de 1963 : « la charge du Président de la République est incompatible avec l’exercice de toute autre fonction publique ou privée » ; puis, « la charge du Président de la République est incompatible avec l’exercice de toute autre fonction publique ou privée même élective ». Ainsi qu’on peut le constater et sans produire de gros efforts, la formule choisie par le Constituant de 1963 ne se différencie de la précédente que par la mention « même élective ».
Une telle précision n’est cependant pas for- tuite ; elle avait pour dessein de dissiper le doute que la première formule laissait planer sur la question de savoir si la fonction de chef de parti était visée par le Constituant de 1960 ; puisque la fonction de chef de parti est bien une fonction privée élective qui rentre dans le champ d’application de l’article 32 de la Constitution de 1963. Il convient de se demander pourquoi, en dépit de cette interdiction clairement formulée, les présidents Senghor et Diouf n‘ont cessé d’être les chefs du Parti socialiste ; et ce, jusqu’à la fin de leur « règne ». D’ailleurs, l’ancien ministre de la Justice et ex-recteur de l’Université de Dakar, Pr Seydou Madani Sy, écrit dans « L’alternance poli- tique au Sénégal », que « l’expérience politique au Sénégal a montré que le texte n’a pas été respecté ni par le Président Senghor, ni par le Président Diouf : l’un comme l’autre était resté chef du Parti socialiste alors que le texte visait également des fonctions électives, publiques ou privées ».
On pourrait ajouter relativement à la violation du serment, la loi du 6 août de 1976 qui a permis au président Senghor de céder anti-démocratiquement le pouvoir à son Premier ministre, Abdou Diouf, alors que notre Constitution d’alors stipulait en son article 21 que « le président de la République est élu au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à deux tours ». Ce même Senghor qui devait défendre l’intégrité du territoire a cédé par on ne sait quel tropisme une partie du nord du Sénégal à la Mauritanie et aussi dans la partie sud quelques villages à la Gambie. Des actes qui constituaient une violation du serment constitutionnel.
Dans son ouvrage « Les régimes politiques sénégalais de l’indépendance à l’alternance politique : 1960-2008 », l’actuel ministre de la Justice, Pr Ismaïla Madior Fall, pointe un doigt accusateur sur la réforme faite sous le magistère d’Abdou Diouf qui proroge le mandat présidentiel de 5 à 7 ans dans le seul souci de conserver le pouvoir. D’ailleurs, une autre loi supprimera la limitation des mandats.
Toutefois, Abdoulaye Wade est le champion en matière de violations du serment politique. Sous son magistère, la Constitution a été constamment violée pour des raisons de conservation du pouvoir. On se rappelle le fa- meux 23 juin 2011 où les députés de la majorité ont introduit un projet de loi constitutionnelle instituant un ticket à l’élection présidentielle de 2012 et réduisant le taux de suffrages nécessaires à l’élection du chef de l’État à 25 %. Une telle façon de faire remettait fondamentalement le texte du serment qui enjoint au président de la République d’« observer scrupuleuse- ment les dispositions de la Constitution et des lois ».
Macky Sall ne fera pas moins que ses prédécesseurs. Il s’est mis dans une dynamique, dès 2012, d’utiliser les lois de la République pour combattre des adversaires politiques. Khalifa Sall et Karim Wade, éliminés arbitrairement de la course présidentielle et embastillés sur la base de la violation itérative des lois de la République, sont les preuves patentes que Macky Sall a oublié le contenu du serment constitutionnel qu’il a fait le 2 avril 2012.
Au Sénégal, on prête peu de crédit aux serments et sermons politiques. Pourtant faire un serment, c’est jurer et jurer c’est lier son âme à Dieu et à ses concitoyens. Le principe de la loi du serment veut que son prestataire ne puisse pas rompre aussi facilement sa parole donnée. Celui qui fait un serment s’engage et, en conséquence, il doit agir et accomplir fidèlement toutes choses selon le contenu de sa parole donnée. Et c’est en ce sens que le prophète Moïse s’adressa aux chefs des tribus des Israélites en ces termes : « Voici l’ordre que l’Eternel a donné. Lorsqu’un homme fera un vœu à l’Eternel ou un serment pour se lier par un engagement, il ne violera pas sa parole, il agira selon tout ce qui est sorti de sa bouche. » Propos que nos dirigeants auraient dû constamment méditer dans la conduite des affaires de la République, mais hélas.