En droit constitutionnel, il a été longtemps admis que le degré de « séparation des pouvoirs » déterminait un type précis de régime. Ainsi : le [Régime présidentiel] correspondait à la séparation « rigide » ou « stricte » des pouvoirs, alors que le [Régime parlementaire] tournait autour de la séparation « souple » ou «collaboration » des pouvoirs. Mais la notion de « séparation » est devenue inadaptée à la réalité qui est toujours celle d’une « collaboration » plus ou moins grande : « absolue » en régime parlementaire / « relative » en régime présidentiel.
La collaboration veut dire l’absence de cloisonnement étanche entre Exécutif et législatif. A cet effet, le Parlement participe aux activités de l’exécutif (ex : ratification de certains Traités, « la déclaration de guerre est autorisée par l’Assemblée Nationale » selon l’article 70 de notre Constitution etc.) L’Exécutif à celle du Parlement en participant au travail législatif (ex : délégation de pouvoir législatif au Gouvernement (article 77), initiative des lois (article 81), accès et droit de parole aux assemblées, droit de message du chef de l’Etat (article 79) droit d’amendement (article 82), oriente la discussion dans le sens souhaité par le Gouvernement (article 82, alinéa 4…).
– Elle est « Absolue » quand cette collaboration fonctionnelle se double en plus d’un droit de révocation mutuelle. Les députés ont donc le droit de provoquer le retrait du Gouvernement (en engageant sa « responsabilité politique », article 86, alinéa 3) tandis qu’en contrepartie l’Exécutif peut provoquer le retour anticipé des députés devant les électeurs (avec l’exercice du « droit de dissolution », article87).
– Elle est « relative » quand la collaboration fonctionnelle existe bien (encore que moins prononcée), mais qu’elle ne se double pas d’une collaboration sanctionnée : les pouvoirs peuvent s’empêcher mais ne sont pas révocables mutuellement (ou de manière exceptionnelle : c’est ce qui se dessine avec la suppression programmée du poste de Premier ministre).
Au regard de ces considérations, il serait important de préciser que dans le droit constitutionnel classique, l’analyse du régime parlementaire était fondée sur les rapports juridiques entre Exécutif et Législatif (responsabilité / dissolution). Or, désormais, ce qui compte le plus, c’est la réalité politique et notamment le rôle des partis (communément appelés les institutions politiques). Tout dépend de l’aptitude ou non de ces derniers à dégager des majorités stables dans le régime (d’où l’importance des élections).
Ce sont donc les Majorités qui déterminent la figure actuelle du régime parlementaire. Au regard de ces considérations, on peut soutenir, sans risque de nous tromper, que « contre tous les enseignements hérités du droit constitutionnel classique, le critère de distinction opératoire entre les régimes parlementaires et le modèle américain [(présidentiel)] repose nullement sur la notion de responsabilité politique (elle ne joue pas plus aux Etats-Unis qu’en Angleterre ou en Espagne), il ne se situe pas davantage dans l’élection populaire du président (nombreux pays de tradition parlementaire la pratiquent en Europe), il est dans la nature différente des rapports entre Exécutif et Législatif. L’un – le régime présidentiel – pratique une séparation souple tandis que l’autre – le régime parlementaire – s’adosse sur une sorte de fusion des pouvoirs » en raison du rôle que jouent les partis politiques.
Pourtant, jusqu’à tout récemment, (adoption de la loi sur le parrainage), l’étude des partis politiques est restée hors du champ d’observation des constitutionnalistes sénégalais. Car, chez nous, l’étude du droit constitutionnel a traditionnellement été étroitement mêlée à celle de l’Etat, au premier rang de laquelle on retrouve le système normatif et les rapports entre les pouvoirs. Aussi, par un étrange paradoxe, malgré la suppression annoncée de poste de Premier ministre, les partis politiques sont fort discrets sur la question pourtant primordiale de l’évolution de leur statut.
I-La tendance aux régimes parlementaires majoritaires « ou d’alternance »
Dans les années cinquante, le doyen Georges Vedel enseignait que la différence essentielle entre les régimes politiques anglais et soviétique ne tenait nullement à la lettre ou à l’esprit de leurs constitutions respectives mais simplement à ce qu’à Westminster il y avait deux partis politiques, alors qu’au Kremlin, il n’y en avait qu’un. Cette précision permet de rappeler que les régimes parlementaires majoritaires connaissent à titre principal l’alternance de deux grandes forces politiques. A l’antique clivage entre Gouvernement et Parlement se substitue une opposition entre [majorité et minorité politiques]. Il y a donc d’un côté «la majorité », composée du ou des partis vainqueurs des élections, (et qui dispose à la fois du Gouvernement et du Parlement), et de l’autre l’opposition, (ou la minorité parlementaire), qui attend les prochaines élections pour prendre une éventuelle revanche. (Exemple : Grande Bretagne… ou il est courant de dire que « l’Angleterre n’aime pas les coalitions»).
Il est en effet évident qu’un Gouvernement assuré d’une majorité fidèle au Parlement (ce qui est le cas de la plupart des régimes parlementaires actuels) dispose à la fois du législatif et de l’exécutif : existence d’une vraie « unité du pouvoir politique », entre les mains du parti majoritaire. Le phénomène majoritaire prenant souvent son origine dans le mode de scrutin (majoritaire par exemple, voir modèle anglais), générant la bipolarisation du système politique (ou même le bipartisme), la solidarité politique entre gouvernement et parlement et, par voie de conséquence, la primauté politique du pouvoir exécutif. Vis-à-vis du Parlement, (organe délibérant), le Gouvernement a pour seule contrainte de ne pas trop heurter sa majorité. D’ailleurs, la conséquence principale en est que le Parlement n’est plus un réel contrepoids au gouvernement (sauf prérogatives fortes accordées à l’opposition) puisqu’il est en fait subordonné au parti majoritaire et à son leader qui est aussi Premier ministre (ou chef de l’Etat). La règle qui s’en dégage est que le Gouvernement est assuré de la confiance du Parlement. La conséquence immédiate est relative au caractère inopérant de la responsabilité politique sauf crise interne au parti majoritaire (Ex : un seul Gouvernement renversé au Sénégal, en France, en Angleterre, deux cabinets renversés au XXe siècle ; Mac Donald en 1924 et Callaghan en 1979). Dès lors, le droit de dissolution n’est plus la contrepartie d’une censure improbable du Parlement (il acquiert un but nouveau : le Premier ministre (ou le Président de la République) choisit la date qu’il estime la plus favorable aux intérêts de son parti, provoquer des élections au bon moment…). Ex : Angleterre, Australie, Canada, Espagne, Suède, Danemark…)
En vertu de la transformation des rapports entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ainsi que l’avènement et l’importance du fait majoritaire qui stabilise le pouvoir exécutif, ce dernier se place au centre du système institutionnel (la primauté politique du pouvoir exécutif). Un tel déplacement du curseur institutionnel conduit à l’actualisation de la théorie de la séparation des pouvoirs : aujourd’hui, un Gouvernement modéré est celui qui accorde une place importante à l’opposition et qui garantit l’alternance au pouvoir. C’est d’ailleurs tout le sens de l’article 58 de la Constitution sénégalaise du 22 janvier 2001 qui fixe le statut de l’opposition.
II- La survivance des régimes parlementaires « non majoritaires »
Caractérisé par un multipartisme dans lequel aucun des partis n’obtient la majorité absolue ou relative des sièges ; le gouvernement doit donc s’appuyer sur une coalition. La classification des régimes parlementaire entre « dualiste/moniste » (équilibre dans l’un, rupture dans l’autre) ou « majoritaire/non majoritaire » surtout à travers l’exemple de la IIIe et IVe République française peut évidemment servir utilement à illustrer la rupture de l’équilibre au profit des assemblées. Il s’agit de l’idée de souveraineté parlementaire. Deux cas de figure peuvent se présenter à cet effet : parlementarisme stable ou non.
– soit [Parlementarisme non majoritaire « conflictuel »]. Il s’agit d’une catégorie de coalition instable, changeante au gré des combinaisons entre partis, ce qui entraine une succession des gouvernements dont la conséquence principale risque d’être l’instabilité du régime (type français, « dévoyé » sous la IIIe et IVe République ; Italie pendant longtemps). Le Parlement constitue un contrepoids du gouvernement est le Premier ministre est tenu de composer avec sa majorité. Il faut préciser qu’ici, le gouvernement n’est pas totalement assuré de la confiance du Parlement (les majorités se font et se défont au gré de la conjoncture). Il existe des risques d’instabilité ministérielle, d’où l’utilité des techniques de rationalisation. L’Assemblée Nationale, élue au suffrage universel direct n’est pas un véritable relais entre l’opinion et le gouvernement. En effet, le peuple n’est pas directement associé au choix du Premier ministre, au changement de majorités. Par conséquent, si l’on en croit aux thèses de Maurice Duverger, la démocratie devient un système « médiatisée » par les partis.
– soit, [Parlementarisme non majoritaire « consensuel »], pour éviter les risques d’instabilité ou de tensions civiles, les partis s’entendent pour gouverner. Il en découle comme conséquence l’absence « d’opposition » véritablement institutionnalisée, notamment par une Politique faite de « compromis »… des «petits pas ». L’inconvénient majeur se trouve dans les lenteurs dans la prise des décisions, ce qui risque de créer de la frustration politique dans l’opinion publique dont les prolongements vont permettre l’éclosion de partis extrêmes en rupture avec l’ordre établi (ex : « grande coalition » en Allemagne de 2005 à 2009 ; En Europe, plus de 10 pays expérimentent le parlementarisme non-majoritaire, sans que la multiplication des partis représentés ne constitue un obstacle à la conduite de la politique gouvernementale).
En conclusion, nous pouvons affirmer que dans bien des cas, en raison de la solidarité politique unissant Gouvernement et Parlement (bipartisme), l’aspect «libéral » des régimes parlementaires, (surtout anglais), et plus généralement des régimes occidentaux, tient donc à autre chose qu’à la prétendue séparation «Pouvoir législatif – Pouvoir Exécutif », mais surtout de l’indépendance du Pouvoir judiciaire et Juge constitutionnel. Certainement, au Sénégal, après l’agonie des partis politiques suscitée par la loi sur le parrainage, supprimer le poste de Premier ministre reviendrait à changer le système politique, institutionnel et étatique. Vaste chantier fastidieux !
Mouhamadou Ngouda MBOUP
Enseignant-chercheur de droit public FSJP/UCAD
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