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Le Retour Des Dictateurs ! (par Dr Babacar Diop)

Le Retour Des Dictateurs ! (par Dr Babacar Diop)

 CONTRIBUTION

«L’ordre souverain du président devenu monarque fait la loi, vaut la loi, est la loi» (François  Mitterrand, Le Coup d’Etat permanent, Les Belles Lettres,  Paris, 2010).

 

Le dictateur romain Sylla (138-78 av. J.-C.), déchaîné par la passion des rivalités politiques qui opposaient les différentes familles nobiliaires, enferma Jules César (100-44 av. J.-C.) tout en prédisant aux citoyens de Rome les malheurs et les désastres que son prisonnier causera à la République romaine. L’historien Suétone (69-130 apr. J.-C.), dans Vies des douze Césars, nous rapporte que Sylla qui voulait étouffer le jeune César, avait finalement cédé devant l’insistance de ses parents et de ses alliés qui sollicitaient une grâce auprès de lui. Avant de prendre congé de ces ambassadeurs de la clémence et du pardon, il leur dit : «Triomphez et gardez-le, mais sachez que cet homme dont le salut vous est tant à cœur, causera un jour la perte du parti aristocratique que vous avez défendu avec moi : il y a dans César plusieurs Marius». Caius Marius (157-86 av. J.-C.) dont il  est question, fut un aïeul de César et rival de Sylla ; il avait nourri dans le passé des aspirations dictatoriales. De la même manière, nous soutenons qu’il y a en Macky Sall plusieurs démons qui conspirent à ruiner la République. Parce que cet homme considère que «pratiquer l’injustice [est] l’unique moyen de faire acte d’autorité» (Salluste, La Conjuration de Catilina). Toute son intelligence politique repose sur la force brutale et aveugle. Il pourrait faire siennes les paroles du poète grec Accius (170-85 av. J.-C.) : «Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent !»

Aujourd’hui, ceux qui l’avaient soutenu, découvrent subitement avec stupeur la mégalomanie de l’homme assoiffé de pouvoirs, qui en demande toujours, encore et davantage pour être le seul maître à bord du bateau Sénégal et il pourra manger ses concitoyens à la sauce qu’il voudra. Il pourrait avoir pour devise ce vers d’Homère (L’Iliade, II) : «Qu’un seul règne, qu’un seul soit souverain !» Par conséquent, comme Hélène pour les Troyens, Macky Sall sera pour notre République, cette «nation revêtue de la toge» (Virgile, Enéide, I), une cause de désastre et de ruine, le brandon de la discorde politique. De toute évidence, l’entreprise de garrotter la République vient du cœur de l’Etat.

 

Au cœur de la dictature

Le projet de réforme constitutionnelle de Macky Sall supprimant le poste de Premier ministre nous installe officiellement et constitutionnellement au cœur de la dictature. L’article 52 est plus que dangereux et va être la porte ouverte à toutes les dérives possibles et imaginables. Il dispose : «Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire national ou l’exécution des engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou des institutions est interrompu, le président de la République dispose de pouvoirs exceptionnels. Il peut […] prendre toute mesure tendant à rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions et à assurer la sauvegarde de la nation». Désormais, nous sommes dans une insécurité constitutionnelle totale, à la merci d’un individu qui, à lui seul, décidera de l’appréciation de la gravité des crises, des vraies crises, des pseudo-crises, des crises provoquées et des crises imaginaires pour prendre les décisions qu’il voudra. C’est pourquoi, contrairement à ce qui été annoncé dans l’exposé des motifs, le président de la République peut bien dissoudre l’Assemblée nationale. Il y a des contradictions et des confusions délibérément entretenues dans le texte proposé aux députés. En vérité, Macky Sall aspire à la dictature suprême.

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Le dictateur, durant la République romaine, est un magistrat extraordinaire qui détient les pleins pouvoirs (imperium) pour un mandat de six mois renouvelable. Pendant la dictature, toutes les autres magistratures étaient suspendues, sauf les tribuns de la plèbe (magistrats élus pour un an afin de défendre les intérêts des citoyens ordinaires) qui exerçaient le «pouvoir populaire» en s’érigeant en bouclier contre les abus de pouvoir. La réforme de Macky Sall peut déboucher sur la suspension de toutes les institutions sans exception aucune. Les pouvoirs démesurés et exceptionnels faisaient du dictateur romain, pater patriae («père de la patrie»), magister populi («maître du peuple») et il pouvait s’affranchir de presque tous les contre-pouvoirs pour prendre toutes les décisions qu’il jugeait utiles pour le bon fonctionnement de la République. Le dictateur bénéficiait d’une grande indépendance par rapport au Sénat, il pouvait punir qui il voulait, sans appel ni au tribunal ni au peuple. En plus, il était irresponsable, c’est-à-dire, il ne pouvait pas être poursuivi à la fin de ses fonctions.

Ainsi, la charge de dictateur était créée et reconnue par les institutions romaines. Il ne s’agissait nullement d’une prise de pouvoir par la force. Par conséquent, on n’installe pas une dictature, seulement par un coup d’Etat militaire. Par un tripatouillage constitutionnel constant qui dépouille toutes  les autres institutions de leurs prérogatives de contre-pouvoirs pour renforcer les pouvoirs du président de la République, il est bien possible d’introduire dans les constitutions modernes la charge de dictateur.

 

Le parachèvement de l’entreprise de «tyranniser l’Etat»

La présente révision constitutionnelle conférera des pouvoirs exceptionnels à Macky Sall. Elle consacrera définitivement le retour du dictateur et le parachèvement de l’entreprise de «tyranniser l’Etat» (Philippiques, II) pour reprendre l’expression chère à Cicéron. La seule volonté de Macky Sall est toute la Constitution.  Et toute la Constitution du Sénégal est en lui.  Ainsi, il ne lui restera qu’à reprendre les propos de Jules César qui prononça un jour avec impudence et mépris à l’endroit du peuple romain : «La République n’est qu’un vain mot, sans consistance ni réalité. – Sylla se conduisit comme un écolier quand il abdiqua la dictature – Il faut désormais que l’on me parle avec plus de retenue et que l’on tienne mes paroles pour des lois» (Suétone, Vies des douze Césars). En vérité, Macky Sall a plus de pouvoirs que le dictateur de la Rome antique, parce que ce denier avait en face de lui, au moins, le tribun de la plèbe qui était une magistrature sacro-sainte dont toute défiance valait une peine de mort.

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Les tribuns de la plèbe avaient pour fonction principale de permettre au peuple de préserver sa liberté contre la domination des grands. Ils garantissaient la liberté des Romains. Ils  pouvaient porter une accusation publique contre  tout abus de pouvoir. Ainsi, ils constituaient un contre-pouvoir solide contre la puissance des grands, «des médiateurs entre la plèbe et le sénat et un obstacle à l’insolence des nobles» (Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, I). Si Rome est restée une République, elle le doit essentiellement aux tribuns. La force d’une République repose sur l’équilibre des pouvoirs. C’est pourquoi, les Romains avaient mis en place trois institutions qui s’équilibraient : les consuls (les Princes), le sénat (les Optimates) et les tribuns de la plèbe (le pouvoir populaire). Le collège des consuls était sous le contrôle du sénat. Les tribuns pouvaient s’opposer au sénat et aux consuls. C’est ce qui fait dire à Machiavel : «On fit une combinaison de trois pouvoirs qui rendit la Constitution parfaite» (Discours sur la première décade de Tite-Live, I). Il devient alors clair que Macky Sall est plus qu’un monarque de droit divin, plus qu’un dictateur romain.

 

Aucun contre-pouvoir face aux pouvoirs exorbitants de Macky

A l’image des dictateurs de Rome, Macky Sall concentre entre ses mains les fonctions d’imperator (commandant militaire), de pontifex maximus («grand pontife», commandant des religions), de préteur (magistrat chargé de la justice) et de consul (collège des deux magistrats qui dirigent le sénat). Avec cette nouvelle Constitution, il aura les pleins pouvoirs qui lui permettront demain de suspendre le Parlement, le Conseil constitutionnel et les différents ordres religieux au nom du «fonctionnement régulier des pouvoirs publics». Suivant les folies de l’empereur Gaius Caligula (qui régna en Rome entre 37 et 41), dans ses dérives, il pourra décider un jour d’élever son cheval au rang de sénateur dans le prochain Sénat dont la mise en place est annoncée. Le véritable problème que pose cette Constitution de Macky Sall est qu’il n’y a aucun contre-pouvoir face aux pouvoirs exorbitants dont dispose le président de la République. Désormais, le régime politique que nous avons est inclassable.

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La toute-puissance du dictateur Jules César n’a pas empêché les Romains de défendre leur République. En suivant le parallélisme des formes, le peuple sénégalais doit reprendre la lutte pour la sauvegarde de ses institutions démocratiques et républicaines. Nous devons arracher notre République de ces dangers et complots qui pèsent sur elle. Ce dont il s’agit, c’est la défense de la République, c’est la sécurité de notre vie à tous, de nos biens et fortunes, la sécurité de nos enfants et nos familles. En définitive, seule une Constitution démocratique protège les libertés et la dignité humaines.

Lorsque la dictature de César devenait de plus en plus implacable et insupportable pour les Romains, Brutus (85-42 av. J.-C.) adressa une harangue révolutionnaire, restée célèbre et rapportée par Plutarque (Vies parallèles): «J’en veux à mes amis de Rome ; s’ils sont asservis, c’est de leur faute, plus que celle de leurs tyrans, puisqu’ils acceptent de voir se dérouler sous leurs yeux des scènes dont ils ne devraient même pas supporter d’entendre le récit». Rome est une école pour tous les peuples qui veulent jouir de la liberté. C’est la raison pour laquelle Saint-Just a écrit dans son «Rapport sur la conjuration» (31 mars 1794) adressé à la Convention nationale : «Le monde est vide depuis les Romains ; et leur mémoire le remplit, et prophétise encore la liberté». Soyons mobilisés comme Brutus et ses concitoyens pour faire barrage à la conjuration actuelle contre la République et la démocratie. Nous devons préférer la liberté avec ses dangers à la tranquillité de la servitude. Le pouvoir arrête le pouvoir, a-t-on l’habitude de dire. Le peuple, le gardien le plus assuré de la liberté, doit user de son pouvoir pour arrêter cette dictature cynique et avilissante.

Toutes les Républiques sont menacées par la volonté de domination des grands. Elles ne se maintiennent que par la passion des peuples à conserver leur liberté. Nous continuons de croire qu’il y a une grande puissance, une grande force sacrée dans la volonté d’un peuple déterminé à recouvrer sa liberté et sa dignité. Ayons donc le courage de défendre la république.

 

 

 

 

 

Dr Babacar DIOP

Secrétaire général de FDS

babacar.diop1@gmail.com

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