« Notre histoire millénaire, notre mémoire, notre culture touchées au cœur », a tweeté le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire. Tandis que la maire de Paris Anne Hidalgo déclare : « Tous les Parisiens et Français pleurent cet emblème de notre Histoire commune… C’est un des lieux les plus visités au monde et les plus visités de la capitale».
« C’est si terrible d’assister à ce gigantesque incendie à Notre-Dame de Paris, l’un des grands trésors du monde », dixit Donald Trump. Son homologue Poutine embouche la même trompette : « Notre-Dame est un symbole historique de la France, un trésor inestimable de la culture européenne et mondiale…»
« Ces horribles images de Notre-Dame en feu font mal. Notre-Dame est un symbole de la France et de notre culture européenne », lit-on dans le tweet du porte-parole de la chancelière Angela Merkel, Steffen Seibert. « Notre Dame de Paris en feu, une immense émotion, Victor Hugo, une part de l’Histoire de France, de l’Europe », a écrit le Premier ministre belge Charles Michel. « L’incendie à Notre-Dame est une catastrophe pour la France. Et pour l’Espagne et l’Europe. Les flammes détruisent 850 ans de notre histoire, de notre architecture, peinture, sculpture…», regrette le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez.
« Ce n’est pas qu’une catastrophe nationale pour la France, mais aussi pour l’Europe et le patrimoine mondial », a tweeté le Premier ministre Alexis Tsipras. « Images choquantes de Paris. Un emblème, un patrimoine culturel de l’humanité et un des plus beaux ouvrages d’art de l’histoire de France, Notre-Dame est en flammes », a écrit le chancelier autrichien Sebastian Kurz. « La destruction de ce chef-d’œuvre architectural appartenant au Patrimoine mondial est une catastrophe pour l’humanité entière », a déclaré le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu.
On pleure l’œuvre d’art et d’histoire mais pas l’Eglise
Ces quelques réactions émotionnelles font suite à l’incendie qui a ravagée le lundi 15 avril 2019, la célèbre cathédrale Notre-Dame du XIIIe siècle devenue l’un des symboles de la capitale française. Les chefs d’Etats Africains aussi, grands amis de la France, ne sont pas en reste dans ce déluge lacrymal compassionnel. Mais l’on a relevé dans le flux des messages de compassions des autorités françaises et des autres pays que l’on pleure plus le monument historique, culturel et touristique, la beauté de l’œuvre d’art plus que le lieu de culte, de prières et de rassemblement des catholiques. Certes, on peut comprendre que le monde entier soit consterné et choqué en voyant un lieu si sacré partir en fumée. Au-delà de son essence cultuelle, Notre-Dame est un lieu culturel chargé d’art et d’histoire. C’est un joyau architectural de l’art gothique, une mémoire du passé, un symbole de la nation française, une attraction touristique majeure. C’est aussi une sorte de muse inspirante qui a impulsé la littérature du 19e siècle. C’est ainsi qu’en 1831, Victor Hugo lui a consacré un roman éponyme. A travers ce passage dudit livre, l’on dit que Hugo avait prophétisé l’incendie du 15 avril : « Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée ». Les plumes des écrivains comme Gautier, Péguy et Aragon n’ont pas résisté au charme du bâtiment gothique aux impressionnantes gargouilles.
Comme si le Seigneur veillait sur la cathédrale du XIIIe siècle, Notre-Dame a été épargnée par les deux conflagrations mondiales et d’ailleurs ce sont ses cloches qui ont annoncé, le 25 août 1944, la libération de Paris. L’arrivée de la de la sainte « Corona spinea » (couronne d’épines en latin) du Christ en 1239, puis le sacre de 2 décembre 1804 Napoléon 1er en présence du pape Pie VII, la célébration des funérailles de plusieurs présidents de la 3e République (Adolphe Thiers, Sadi Carnot, Paul Doumer) de même que ceux de la 5e République (Charles De Gaulles, Georges Pompidou et François Mitterrand) font partie de ces faits historiques qui immortalisent le nom de Notre-Dame dans l’histoire.
Ce qui est regrettable, c’est que dans plusieurs réactions venant des autorités françaises et de partout dans le monde, on note qu’elles relèguent au second plan la quintessence de Notre-Dame. Elles oublient que Notre-Dame est avant tout une église, une église catholique, un lieu de prière et pas une ancienne église, pas une église reconvertie en musée historico-touristique. Certes Notre-Dame est un édifice religieux d’une magnificence sublime qui attire des millions de visiteurs par an, mais cette magnificence n’est qu’un instrument pour manifester la grandeur immatérielle de ce qui fonde la foi chrétienne : le Christ. D’ailleurs, Monseigneur Michel Aupetit a rappelé que pour les catholiques, l’essentiel ce n’est pas la pierre, mais la foi. Cette pierre qui attire plus que la foi a été assaillie, ce jour du 15 avril, par le feu purificateur et aspergée d’eau baptismale. On pleure le monument chargée d’histoire, on pleure le bâtiment gothique qui contribue au PIB français en attirant entre 12 et 15 millions de touristes annuellement mais on ne pleure pas l’Eglise, ce lieu de rassemblement de tous les baptisés affirmant leur foi en Jésus ressuscité. Et comme le dit la Bible, la véritable Église de Dieu n’est pas seulement un bâtiment ou une dénomination particulière mais ce rassemblement communiel de tous ceux qui ont reçu le salut par la foi en Jésus-Christ.
Le président de la République française, Emmanuel Macron, à la suite de l’incendie de la cathédrale de Notre-Dame, s’est adressé à ses compatriotes le mardi 16 avril à 20h. Beaucoup de fidèles chrétiens, plus précisément catholiques, se sont étonnés, voire indignés que Macron n’ait pas prononcé une seule fois dans son discours préparé, le mot « chrétien » ou « catholique ». Ce qui a déclenché l’ire de de Monseigneur Michel Aupetit, archevêque de Paris, au point de déclarer ces propos qui traduisent la profonde blessure de sa communauté : « Nous sommes extrêmement meurtris d’avoir perdu notre cathédrale, c’est la semaine Sainte et nous sommes obligés de nous réorganiser complètement pour la prière. Ça aurait été sympathique qu’il y ait un petit mot de compassion pour la communauté catholique, car c’est quand même les catholiques qui font vivre la cathédrale Notre-Dame, qui n’est pas un musée… Il n’y pas de problème de pouvoir dire un tout petit mot de compassion aux catholiques, qui souffrent. Les chrétiens se sont sentis un peu blessés, juste un tout petit mot de compassion, comme on l’aurait fait pour les juifs ou les musulmans j’en suis persuadé... Cette cathédrale a été édifiée au nom du Christ. C’est une somme de pierres habitées d’un esprit. Ce n’est pas un bâtiment fonctionnel... .» On pleure Notre-Dame alors que les fidèles catholiques qui l’animent sont victimes de plus en plus d’une christianophobie alarmante dans l’indifférence des autorités et des médias français. Plus de 800 églises françaises ont été vandalisées en 2018 sans que cela n’émeuve le peuple français dans sa grande majorité. Mais cette église-là n’existe presque plus dans le cœur de ce peuple français qui caracole dans le top 4 des pays les plus athées du monde. La fille aînée de l’Eglise a tourné le dos à sa religion et à ses origines judéo-chrétiennes. Ce que confirme l’historien François Huguenin, qui déclare que seulement « 5% des Français pratiquent la religion catholique ».
Aujourd’hui, Notre-Dame est devenue est un exutoire pour tous les riches français assoiffés de gloire de manifester leur « charitabilité » sélective. En quelques jours de mobilisation de ressources, déjà un milliard de dollars a été collecté pour faire renaître Notre-Dame. Oui il faut reconstruire le bâtiment gothique, l’œuvre d’art, la muse des écrivains, le lieu historique qui « panthéonise » certains dignitaires français. A côté, dans le 6e arrondissement, la deuxième plus grande église de Paris, l’église Saint-Sulpice plus ancienne que Notre-Dame, a fait l’objet d’un incendie volontaire le 17 mars dans l’indifférence totale. Pas d’overdose médiatique, pas de larmes de compassion et l’appel aux dons lancé pour la reconstruction n’a pas trouvé écho favorable chez tous ces Crésus qui se bousculent au portillon de la Dame blessée pour lui administrer la potion pécuniaire magique qui la guérirait de ses blessures.
Les chefs d’Etat africains et le syndrome de Stockholm
Et dans ce concert de pleurs et de larmes de crocodiles, nous ajoutons la cacophonie des jérémiades de chefs d’Etat africains qui ont joint leurs voix pleurnichardes à celles des Français qui adoptent très souvent une attitude indifférente à la limite méprisante quand un malheur avec son lot de morts frappe le vieux continent. La célérité des chefs d’Etat à envoyer des messages de sympathie quand la métropole souffre montre l’assujettissement sous-jacent qui détermine les relations nord-sud. L’esclave souffre plus que le maître souffrant. Le mal de nos dirigeants est qu’ils ne balaient jamais devant leurs propres portes. On ne leur reprochera jamais de compatir du malheur d’autrui car la douleur émotionnelle sans frontière transcende les aires géographiques et les cercles religieux, voire raciaux. Mais dans le drame de Notre-Dame aucun mort, voire aucun blessé n’est enregistré. C’est pourquoi Lilian Thuram, le 18 avril devant la presse, dénonce cette stratification des drames dans son pays. « Nous sommes des êtres d’émotion, c’est normal que nous soyons touchés. Mais on a l’impression que, parfois, il y a des hiérarchies qui s’installent dans l’émotion… Il y a des gens qui meurent en voulant traverser la Méditerranée et en fait, le monde n’est pas ému comme ça », vitupère l’ancien défenseur des Bleus.
Mais cette hiérarchie des émotions commence d’abord chez les présidents africains plus enclins à s’émouvoir de la douleur métropolitaine que des tragédies qui assaillent leur continent. Le président camerounais Biya qui a compati à la douleur de la France a été vivement critiqué par ses compatriotes qui lui reprochent d’être plus préoccupé par les drames extra-muros que ceux de son pays. En atteste l’accident du train d’Eseka. Il ne s’y est pas rendu pour compatir, pire il ne s’est jamais montré préoccupé par la situation des familles des victimes. Pour rappel, le 21 octobre 2016, près de la gare d’Eseka sur la ligne de Douala-Yaoundé au Cameroun, s’est produit un accident ferroviaire qui a fait 79 morts et 551 blessés.
Le 14 mars dernier, le cyclone Idai a ravagé le Mozambique, le Zimbabwe et le Malawi avec à la clé 1 007 morts, 2 262, disparus, 2 450 blessés et 3 044 000 millions de sinistrés, 240 000 maisons détruites, 500 000 hectares de culture perdus. La Banque mondiale a estimé que les dégâts causés par le passage meurtrier du cyclone Idai devraient coûter plus de 2 milliards de dollars pour la reconstruction des infrastructures et le rétablissement des moyens de subsistance des populations à ces trois pays pauvres d’Afrique australe. Pour l’instant, seuls le Fonds monétaire international (FMI) d’urgence, la Caritas italienne ont débloqué respectivement 118,2 millions d’euros et un million d’euros. S’y ajoutent 70 millions de dollars de quelques autres bonnes volontés. On est loin du compte. Aucun de ces chefs d’Etat qui pleure notre Notre-Dame n’a déboursé un kopeck en guise de solidarité aux sinistrés de l’Afrique australe. Les chefs d’Etat africains de même que les 20 milliardaires (en dollars) du continent font le mort devant Notre Drame.
Dans la nuit du 16 au 17 avril, plus de 120 personnes sont mortes dans le naufrage de Kalehe, sur le lac Kivu à cause d’une embarcation vieillotte et surchargée qui s’est retournée. La communauté internationale si prompte à casser la tirelire pour une douleur plus bénigne de même que les chefs d’Etat africains, restent insensibles au deuil qui frappe la RDC. Aucune aide ni logistique ni financière n’est acheminée à ce pays des Grands Lacs. Ni un message de compassion des colons belges qui construit leur pays avec les ressources du Congo-Léopoldville après avoir lâchement assassiné son leader Patrice Lumumba.
Je me réserverai d’évoquer le drame des 150 peuls assassinés presque dans la quasi-indifférence de la communauté internationale. A part quelques réactions officielles de principe, aucune action d’envergure de solidarité et d’aide n’a été faite pour venir en aide aux rescapés de cette tuerie sordide. Mais rien d’étonnant si l’on sait que les chefs d’Etat africains sont atteints du syndrome de Stockholm. Ainsi la tragédie de Notre-Dame de Paris vient reléguer au second plan Notre-Drame de l’Afrique.