En 2012, le président avait relevé que plus de 30 mille passeports diplomatiques étaient en circulation – Il est aberrant que sept ans plus tard, le même Macky revienne pour décrier la gabegie et le laxisme dans la distribution de ces documents.
POUR QU’ENFIN LE PASSEPORT FASSE LE DIPLOMATE
A l’orée de son second mandat, le Président Macky Sall a pris une décision qui a été unanimement saluée par toutes les personnes sensibles à la gestion vertueuse des affaires publiques.
C’est celle de vouloir mettre de l’ordre dans la pagaille de la distribution de passeports diplomatiques sénégalais. Ce titre de voyage officiel avait fini par perdre toute sa crédibilité, au point que des ayants droit arrivaient à ne plus vouloir s’en servir pour éviter des tracasseries ou même des remarques désobligeantes au niveau des frontières étrangères.
En effet, n’importe quel quidam pouvait se faire délivrer un passeport diplomatique. Les trafics étaient connus de tous. D’aucuns payaient des espèces sonnantes et trébuchantes à des personnes intervenant dans le circuit pour disposer de ce document de voyage qui leur permettrait, entre autre avantages, de franchir les frontières de l’espace Schengen sans un visa d’entrée. D’autres arrivaient à l’obtenir par toutes sortes de clientélisme.
Les médias sénégalais ont souvent eu à alerter sur de telles dérives. Les chancelleries de l’Union européenne par exemple ont eu beau protester auprès des autorités sénégalaises que les assurances données ça et là ne pouvaient rien garantir quant à l’effectivité des mesures de rationalisation de la délivrance. D’ailleurs, la question du sort à réserver aux détenteurs de passeports diplomatiques sénégalais a eu à occuper les discussions au sein de l’Union européenne. De nombreux pays avaient préconisé d’exiger désormais le visa d’entrée dans l’espace Schengen aux personnes détentrices du passeport diplomatique sénégalais. Seule l’Espagne avait eu à opposer un veto à une telle mesure qui pouvait être humiliante pour le Sénégal.
Une pagaille bien sénégalaise
Des situations ubuesques avaient été observées dans les aéroports étrangers. Il a été donné de voir des membres importants du gouvernement sénégalais soumis à des questionnaires ou des auditions humiliantes par des agents de la Police des frontières, à leur entrée dans des pays européens. Ces personnes étaient considérées comme de vulgaires candidats à l’émigration clandestine qui auraient pu se faire délivrer irrégulièrement leur document de voyage. A l’occasion de la dernière Coupe du monde de football organisée en Russie en 2018, il nous a été donné de constater que la grande majorité des supporters sénégalais, des féticheurs et autres accompagnateurs, étaient détenteurs d’un passeport diplomatique sénégalais. Ce titre de voyage leur a bien facilité leur entrée et déplacements en Russie. Cette campagne de Russie avait fini par renseigner sur le degré de laxisme révoltant dans la gestion des passeports diplomatiques sénégalais. On en a ri dans l’avion affrété pour le déplacement des supporters et de la délégation sénégalaise. Il est sans doute impossible de trouver une plus forte concentration de passagers avec des passeports diplomatiques dans un vol commercial qu’à cette occasion.
Il reste que la pagaille dans la gestion des passeports diplomatiques au Sénégal remonte déjà du temps du Président Abdou Diouf. Des lots de passeports diplomatiques étaient distribués à des familles religieuses afin de s’assurer une clientèle politique. Des passeports étaient également vendus à l’aide de rabatteurs. A son arrivée au pouvoir en 2000, le Président Abdoulaye Wade avait déclaré vouloir y mettre de l’ordre. Il fera confectionner de nouveaux passeports. Très rapidement, les démons du passé l’ont rattrapé et son régime s’illustrera comme celui qui aura le plus distribué illégalement des passeports diplomatiques. En 2012, le Président Macky Sall avait tiré la sonnette d’alarme en relevant que plus de 30 mille passeports diplomatiques sénégalais étaient en circulation. Le nombre était on ne peut plus effarant. Il fera éditer de nouveaux passeports diplomatiques pour remplacer ceux qui n’avaient plus aucune crédibilité. Il est aberrant que 7 années plus tard, le même Président Sall revienne pour décrier la gabegie et le laxisme dans la distribution des passeports diplomatiques sénégalais.
En 2012, nous avions applaudi comme aujourd’hui
La mesure préconisée par le Président Sall pour une gestion vertueuse des affaires de l’Etat avait été saluée et la question de la gestion des passeports diplomatiques avait été présentée comme une mesure phare. On constatera que des lots de passeports avaient continué à être distribués à des personnes qui n’y avaient point droit et que des trafics illicites de vente de passeports avaient été observés. Comme qui dirait, le Président Macky Sall avait fait un pas en avant et deux en arrière. Il faut dire que si les mauvaises pratiques avaient pu continuer, c’est simplement parce que jamais personne n’avait été sanctionné pour une gestion irrégulière des passeports diplomatiques sénégalais. Le mal avait été bien diagnostiqué, mais malheureusement le remède efficace ne lui a pas été appliqué. Le gouvernement sénégalais peut-il dire exactement le nombre de passeports diplomatiques en circulation ? Il semble nécessaire d’ouvrir une enquête exhaustive et transparente sur cette question afin de situer les responsabilités et trouver une solution définitive aux dérives et autres abus. Le trafic sur les passeports diplomatiques cachent de nombreux autres trafics les plus illicites et scandaleux. Combien de fois des personnes ont été interpellées à l’étranger pour des activités illicites et trouvées en possession du passeport diplomatique sénégalais ? Aussi, Il nous semble inacceptable que la presse puisse à nouveau révéler une confection frénétique de passeports diplomatiques, distribués à la veille du scrutin du 24 février 2019 ou avant même que le ministre Sidiki Kaba ne passât le service à son successeur, Amadou Ba, au ministère des Affaires
étrangères, de l’intégration africaine, des Sénégalais de l’extérieur et de la Francophonie. C’est comme qui dirait que les autorités sénégalaises seraient incapables de se fixer résolument et définitivement sur un objectif d’assainissement de la gestion publique. Dans d’autres secteurs, le même constat est fait. Qui ne se souvient pas des grandes annonces faites au sujet des opérations de «désencombrement humain» ou «d’occupation anarchique de la voie publique» ? Les régimes des Présidents Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall s’y étaient essayés pour, au bout du compte, baisser les bras. Il en est de même des mesures préconisées pour juguler les actes d’indiscipline sur la voie publique ou dans la circulation routière. Quid de la décision de débarrasser les rues des villes du Sénégal des jeunes talibés et autres mendiants ? A chaque fois, des mesures hardies sont annoncées à grands renforts médiatiques, mais jamais le travail n’est mené à terme. On nous annonce de nouveaux passeports diplomatiques et il semble qu’ils seront de couleur rouge-vif, attendons de voir qui va en disposer et comment.
Les passeports, l’arbre qui cache la forêt
Le Sénégal fait partie des pays qui comptent les plus gros effectifs de fonctionnaires dans leurs ambassades et autres consulats à l’étranger. La pléthore de personnels est telle que de nombreux agents arrivent à ne même pas trouver un espace de travail dans les locaux diplomatiques et consulaires. A l’ambassade du Sénégal à Paris par exemple, il peut arriver de trouver quatre conseillers entassés dans un bureau de moins de 16 mètres carrés. Aussi, des agents diplomatiques et consulaires sont affectés dans des postes où ils ne disposent pas d’activités ou de tâches à remplir. Comme ces exemples révélés par le journal Le Témoin du 26 au 28 avril 2019, avec un jardinier affecté dans une ambassade où ne se trouverait même pas un pot de plantes à entretenir. Notre confrère écrit : «Il n’est pas rare de trouver dans nos chancelleries à l’étranger des chauffeurs sans voiture, des jardiniers sans jardin, des secrétaires sans bureau et des conseillers islamiques dans des pays catholiques.» Croyez-le, ce n’est pas de la caricature ! C’est une réalité pour triste et aberrante qu’elle puisse être. Tous ces personnels inutiles consacrent leur temps à chercher à travailler dans le noir dans certains pays. Ces personnes ont pour la plupart pu trouver ces confortables planques grâce à un «piston» pour un clientélisme politique ou pour des relations familiales. Elles sont aussi nombreuses, pour les rares qui arrivent à trouver de quoi s’occuper, à ne pas avoir les qualifications et autres compétences pour remplir convenablement leurs missions. Aucune autorité sénégalaise ne pourra prétendre ignorer une telle situation dans nos représentations à l’étranger. Il s’y ajoute que ces personnels, non méritants ou non indispensables, se livrent à des comportements les plus répréhensibles et qui ternissement l’image de la diplomatie sénégalaise. Le Sénégal avait été dans ses petits souliers en passant comme le troisième pays dont les agents de la représentation diplomatique auprès des Nations unies ont commis le plus d’infractions sur la voie publique et dans la circulation routière dans la ville de New York. Pourtant, cette représentation diplomatique ne dispose pas de plus de trois véhicules. Tout le monde se plaint de ce personnel diplomatique. Les autorités des pays d’accueil, tout comme les citoyens sénégalais, ne trouvent pas de réponses à leurs préoccupations auprès des représentations de leur pays. Il convient donc de procéder à un audit rigoureux des personnels dans les missions diplomatiques et consulaires du Sénégal à l’étranger. Les personnels non nécessaires devront être rapatriés sans aucune autre forme de procès ou que leurs contrats soient résiliés. En effet, il y a eu aussi de gros abus dans les recrutements de personnels locaux dans de nombreuses ambassades.
La rationalisation des effectifs devrait permettre de réaliser des économies substantielles dans les budgets de fonctionnement. Ces économies pourraient être réaffectées à améliorer le sort des personnels diplomatiques et consulaires essentiels. Les agents diplomatiques et consulaires du Sénégal n’ont de cesse de se plaindre de leurs rémunérations. Le Sénégal ferait partie des pays notamment africains qui entretiendraient le moins convenablement leurs personnels diplomatiques à l’étranger. Une pareille situation pourrait avoir des conséquences néfastes, non seulement sur la qualité de la représentation diplomatique du Sénégal, mais aussi pousserait ces personnes à des pratiques peu orthodoxes. Le Président Macky Sall semblait être conscient de cet enjeu et avait par exemple décidé d’allouer une indemnité spéciale de 500 mille francs par mois aux conjoints/es des ambassadeurs du Sénégal à l’étranger. De même, les traitements des ambassadeurs dans les pays voisins du Sénégal avaient été considérablement revus à la hausse. Le chef de l’Etat avait pu observer que nombreuses personnalités rechignaient à accepter des postes diplomatiques à cause des traitements qui ne seraient pas très motivants.
C’est aussi l’occasion de faire le point sur les patrimoines immobiliers et fonciers du Sénégal à l’étranger. Les propriétés du Sénégal à l’étranger devraient être mieux connues et les conditions dans lesquelles de nombreux baux ont pu être passés puissent être vérifiées pour plus de transparence. Tout comme conviendrait-il de redéfinir la carte diplomatique du Sénégal. En effet, il existe des représentations diplomatiques et consulaires dont on peut douter véritablement de la pertinence de leur érection. Macky Sall avait évoqué la perspective de réduire les représentations diplomatiques du Sénégal à l’étranger pour plus d’efficience et d’efficacité.
Share on: WhatsAppL’article Pour qu’enfin le passeport passe le diplomate (Par Madiambal Diagne) .