Le phénomène des transferts de fonds de la diaspora vers l’Afrique est trop souvent analysé du seul point de vue de leur coût, considéré comme trop élevé.
Pourtant, même s’il est incontestable que la question du coût des transferts mérite d’être débattue, cette analyse occulte trop souvent les dynamiques profondes qui déterminent le marché des transferts de fonds de la diaspora sur le long terme.
En effet, plusieurs tendances lourdes sont en train de bouleverser la façon dont les Africains transfèrent de l’argent à leurs proches. Qu’elles soient d’ordre sociologique, démographique ou technologique, ces tendances sont bien plus fondamentales pour comprendre ce marché… et, in fine, résoudre la question du coût des transferts.
Le premier phénomène que nous observons sur le marché des transferts est d’ordre sociologique. Traditionnellement, l’émetteur des fonds était un individu établi en Europe ou aux États-Unis, où il occupait un emploi à faible revenu lui permettant d’envoyer régulièrement de petites sommes d’argent vers l’Afrique, la plupart du temps pour subvenir aux besoins de sa famille restée au pays.
Si ce profil domine encore le paysage, de nos jours les transferts peuvent aussi bien provenir des membres aisés de la diaspora cherchant à investir en Afrique que de ceux de la classe moyenne installés en Afrique et dont les enfants étudient en Europe ou en Amérique du Nord… ou encore d’individus vivant en Afrique ayant des intérêts commerciaux sur le continent lui-même. De plus en plus, ces transferts ne servent plus à financer des dépenses sociales, mais à investir dans la petite entreprise montée par tel ou tel membre de la famille.
Orientation des flux financiers
Ce qui nous amène au deuxième changement, celui de l’orientation des flux financiers. Le corridor Europe/Amérique du Nord-Afrique reste le plus important en volume, mais il ne monopolise plus comme auparavant les transferts des diasporas. En revanche, la part du corridor Afrique-Europe/Amérique du Nord n’a cessé d’augmenter au fil des ans, même si son volume n’est pas encore substantiel.
En outre, de nouveaux partenaires commerciaux ont fait leur apparition, comme les pays d’Asie et du Moyen-Orient où les membres de la diaspora sont de plus en plus établis. Enfin, n’oublions pas que 80 % des migrants africains restent en Afrique. C’est peut-être l’aspect le plus important : les échanges et les relations commerciales intra-africaines se sont consolidés et intensifiés au cours des dernières années, avec une intégration continentale partie pour s’inscrire dans la durée.
L’avancée technologique
Le troisième et dernier changement est une conséquence directe du saut technologique dans les services bancaires et financiers, et joue un rôle d’accélérateur des deux précédentes tendances. Dans un contexte de rapide inclusion numérique sur le continent, les outils du marché des transferts de fonds ont eux aussi commencé à évoluer. En 2020, on estime que l’Afrique comptera 725 millions d’abonnés en téléphonie mobile… contre seulement 16 millions en 2000.
Cet environnement crée les conditions idéales pour le développement des services mobiles bancaires et associés. Il existe actuellement en Afrique autour de 100 millions de comptes d’argent mobile actifs, soit 50 % du marché mondial des services financiers mobiles. Cela fait du continent la première région, du point de vue des parts de marché, pour les transactions mobiles.
Ces changements technologiques vont avoir des répercussions immédiates sur la façon dont les Africains financent leur économie. De fait, mettre en place un compte d’argent mobile revient à acquérir une identité financière et, partant, à sortir de l’informel et à utiliser l’argent à des fins productives (épargne, investissement, crédit…).
Alors que le secteur informel est une composante essentielle de la plupart des économies subsahariennes, avec une contribution au PIB qui varie de 25 % à 65 %, les services financiers mobiles vont permettre sa formalisation graduelle. Les banques vont jouer un rôle de premier plan pour orienter les fonds de la diaspora vers les entreprises africaines tout juste sorties de l’informel. En effet, les nouvelles technologies offrent aux banquiers l’occasion de révolutionner leur façon de prêter de l’argent : nous aurons bientôt les outils pour mettre en place des micro- et même des nanocrédits aux très petites entreprises.
Ibrahima Diouf est Directeur général d’EBI SA, filiale internationale d’Ecobank