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Des TÉlÉs Sans Vision

Des TÉlÉs Sans Vision

Du matin au soir, on n’y passe presque que des divertissements : clips musicaux saccadés, talk-shows délirants, séries à l’eau de rose, débats soporifiques, et j’en oublie. Vous allez sans doute dire que j’exagère et qu’il ne faut pas mettre toutes les télés dans un même sac… cathodique, mais le problème est que rares sont celles qui font des efforts pour se démarquer des autres, avoir leur propre identité visuelle et programmatique. Pour les besoins de cette chronique, j’ai passé une bonne partie de la semaine à suivre les émissions du paysage audiovisuel sénégalais. J’avoue que j’en suis sorti totalement abasourdi et quelque peu groggy.

Le premier constat est que la plupart de nos chaînes (à quelques rares exceptions près) évoluent dans le vase clos de leurs studios dont elles sortent rarement. Leur ronronnement soporifique laisse pantois tout téléspectateur doté d’un minimum d’esprit critique. Les programmes commencent par des émissions matinales dans lesquelles les animatrices (je ne suis pas misogyne, mais ce sont elles qu’on voit plus que les animateurs) rivalisent de tenues hyper colorées, de peaux dépigmentées et de faux cheveux qui les font ressembler à des poupées Barbie tropicalisées. Puis, un peu plus tard en fin de matinée, commencent les talkshows avec des hommes et femmes un peu plus âgés et au discours trop moralisateur. Dès la fin de ces émissions, commence une longue diffusion de clips musicaux et de divertissements de toutes sortes.

 Après les journaux télévisés de fin d’après-midi, les comiques prennent le relais avec leur humour à deux balles qui ne font rire que ceux qui s’ennuient à mort chez eux. Et après tout cela, nos télés enchaînent avec les séries qui vont de « Wiri Wiri » à « Pod et Marichou » en passant par « Idoles », « Maîtresse d’un homme marié » ou « Mbettel ». Dans la quasi-totalité des émissions télés sénégalaises, on parle de tout et de rien : du dernier buzz médiatique d’un chanteur ou d’une chanteuse à la mode, des rivalités dans les couples, de la lancinante question du maraboutage dans les familles polygames, et j’en oublie. Le divertissement, ou entertainment comme disent les anglo-saxons, semble avoir pris le dessus sur les programmes. Il est vrai que cet aspect fait partie intégrante du petit écran depuis que John Reith, premier directeur de la Bbc, l’a conceptualisé au début des années 1920 en parlant des trois objectifs de la télé : l’information, l’éducation et le divertissement. Cependant, ce concept est totalement dévoyé de nos jours, surtout dans notre pays où, depuis la libéralisation de la télévision et l’apparition des chaînes privées au début des années 2000, le paysage audiovisuel est devenu un véritable capharnaüm. On a l’impression que les propriétaires de ces médias ont mis les charrues avant les bœufs en créant d’abord des télévisions avant de penser au contenu. Des télévisions sans vision, en quelque sorte.

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 A notre avis, ce puissant outil n’est pas un joujou à mettre entre les mains du premier businessman venu. En effet, depuis sa naissance, en 1920, la télévision est perçue comme ayant un grand pouvoir d’influence, de persuasion et de manipulation, bref, un instrument qui pourrait servir d’outil de propagande pour orienter l’opinion publique et peser sur ses décisions. Certains médiologues parlent de télécratie ou plus généralement de médiacratie pour reprendre le terme de François Henri de Virieu, célèbre animateur français de l’émission « L’heure de vérité », dans un livre paru au début des années 1990. La toute-puissance de ce médium, devenu omniprésent, a tendance à remplacer l’institution familiale, socle de nos sociétés, mais qui s’effiloche de jour en jour face à la démission de bon nombre de parents.

Dans la plupart des familles, les enfants passent une bonne partie de la journée devant le petit écran. Et leurs cerveaux, qui n’ont pas encore la capacité d’analyse et de discernement, ont tendance à mimer tout ce qu’ils voient. Face à l’effritement de plus en plus constaté de l’éthique, de la morale, en somme, des valeurs qui sont le fondement de toute société consciente de son devenir, les programmes télévisuels et leurs effets pervers font des ravages dont les conséquences seront certainement perceptibles d’ici quelques années. Nos télés, prises dans la frénésie d’une course à l’audimat, ne s’embarrassent pas de la qualité du contenu de leurs programmes. L’essentiel est de faire des profits, quels qu’en soient les moyens.

L’information spectacle est devenue la norme ; on vend les émissions comme on vend n’importe quel bien de grande consommation. Des marques de produits sont exposées sans gêne sur les plateaux, de la pub est maladroitement glissée entre les scènes des séries, des prétendus guérisseurs envahissent les plateaux et y vendent leur camelote supposée soigner toutes les maladies possibles et imaginables. Tout cela fait rarement réagir le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) dont les membres se contentent de balancer de timides communiqués de presse et des avis trimestriels que les patrons jettent à la poubelle. Des patrons qui ont sans doute bien assimilé cette phrase de Patrick Le Lay, l’ancien patron de Tf1 qui, en 2004, avouait sans ambages : « Nos émissions ont pour vocation de rendre le téléspectateur disponible, de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». Pourtant, si les responsables de nos télévisions faisaient l’effort de demander à leurs reporters de sortir du confort de leurs plateaux, ils auraient pu montrer aux téléspectateurs de très belles choses.

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A Dakar et dans les régions de l’intérieur du pays, il y a plein d’histoires à raconter, de zones à découvrir, de personnages à donner en exemple et de patrimoine à valoriser. Mais non, on se contente de plastronner sous les sunlights des studios, se gargarisant de belles paroles qui ne veulent rien dire et buvant les pseudo-analyses de journalistes qui n’ont jamais fait un grand reportage de leur vie, qui ne sont jamais sortis de leurs studios, mais qui se sont autoproclamés « experts en tout », même s’ils n’ont pas encore totalisé dix ans de carrière ! Pendant ce temps, ce sont les télévisions étrangères qui viennent réaliser chez nous de superbes documentaires, à l’image de ceux qui passent, depuis quelques semaines, sur la chaîne Voyage et où l’on montre les belles plages du littoral sénégalais, de Kayar à Dakar en passant par Saint-Louis et son parc aux oiseaux du Djoudj. Dans cette série intitulée « Les sentinelles de l’Afrique », on raconte la triste histoire de Yayou Bayam Diouf, une brave femme de Thiaroye-sur-Mer, en banlieue dakaroise, qui a perdu son unique fils dans le naufrage d’une embarcation en partance pour l’Europe, mais qui se bat pour défendre les pêcheurs et protéger son environnement. On y partage le quotidien des femmes des îles du Saloum qui, inlassablement, prennent le chemin des mangroves pour y récolter des huîtres et gagner dignement leur vie. On y découvre le talent de la couturière saint-louisienne Rama Diaw dont les belles créations n’ont rien à envier aux collections occidentales. On fait une plongée dans les dures conditions de vie des pêcheurs de Kayar qui voient leurs ressources halieutiques s’épuiser avec l’exploitation de nos mers par des chalutiers étrangers. Bref, toute une galerie de portraits et de reportages qu’auraient bien pu réaliser nos télévisions si elles avaient fait un tout petit effort d’investigations.

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