Allons-nous envoyer seul le ministre Abdou Karim Fofana alias Hercule dans les écuries d’Augias pour mettre de l’ordre dans la capitale, voire dans tout le pays ? Pas si simple que cela. Car il ne suffit pas d’enlever des garages de mécaniciens, des tables de marchands ambulants, de déplacer des parcs de vente d’automobiles pour résoudre un problème séculaire. Mais comment mener à bien cette tâche herculéenne ? Une seule solution : tirer tous à la même corde et avancer dans la même direction. Pour cela, il faut que le président de la République, Macky Sall, monte en ligne de front pour donner, impulser les énergies et booster les mentalités citoyennes.
« Il y a urgence à mettre fin à l’encombrement urbain, à l’insalubrité, aux occupations illégales de l’espace public et aux constructions anarchiques dans des zones inondables comme le Technopôle de Dakar. J’appelle à une mobilisation générale pour forger l’image d’un nouveau Sénégal ; un Sénégal plus propre dans ses quartiers, plus propre dans ses villages, plus propre dans ses villes ; en un mot un Sénégal « zéro déchet ». Je ferai prendre sans délai des mesures vigoureuses dans ce sens. J’y engage aussi les autorités territoriales et locales, ainsi que les mouvements associatifs et citoyens ». C’est là une partie importante du discours prononcé par le président Macky Sall après son investiture le 2 avril dernier à Diamniadio en présence de plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement.
Aveu d’échec de Macky Sall devant ses pairs
Ainsi Macky Sall étalait devant ses homologues sa toute impuissance à lutter contre les déchets et la saleté qui sont la marque de fabrique du pays qu’il dirige. Depuis 2012, Macky Sall est élu à la tête du Sénégal et voilà que soudainement le lion s’émancipe de sa torpeur et découvre que son pays, qui produit annuellement deux millions d’ordures, est sale comme une porcherie et qu’il faille nettoyer les écuries d’Augias ; que les rues, coins et recoins de la capitale sont transformées en urinoirs et WC ; que les caniveaux sont bouchés et que des eaux pourries et nauséabondes inondent en permanence plusieurs rues de quartiers. Aveu d’échec devant ses pairs et surtout devant Paul Kagamé dont la capitale du pays, Kigali, « la Suisse de l’Afrique », a été déclarée par l’Onu Habitat, la «ville la plus propre d’Afrique » en 2016 pour la troisième année consécutive. Depuis la formation du gouvernement, le sémillant ministre en charge de l’Urbanisme, du Logement et de l’Hygiène publique, Abdou Karim Fofana transbahute de média en média pour porter le message vert révolutionnaire. Dans tous les médias écrits et audiovisuels, la vedette, c’est Karim Fofana. Il ne passe pas un seul jour où l’on n’entend pas le ministre en question où un de ses proches s’épancher sur le sujet. Mais l’agitation excessive dont fait montre le ministre Karim nous laisse perplexe sur l’efficacité de la démarche et sceptique sur l’atteinte des objectifs fixés à son département. Les préfets nous ont habitués à des débuts d’opérations de déguerpissements et de désencombrements tonitruants qui finissent toujours comme les tonneaux des Danaïdes.
Mais il faut se demander ce que faisait Macky Sall depuis sept ans qu’il est élu pour s’occuper de l’environnement sain des Sénégalais. Son discours montre que sa politique environnementale n’a pas fonctionné, pour ne pas dire que cela a été un échec retentissant. Pourtant, des dizaines de milliards ont été investis depuis 2012 pour assurer aux Sénégalais un bon environnement, une bonne hygiène publique qui passe nécessairement par une bonne politique d’assainissement. Comme on aurait aimé que tout cela figure dans l’étalage de son bilan, dans ce discours de Diamniadio. Non, il faut esquiver les irréalisations qui risquent d’oblitérer le bilan septennal élogieux du président. Il faut éluder les échecs sectoriels qui risquent de ternir les réussites globales. Mais qu’on se le dise ! Jamais, débarrasser la capitale de ses déchets et de ses scories n’a été une préoccupation du président Sall. S’il y a un secteur où les travailleurs sont en constant mouvement de grève, c’est bien celui du nettoiement où les techniciens de surface et les concessionnaires butent constamment sur l’incapacité de l’Etat à honorer régulièrement ses obligations financières. Sous le magistère de Macky Sall, la gestion voire la valorisation des déchets au niveau de Dakar a souffert de la bataille politique entre l’alors maire de Dakar Khalifa Sall et le président.
Dakar, victime de la dualité Macky-Khalifa
Macky Sall n’a jamais digéré la perte de Dakar lors des locales de 2014. C’est la raison pour laquelle, des blocages de paiements ont volontairement été créés par les services étatiques pour en arriver à une situation d’envahissement insupportable des ordures. On se rappelle en septembre 2015, ces montagnes d’immondices qui faisaient le décor dans la capitale. Les concessionnaires à qui l’Etat devait des milliards avaient refusé de mettre leurs camions à la disposition de l’Entente Cadak-Car en charge de la propreté de la capitale. Finalement, le ministre de la Gouvernance locale d’alors, Abdoulaye Diouf Sarr, avait décidé de reprendre les 10 milliards alloués à la gestion des ordures, gérée par Cadak-Car et dont Khalifa Sall en sa qualité de maire de Dakar était le président, pour le confier à l’Unité de coordination de la gestion des déchets solides (UCG). Cette décision résulte du décret N°2015-1703 du 26 octobre 2015. A partir de cette date, le programme de gestion des déchets solides urbains de la région de Dakar était confié à l’UCG. Pourtant, un tel décret violait l’article 170, alinéa 1 du Code des collectivités locales, lequel confie la compétence de la gestion des ordures et de la lutte contre l’insalubrité aux différentes villes. Et nonobstant le recours des avocats de la ville de Dakar pour initier une procédure devant la Cour suprême aux fins d’annuler le décret qui a transféré la gestion des ordures à l’Etat, l’UCG finit par obtenir la gestion des ordures de la capitale. Cette dernière ne fait que collecter, transporter et déposer à la décharge de Mbebeuss, qui depuis longtemps, étouffe avec les centaines de tonnes d’ordures qu’elle reçoit quotidiennement.
Et ce dessaisissement des ordures participait de la logique de neutralisation, voire de liquidation de Khalifa Sall. Avant d’extorquer la gestion des ordures de Cadak-Car, l’Etat avait refusé d’autoriser, malgré trois avis de non-objection, l’emprunt obligataire de 20 milliards que la mairie de Dakar avait obtenu des marchés financiers. Un tel pactole qui aurait donné à Dakar le visage luisant d’une vraie capitale comme Macky en rêve dans son discours de Diamniadio, représentait un fer de lance pour lancer les ambitions présidentielles de Khalifa Sall. Diène Farba Sarr, piètre ministre de Macky Sall a passé tout son temps à disputer vainement au maire de Dakar la réfection de la place de l’Indépendance. Et pour priver la capitale d’un maire travailleur, Macky l’accuse avec la complicité de ses juges, d’un délit fictif qui lui vaut arbitrairement cinq ans de prison.
Et depuis octobre 2015, les choses vont de mal en pis dans la gestion des ordures. L’UCG n’a pas fait mieux que Cadak-Car. Et voilà que la capitale, privée de son maire qui devrait offrir à ses habitants un cadre de vie agréable, leur procure un environnement répugnant pollué où toute existence est compromise.
Solipsisme et agitation du ministre Abdou Karim Fofana
Le solipsisme et l’agitation affichés ostensiblement par le ministre Abdou Karim Fofana risquent de plomber l’initiative contre l’encombrement et l’insalubrité qui requièrent des approches holistiques entre son ministère, ceux des Collectivités territoriales et de l’Aménagement du Territoire, de la Protection de l’Enfance (problème des talibés), de l’Eau et de l’Assainissement, de l’Environnement et du Développement durable, du Tourisme, du Transport terrestre et de la Santé. Mais pour qu’une telle initiative réussisse, il faut qu’il y ait une adhésion populaire, pas massive, mais totale. Et c’est le président de la République qui doit diriger les troupes pour gagner la bataille de la propreté. Au Rwanda, le président Kagamé ne s’est pas limité à donner des ordres ou à obliger les citoyens à respecter les normes environnementales. Ce qui fait que les citoyens rwandais ont adhéré au programme de propreté proposé par l’autorité suprême, c’est parce qu’elle a donné le ton en étant sur le terrain avec le peuple.
Pour former une nation, il est important que les citoyens aient des activités communes pour favoriser l’osmose entre les diversités ethniques et raffermir les liens inter-citoyens. Au Rwanda, le leader du pays, Paul Kagamé, en donne le meilleur exemple en se mettant au premier plan. Il a instauré des «Car free day», autrement dit des journées sans voiture au cours desquelles tous les citoyens sont tenus de marcher. Cela a une raison écologique, sanitaire et citoyenne quand on connait toutes les conséquences de la dégradation de l’atmosphère, et aussi les conséquences sur la morale et la santé des citoyens. Depuis 2010, une journée sans voiture est instaurée tous les mois. Tout comme le «Umuganda», journée de nettoyage et de recyclage minutieux, à laquelle aucune absence non justifiée n’est tolérée. Ainsi, tous les citoyens se trouvant dans la rue ou au travail au moment du nettoyage, sont tenus par la police de se joindre à l’équipe. Aussi, comme dans l’ensemble du pays, les sacs plastiques et emballages non biodégradables sont prohibés.
L’approche d’une gouvernance inclusive et participative du développement tous azimuts du Rwanda émane de la mentalité et de la vision du leader-manager qui le conduit mais aussi de l’aptitude de son peuple à y adhérer fidèlement. C’est ainsi que dans les rassemblements publics, le président Kagamé rabâche constamment ceci : « les leaders se définissent par la volonté qu’ils ont d’améliorer les choses, ainsi que la discipline qui entoure le travail qu’ils effectuent pour le changement. Aucune quantité de ressource ne suffira si vous ne changez pas d’état d’esprit et ne croyez pas que nous pouvons accomplir des choses et être meilleurs. » Tel un chef d’orchestre, il donne toujours le tempo dans ses actes et ses discours. Normal pour quelqu’un qui admire et s’inspire du Premier ministre Mahathir Mohamad, homme à la poigne de fer, qui a su transformer la Malaisie en une région de fabrication de produits high-tech et en un hub financier et de télécommunications, par ses politiques économiques fondées sur le nationalisme corporatif connu sous le nom « Malaysia Plans ». Et très souvent, il leur rend grâce en affirmant que « sans ses compatriotes, rien de tout cela ne serait possible ». Cette proximité de Kagamé avec son peuple fait défaut chez le président Macky Sall dont souvent les règles et les décisions au sommet n’emportent pas très souvent l’adhésion de ses concitoyens.