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Le Pouvoir De Nommer L’afrique

Le Pouvoir De Nommer L’afrique

De quoi l’Afrique est-elle le nom ? L’appellation fut d’abord forgée à l’extérieur et appliquée au continent par un pouvoir de nommer qui ne lui appartenait pas, mais que s’étaient donné les Romains

De quoi l’Afrique est-elle le nom ? L’appellation fut d’abord forgée à l’extérieur et appliquée au continent par un pouvoir de nommer qui ne lui appartenait pas, mais que s’étaient donné les Romains. Ce sont eux qui ont dit « Africa », avant que l’Europe n’élargisse la dénotation du mot à l’ensemble du continent. De ce point de vue, comme l’a dit Valentin Mudimbe, l’Afrique est une « invention » coloniale. Du reste, la même remarque peut s’appliquer aux autres continents comme l’Europe, l’Asie, l’Océanie ou les Amériques, qui sont également des créations datées historiquement et qui n’ont vu le jour qu’à la suite de la disparition de la vieille conception des « quatre parties du monde ». Toutefois, l’origine du nom Afrique est interne au continent. Les historiens s’accordent sur le fait que le mot « Afer » (approximativement), qui désignait une tribu ou un territoire ou une divinité (ou les trois), est devenu le nom, « Africa », de toute une province centrée sur Carthage. Cette province et le nom ont fini par inclure les terres au sud de la Méditerranée et à l’ouest de l’Égypte que les Arabes baptisèrent « Ifriqiyya ». L’usage a été ensuite d’appliquer « Afrique » à la totalité du continent lorsque les circumnavigations européennes en révélèrent de mieux en mieux la forme et les contours.

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L’écrivaine camerounaise Léonora Miano relève, à juste titre, l’ironie à voir des habitants du Maghreb parler de « l’Afrique » comme si eux-mêmes vivaient sur un autre continent. Faudrait-il aussi rappeler que l’Afrique n’est pas un pays, mais un continent ! Une confusion que les médias occidentaux, peu soucieux d’exactitudes dès lors qu’il s’agit du « continent noir » et des malheurs qui lui sont naturels, se plaisent d’entretenir. Comme ce fut le cas avec la récente épidémie d’Ebola « en Afrique », alors que seuls quelques pays étaient concernés… De ce qui suit, on peut tirer un constat : hier comme aujourd’hui, c’est l’Autre qui a le pouvoir de nommer les réalités du continent. Le discours sur l’Afrique n’est pas celui des Africains. L’Europe (puis l’Occident) s’est toujours donné le droit et le pouvoir de qualifier l’Afrique, sans prendre en compte le point de vue des Africains. Ce sont eux qui décident quels pays africains sont pauvres, sous-développés, en voie de développement, démocratiques ou émergents. Ce sont eux qui décident du niveau de risque de tel ou tel pays africain et par conséquent s’il mérite qu’on lui accorde des financements à des taux préférentiels ou non.

Enfin, ce sont eux qui décident, au gré des circonstances, si l’Afrique est un continent « sans espoir » ou celui « de l’avenir ». « L’Afrique n’existe pas en soi, elle est un réceptacle qui a été l’objet de projections et d’investissements divers au gré de tous les énoncés qui se sont emparés d’elle en fonction d’intérêts contradictoires, variant selon les époques et les situations politiques », explique l’anthropologue français Jean-Loup Amselle. Difficile de lui donner tort sur ce point. D’abord scindée entre une Afrique du Nord « blanche » et une Afrique subsaharienne « noire » par les conquérants coloniaux (qui seront plus tard suivis par les ethnologues et les anthropologues), elle a été en outre divisée en plusieurs centaines de langues correspondant à autant d’ethnies. Aujourd’hui encore, le discours colonial (sous la plume d’anthropologues « occidentaux », mais aussi d’auteurs africains) continue de brandir cette diversité culturelle ou linguistique pour justifier l’œuvre « salvatrice » de la colonisation ou les bienfaits de la Francophonie qui, par le biais de la langue française, aurait le mérite de « sauver » l’unité culturelle de certains pays, en permettant à ses populations de pouvoir communiquer entre elles. Le même discours extérieur nous dit aussi que l’Afrique est en retard, qu’elle doit suivre le chemin linéaire, le même que l’Europe, pour rattraper son retard. Comme si le développement était une « course olympique » (Joseph Ki-Zerbo) ! Or, nous dit Felwine Sarr, l’Afrique n’a personne à rattraper, elle ne doit plus courir sur les sentiers qu’on lui indique, mais marcher prestement sur le chemin qu’elle se sera choisi et que sa seule urgence est d’être à la hauteur de ses potentialités. Cependant, une telle démarche ne peut s’entreprendre sans une « ré-articulation » du rapport à soi-même, perturbé par des siècles d’aliénation. Autrement dit, pour achever sa décolonisation, l’Afrique ne peut pas faire l’économie d’une « rencontre féconde avec elle-même ». A commencer par élaborer son propre discours sur elle-même.

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