Oui, l’enseigne française, un des mastodontes du secteur de la grande distribution, 9ème au rang mondial, 3ème européen et 1er en France, est dans nos murs depuis janvier dernier. Mais, ce n’est que la semaine dernière que le premier magasin, ouvert au Point E, a été inauguré.
Les partisans de «Auchan dégage» ont donc vraiment du souci à se faire, car, comme on le voit, Auchan face à Carrefour, est un nain commercial. Et apparemment, ils en ont bien conscience puisque c’est le jour même de l’inauguration du premier magasin «Carrefour» que les invitations à un débat sur le thème «Combat contre les grandes surfaces étrangères : état des lieux et perspectives», prévu trois jours plus tard, sont tombées dans les mails des journalistes. Mobilisation générale au cours de laquelle, les mêmes éléments de langage, maintes fois martelés, ressassés et rabâchés, ont fusé à nouveau telle une ritournelle : «concurrence déloyale», «pertes d’emplois», «détournement de la clientèle», «dépendance alimentaire à l’extérieur», «rapatriement des bénéfices à l’étranger», etc.
Pour eux, il n’y a pas à comprendre. «Il faut que ces instruments d’asservissement, prolongement de la domination coloniale, dégagent de notre pays», s’époumonent-t-ils. Nous voudrions bien qu’Auchan dégageât, que «Carrefour» fichât le camp, que Casino pliât bagage, qu’Utile cédât la place, mais encore faudrait-il que nous ayons des champions locaux prêts à combler le vide que cela créerait. Sur ce point crucial, on n’entend jamais les adeptes du «dégagisme» faire des propositions. «La critique est plus facile que la pratique», disait George Sand. Et c’est bien là le problème. A la place de ces grandes surfaces, que propose-t-on aux consommateurs sénégalais qui y trouvent leur compte et qui, apparemment, en ont pour leur argent ? Voilà une question qui ne semble nullement préoccuper les «dégagistes».
Cette posture a quelque chose du comportement de l’activiste. Plus dans la bravade et la bravacherie que dans la force de proposition. Dans un contexte de mondialisation de plus en plus exacerbée, où les pays en développement se battent pour attirer les investissements directs étrangers, c’est quand même procéder d’un esprit rétrograde que de réclamer la fermeture de nos marchés à des multinationales, surtout dans un secteur abandonné par nos hommes d’affaires locaux plus prompts à investir dans le bâtiment que dans des filières à fort potentiel d’emplois. Les Sénégalais ont été longtemps sevrés de magasins de grande surface. Ce, depuis la faillite des magasins Sonadis (Société nationale de distribution du Sénégal, au début des années 2000) et la fermeture des supermarchés Filfili, propriété d’une famille libanaise éponyme. Il y a bien eu quelques tentatives de création de chaînes de supermarchés par la suite. On pense notamment à «Pridoux» lancé par la Ccbm. Mais, c’était surtout à l’échelle des quartiers à côté desquels fleurissaient des mini-markets.
Cependant, toujours est-il qu’aucune initiative d’envergure n’a prospéré jusqu’à ce que l’enseigne espagnole Citydia débarque au Sénégal en 2014 avant d’être rachetée par Auchan en 2017. Prix compétitifs (certains diront «dumping»), cadre propre et produits locaux, la stratégie d’Auchan fait mouche. Les clients assaillent ses magasins qui s’implantent même dans la lointaine banlieue. Les oligarques du commerce sénégalais, qui imposaient leur loi aux consommateurs obligés de subir hausse et pénurie organisées, sentent leur « pouvoir » vaciller. Que font-ils ? Rallier à leur cause le peuple du «dégagisme» toujours prompt à monter au créneau quand le «sujet» sent «français». Et pourtant, ces enseignes recrutent sénégalais, vendent sénégalais en partie, ont des fournisseurs sénégalais et paient des impôts. Nos «grands» commerçants et nos boutiques font-ils autant ? Pas si sûr. Justement, parlons de nos boutiques.
On accuse Auchan, Carrefour, Utile, Casino, d’être français et de rapatrier les bénéfices. Oublie-t-on que l’écrasante majorité des gens qui contrôlent nos boutiques ne sont pas « sénégalais » et que leurs bénéfices prennent le chemin d’un pays voisin au sud du Sénégal ? Dans ces boutiques, la main qui manipule la bouteille d’eau de Javel, le savon, le détergent, est la même qui tartine le beurre ou le chocolat dans le pain. Se pose ici la question de l’hygiène. Au moins dans les grandes surfaces, les règles d’hygiène et de sécurité alimentaire sont plus ou moins respectées et on peut s’y rendre en famille sans peur d’éclaboussures d’eaux usées. Pourquoi pensez-vous à nos marchés ?