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La Belle Histoire De Macky

La surprise du chef ! Elle est énormissime. Ne voilà-t-il pas que, en tout début de second mandat, Macky Sall annonce urbi et orbi, aux sénégalais encore anémiés par une longue campagne présidentielle, précédée elle-même par de multiples révisions de la loi fondamentale, et entremêlée de combats judiciaires épiques, son intention de supprimer le poste de premier ministre. Quelle mouche tsé-tsé l’a piqué ! Une fois de plus, Macky Sall est là où on ne l’attend pas, avec un art de l’anticipation avérée et de la manœuvre orfévrée.

Sous l’arbre à palabres, les griots politiciens, survoltés par la réélection de Macky Sall, et déjà sous les starting-blocks à l’horizon de la nomination gouvernementale avec le renfort de leurs marabouts attitrés, criaient un troisième mandat avant même la cérémonie de la prestation de serment. Les femmes, souteneuses de Macky Sall, fières de leurs cartons d’invitation personnalisés pour Diamniadio, préparaient pendant des heures, voire des jours, le parfument de leurs parures de Thiouraye. La femme a fait gagner le président sortant de l’aveu même de celui-ci, il serait donc légitime d’espérer le renvoi de l’ascenseur ! Des noms circulaient : Aminata Touré à la primature…

Et pourtant, dans le plus grand secret de ces douces journées préparatives et festives de Diamniadio, profitant des alizées océaniques où chacun se réfugie la nuit tombante dans son foyer, un chamboulement de la vie politique sénégalaise sans précédent se préparait. Macky Sall n’arrête jamais. Il donne le tournis ! Il se dote d’un nouvel attelage gouvernemental, se sépare de son cabinet et de ses ministres-conseillers, et surtout donc charge le nouveau premier ministre de la lourde mission de se faire hara-kiri : quitter la primature pour rejoindre le bureau au premier étage du secrétariat général de la présidence. Le voilà relégué au poste de surintendant du pouvoir sénégalais ! Mahammed Boun Abdallah Dionne ne serait plus à la tête d’un exécutif partagé mais deviendrait l’équivalent du chef de cabinet de la Maison-Blanche, c’est-à-dire le personnage le plus important de l’administration sénégalaise.

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A l’annonce de cette nouvelle, dans les Ndiaga-Ndiaye, les regards incrédules de certains passagers se croisèrent, d’autres levèrent leurs mains au ciel en ponctuant leurs incantations par le mot rek. Les radios rappelèrent dare-dare leurs analystes-maison pour décrypter cette mesure inattendue. Beaucoup y virent une perfidie républicaine, d’autres un plan pour sa réélection en neutralisant les ambitieux de son propre camp. Les plus optimistes plutôt une clarification des institutions sénégalaises.

Le déroulé de la vie politique de Macky Sall est assez proche de la succession des récits du conte : « La Belle Histoire de Leuk-Le-Lièvre ». En 2012, il fut désigné successeur de Me Abdoulaye Wade, semblable au lièvre tombé à la dernière minute d’un arbre, en ayant grillé la politesse aux mastodontes de la politique sénégalaise. Durant son premier mandat, il fut accompagné de la princesse des génies, Mame-Ramdatou. Pour conserver son pouvoir, il rusa, comme le lièvre déterminé à garder ses nouveaux membres qui lui accordaient plus de capacités. Il emprisonna ses adversaires les plus coriaces sur des motifs légitimes de lutte contre la corruption, la rue ayant arbitré en sa faveur. Il modifia le code électoral et la constitution sous des prétextes démocratiques que personne ne pouvait en réalité contester. Lors de l’élection présidentielle de février, sous la menace du retour de Me Abdoulaye Wade, les deux plus rusés de la politique sénégalaise enterrèrent la hache de guerre. La voie royale était ouverte pour une réélection.

Le début de ce deuxième mandat, dernier de Macky Sall, n’est-il pas à rapprocher du chapitre 21 « La conversion de Leuk » ? Et si la suppression du poste de premier ministre était réellement animée par de bonnes intentions ? Il est très prématuré de tirer des plans sur la comète tant cette réforme ne change pas fondamentalement l’équilibre des pouvoirs. En effet, le régime politique sénégalais a emprunté à bien des égards à celui mis en place par la Constitution française de 1958, à la différence près que le premier ministre sénégalais, à l’opposé de son homologue français, n’a jamais déterminé et conduit la politique de la Nation. Le régime politique sénégalais était, avant la suppression du poste de premier ministre, quasi présidentiel.

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Certes, avec la disparition d’un premier ministre à la sénégalaise, les mécanismes de contre-pouvoir dévolus à l’Assemblée nationale pour contrôler l’action gouvernementale, vont périr. L’introduction du fait majoritaire, une correspondance parfaite entre la majorité présidentielle et législative, avait toutefois rendu ces mécanismes quasi inefficaces, voire protocolaires. Depuis Léopold Sédar Senghor, qui défait les 1ers Ministres ? Le Président ou le Parlement ? L’ancien président Wade avait déjà songé à rendre le régime plus proche de celui des Etats-Unis d’Amérique avec le ticket Président et Vice-président abandonné le 23 juin 2011. Macky Sall n’a pas été jusque-là car apparemment sa succession n’est pas à l’ordre du jour !

Certains y voient une mesure anticipative face aux élections législatives que l’opposition pourrait emporter. A cette heure-là, l’opposition est aux abonnés absents. Mais si un tel cas se produisait, cela ne changerait rien avec ou pas un premier ministre à la tête de l’exécutif. La cohabitation à la française est impossible au Sénégal, le système politique serait paralysé car le premier ministre n’est pas habilité à conduire la politique de la Nation. Il faudrait envisager des élections présidentielles anticipées pour démêler ce nœud constitutionnel ! Nous serions donc dans un cas similaire avec ou sans premier ministre.

Aujourd’hui, le contre-pouvoir ne se trouve pas seulement dans la suppression du pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République, mais surtout dans l’existence d’un bicaméralisme où l’opposition pourrait être majoritaire dans l’une des deux chambres comme en France ou aux Etats-Unis. C’est le Sénat français qui, dans ses commissions parlementaires, a bousculé la tête de l’exécutif et de son entourage dans l’affaire Benalla. Ce qui a été impossible à l’époque où Macky Sall était président à l’Assemblée nationale lors de l’affaire Karim Wade, devrait l’être aujourd’hui sous le nouveau régime présidentiel, au-delà de considérations politiciennes pour une mise en cause de la responsabilité personnelle des Ministres.

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Par ailleurs, le pouvoir judiciaire sénégalais, sous ce régime présidentiel, doit voir son indépendance renforcée avec une première mesure symbolique : le départ du président de la République du Conseil Supérieur de la Magistrature. Le nouveau garde des Sceaux ne semble pas en faire une priorité. Dommage ! Enfin, au niveau du bureau exécutif de la Présidence, un toilettage s’impose. Le nouveau secrétaire général de la présidence cumulera certaines anciennes fonctions du premier ministre à la sénégalaise et du secrétaire général à la présidence. Il sera un super chef de cabinet. Dans ce contexte, à quoi serviront les doublons de Ministres-conseillers, et de Directeur de cabinet et de chef de cabinet. Dans l’esprit de la nouvelle doctrine de « fast track », l’administration, a fortiori celle du Président, doit être simplifiée pour une instruction et exécution rapides ! Pas besoin d’un mille-feuille inutile et budgétivore !

Dans le conte de Senghor et de Sadji, le lièvre Leuk, à la toute fin du récit, repart faire un voyage pour compléter son instruction. Il a acquis depuis ses premières aventures une sagesse certaine. Il est évident que Macky Sall a beaucoup appris de son premier mandat présidentiel : les accusations entre ministres, les retards d’exécution… Ce nouvel état d’esprit insufflé par le Président ne peut être qu’une première étape vers un changement plus profond de la société sénégalaise. C’est ainsi qu’il faut interpréter les nouvelles mesures sur l’obtention des passeports diplomatiques et autres.

edesfourneaux@







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