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Le Devenir-nÈgre Du Monde

Le Devenir-nÈgre Du Monde

On croyait la question raciale rangée dans les placards de l’histoire avec le « déclassement » de l’Europe par le discours postcolonial et sa relégation au rang d’une simple province du monde. Il faut croire que non ! Race et racisme n’ont pas qu’un passé. Ils ont aussi un avenir. C’est la principale thèse que défend l’historien camerounais Achille Mbembé dans un essai intitulé « Critique de la raison nègre » (La Découverte, 2015, 263 pages). Pour lui, en bien des pays sévit désormais un « racisme sans races ».

La seule différence avec le passé, c’est qu’aujourd’hui la culture et la religion ont pris le relai de la biologie pour mieux justifier et pratiquer la discrimination tout en rendant celle-ci conceptuellement impensable. Partant du substantif nègre, qui sert de point d’ancrage à ce livre, l’auteur analyse le « devenir-nègre du monde », c’est-à-dire un modèle d’extraction et de déprédation, un paradigme de l’assujettissement et, finalement, un complexe psycho-onirique. Cette sorte de « grande cage », en vérité réseau complexe de dédoublement, d’incertitudes et d’équivoques, a pour « châssis » la race. Il y a eu, bien sûr, le « moment grégaire » de la pensée occidentale dont « La raison dans l’Histoire » de Hegel a été le point culminant. Mais, il serait erroné, nous dit Mbembé, de croire que l’on est définitivement sorti de ce régime dont le commerce négrier, puis la colonie de plantation ou simplement d’extraction furent les scènes originaires. Depuis le moment où l’être humain d’os, de chair et d’esprit fit son apparition sous le signe de Nègre, autrement dit l’homme-marchandise, l’homme-métal et l’homme-monnaie, le principe de race et le sujet du même nom sont mis au travail sous le signe du capital.

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La « Bête » n’a fait que se métamorphoser à travers un « vertigineux assemblage » (homme-chose, homme-machine, homme-code et désormais hommeflux). C’est ainsi que, dans le contexte de la poussée antimigratoire en Europe et la crise écologique ayant entraîné la raréfaction des ressources, des catégories entières de la population sont indexées, puis soumises à diverses formes « d’assignation raciale » qui font du migrant (légal ou illégal) la figure d’une catégorie essentielle de la différence. Comme s’il y avait une volonté (de l’Europe) de faire de l’Afrique un « vaste espace carcéral ».

Selon Mbembé, comme hier, le monde contemporain reste façonné et conditionné par cette forme ancestrale de la vie culturelle, juridique et politique que sont la clôture, l’enceinte, le mur, le camp, le cercle et, en fin de compte, la frontière. En plus de cette différenciation, classification et hiérarchisation (entre ceux qui ont le droit de circuler ou non), de nouvelles voix s’élèvent pour proclamer que l’universel humain soit n’existe pas, soit se limite à ce qui est commun non à tous les hommes, mais seulement à certains d’entre eux. Dans un tel univers, les parties inchangeables du corps humain (comme la couleur de la peau) deviennent la pierre angulaire de systèmes inédits d’identification, de surveillance et de répression avec la généralisation de l’usage de données biométriques comme source de reconnaissance faciale. Bref, on s’achemine vers une nouvelle forme d’assignation raciale, prédit Achille Mbembé qui souligne que le capitalisme a toujours eu besoin de « subsides raciaux » pour exploiter les ressources planétaires. Tel était le cas hier. Tel est le cas aujourd’hui.

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L’argument décisif de Mbembé, c’est que le Nègre et la race n’ont jamais fait qu’un dans l’imaginaire des sociétés européennes. Depuis le 18ème siècle, ils ont constitué ensemble « le sous-sol inavoué et souvent nié » à partir duquel le projet moderne de connaissance mais aussi de gouvernement s’est déployé. Seulement, le problème, ce n’est pas uniquement le rapport entre l’Afrique – qui est plurielle d’ailleurs – avec le reste du monde mais aussi le rapport que les Africains entretiennent entre eux-mêmes. On note ainsi une crispation autour des drapeaux nationaux et un « micro-nationalisme » (Ebrima Sall) qui plombe l’idéal panafricain et bloque plusieurs projets régionaux. Il urge de sortir de cette « glaciation » des frontières comme de la représentation du Nègre. Pour la bonne et simple raison que la « planétarisation de la question africaine » et son corollaire, « l’africanisation de la question planétaire », vont de pair.







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